Boris Becker, du Central à la centrale

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Ruiné et criblé de dettes, l’ex-numéro 1 mondial du tennis est condamné à passer au moins un an et demi dans une prison de Londres. La conclusion d’une gestion désastreuse de ses finances et de sa vie privée après sa retraite sportive, en 1999.

De son nouveau domicile, Boris Becker entendra peut-être dans quelques semaines la clameur du stade de Wimbledon, où il a triomphé à trois reprises. Le temple londonien du tennis est en effet à moins de 4 km à vol d’oiseau de la prison de Wandsworth, où l’ex-numéro 1 mondial a fait son entrée vendredi 29 avril. Dans la matinée, la juge Deborah Taylor lui avait infligé une peine de 30 mois de prison ferme, dont il purgera au minimum la moitié, pour des infractions financières liées à sa faillite personnelle et aux dettes colossales accumulées au fil des années qui ont suivi sa retraite sportive, en 1999. Dans les geôles vétustes de Wandsworth l’ont précédé l’écrivain Oscar Wilde, James Earl Ray, assassin de Martin Luther King, ou les musiciens Pete Doherty et Gary Glitter.

Agé de 54 ans, le champion allemand, qui vit au Royaume-Uni depuis 2012, est déclaré coupable d’avoir transféré, pour faire croire à son insolvabilité, de fortes sommes de ses comptes vers ceux de plusieurs proches, notamment ses deux ex-épouses, et d’avoir dissimulé propriétés, emprunts et parts dans une société, le tout à hauteur de 2,5 millions de livres sterling (3 millions d’euros).

Sextuple vainqueur de tournois du Grand Chelem entre 1985 et 1996 (seul Roland-Garros lui a échappé), Boris Becker, surnommé «Boum Boum», est resté lié au monde du tennis, comme commentateur des tournois pour la BBC et des télévisions australiennes et japonaises. Il a en outre été entraîneur de Novak Djokovic entre 2014 et 2016, trois années pendant lesquelles le Serbe a remporté 6 tournois du Grand Chelem et deux Masters. De quoi compléter la fortune amassée sur les courts : 25 millions de dollars, et sans doute une quantité équivalente en contrats publicitaires.

Adultère et divorce

Aujourd’hui, il ne reste plus rien de ce pactole. Des divorces ruineux, des investissements mal gérés, des addictions à l’alcool ou au poker… La déchéance du champion a commencé au moment même où il a raccroché sa raquette. Et 1999 fait figure d’année maudite. Il avait décidé d’arrêter à 31 ans. En juillet 1999, il disputait son ultime Wimbledon, et tombait avec les honneurs en huitième de finale face à l’Australien Patrick Rafter, tête de série numéro 2.

Le soir de son élimination, il dîne à Nobu, un restaurant japonais réputé de Londres. Barbara Feltus, sa femme depuis 1993, ne l’accompagne pas : elle est enceinte de 7 mois de leur deuxième enfant. Le regard de Boris Becker croise celui d’Angela Ermakova, serveuse ou cliente selon les versions, Russe en tout cas. Le passage à l’acte se produit «dans la cage d’escalier» de l’établissement, révélera plus tard la presse à scandale. Malgré les dénégations du jeune retraité, Frau Becker demande le divorce, qu’elle obtient en janvier 2001. Au terme d’un accord longuement négocié, le mari adultère doit verser 15 millions de dollars (même somme en euros à l’époque) à Barbara et lui céder leur propriété à Miami. Il perd en outre la garde des deux garçons, Noah et Elias. Et l’addition s’alourdit des honoraires d’avocats : 3,5 millions.

Auparavant, le feuilleton avait rebondi avec la révélation qu’un enfant était né de la furtive étreinte. Contraint et forcé par le résultat d’un test ADN, Boris Becker reconnaissait la paternité de la petite Anna Ermakova. Ce qui lui coûtera plus de 3 millions d’euros supplémentaires. Dans son autobiographie (1), le champion ne fait pas mystère des raisons de sa chute : un train de vie exubérant, une passion dévorante pour les femmes métisses, beaucoup d’alcool et de somnifères… Une nouvelle passion vient compléter le tableau : Boris s’entiche de poker et joue sur des tables de joueurs professionnels qui se régalent de ce fish (novice facile à plumer). Ses pertes aux cartes sont estimées à 15 millions d’euros.

