Les 16 et 17 juillet 1942, des policiers français ont arrêté 12 884 juifs parqués au Vel d’Hiv avant d’être déportés. Cette responsabilité mettra du temps à s’imposer, jusqu’à un discours historique de Jacques Chirac en 1995, qui changera radicalement la donne. Mais qui fait toujours tousser.
On est en septembre 1994 et quinze mois plus tard, François Mitterrand sera mort. Le Président de la République sait qu’il est malade, il achève aussi son deuxième septennat, et c’est Jean-Pierre Elkabbach qui l’interviewe sur France 2. Le journaliste entame ce rendez-vous cathodique aux allures de testament en vantant un de ces “moments exceptionnels” : “la première fois qu’un Président de la République en exercice accepte de parler de sa maladie et de son rôle dans une période de notre histoire récente qui reste encore taboue”. Deux bons tiers de l’entretien seront consacrés à Vichy, rejoint en 1942 par Mitterrand, celui qui fleurira la tombe de Philippe Pétain sur l’île d’Yeu une fois à l’Elysée – comme ses prédécesseurs. Il est question de son amitié avec René Bousquet, le patron de la police vichyste, dont Mitterrand ne se dédiera jamais : candidat socialiste dans la Nièvre, il avait même fait d’un des protégés son suppléant. Et encore largement question de ces excuses que Mitterrand, plusieurs fois déjà par le passé, a refusé de prononcer au nom de l’Etat. Pour le rôle de la France collaborationniste dans la Shoah, pour le passif du régime de Vichy et, en particulier, pour la rafle du Vel d’Hiv, qui remonte aux 16 et 17 juillet 1942, et dont l’histoire est fondamentalement encastrée dans celle de la solution finale et de l’extermination des juifs d’Europe, décidée cette année-là par l’Allemagne hitlérienne.
Plusieurs fois déjà, Serge Klarsfeld et d’autres avaient sollicité ce geste auprès de Mitterrand. Mais alors qu’il va bientôt quitter le pouvoir, le socialiste exclut toujours de laisser l’Etat français s’excuser : “La République n’a rien à voir avec cela. Et j’estime moi, en mon âme et conscience, que la France non plus n’en est pas responsable, que ce sont des minorités activistes qui ont saisi l’occasion de la défaite pour s’emparer du pouvoir et qui sont comptables de ces crimes-là, pas la République, pas la France. Et donc je ne ferai pas d’excuses au nom de la France.” En cette année 1994, quelques lieux communs et des contre-vérités continuent de circuler sur cette rafle en plein Paris, à laquelle procéderont un peu moins de quatre mille policiers français, un été par grand beau temps. Ce sont eux, et non la Gestapo comme on le lisait encore dans les manuels scolaires dans les années 1980, qui frapperont aux portes ce jeudi-là, sur le coup de 4 heures du matin, et jusqu’au lendemain, vers 17 heures. En 36 heures à peine, le 