Hippies aux Baléares

A cette époque, le champion fixe son domicile à Monaco, ce que les limiers du fisc allemand contestent : leur enquête prouve que Boum Boum passe davantage de temps à Munich que sur le Rocher. Il est condamné à verser 3 millions d’euros, entre impayés et amendes, et écope de six mois de prison avec sursis. Autre symbole de sa décadence : Son Coll, sa propriété à Majorque, une île des Baléares adorée par ses compatriotes, au point qu’on la surnomme «le dix-septième land» d’Allemagne. En 1997, il avait acheté une finca, ferme de 200 hectares avec deux bâtiments. Et y avait ajouté une nouvelle bâtisse «de style marocain», une grande piscine, un court de tennis et un terrain de basket. Détail insolite : le refuge de Boris Becker se trouve à quelques kilomètres seulement de Manacor, la ville natale de Rafael Nadal.

Dix ans plus tard, les plaintes pleuvent : il doit 276 000 euros à une société d’entretien d’espaces verts, 555 000 euros à un entrepreneur de BTP, et près de 100 000 euros de salaires au couple de gardiens. Faute de règlement, la propriété est saisie par une banque. Ces dernières années, Son Coll était squatté par une pittoresque communauté hippie germanique. On y aurait même tourné des films pour adultes. Le Daily Mail s’était amusé en 2019 à comparer le domaine à l’époque de sa splendeur, et l’état de délabrement dans lequel il est tombé. Le bien immobilier est actuellement en vente, pour 7,9 millions d’euros.

Indifférent au monde qui s’écroulait autour de lui, Boris Becker continuait à commenter les grands tournois sur la BBC, et lançait sous sa griffe des lignes de produits de beauté ou de vêtements. En 2009, il refait la une de la presse people : il épouse à Saint-Moritz, en Suisse, le mannequin Lilly Kerssenberg lors d’une noce somptueuse avec 200 invités issus de la jet-set. L’ancien numéro 1 mondial a trouvé un bon moyen de financer les agapes : il a vendu l’exclusivité des images à la chaîne allemande RTL. Mais la polémique le rattrape : le prêtre dénonce le fait que les frais de location de la chapelle et d’organisation de l’office, fixés à 9 500 francs suisses (autant d’euros), n’ont jamais été réglés.

Faux passeport diplomatique

Après avoir passé la première moitié de sa vie sur les courts de tennis, Boris Becker passe le clair de la seconde dans les cours de justice. Conséquence logique des cascades de poursuites judiciaires, il est déclaré en 2017 en banqueroute personnelle par un tribunal de Londres. L’année suivante, dans un autre procès, Boris Becker brandit un passeport diplomatique censé garantir son immunité. Selon lui, le document l’accréditait comme conseiller du président de Centrafrique pour le sport et la culture. Une photo de lui posant avec Faustin-Archange Touadéra était censée authentifier son nouveau statut. Dans une certaine confusion, le passeport est finalement dénoncé comme un faux issu d’un stock de documents volés.

En juillet 2019, la star déchue vend aux enchères plusieurs dizaines de souvenir personnels. Le trophée reçu pour sa victoire à l’US Open 1989, une coupe en argent, s’envole à 167 000 euros. Mais le total récolté, 765 000 euros, est une goutte d’eau dans l’océan de dettes qu’il doit honorer : 56 millions. Les juges anglais se sont d’ailleurs interrogés sur d’autres objets introuvables du patrimoine de Boum Boum : ses trois trophées de Wimbledon ou sa médaille d’or [en double messieurs] aux JO de Barcelone, en 1992. Tête en l’air, Boris avoue qu’il ne se souvient pas où il les a rangés. Sans convaincre.

Le dernier épisode est celui qui l’envoie directement en prison. Le champion d’hier a toujours été proche de ses enfants, dont deux sont aujourd’hui mannequins, Elias et Anna. Et il a gardé le contact avec ses ex-épouses, qui, comme l’a démontré l’enquête, l’ont aidé à dissimuler frauduleusement les miettes qu’il restait de sa fortune. Le 28 avril, Boris Becker s’est présenté au tribunal de Londres avec sa compagne actuelle, Lilian de Carvalho Monteiro, et son fils aîné Noah, qui portait un sac de sport contenant affaires de toilette et vêtements de rechange. Pour l’occasion, Boris Becker avait mis une cravate rayée verte et violette : les couleurs du tournoi de Wimbledon.

(1) Sans filet, Michel Lafon, 2004.

François-Xavier Gomez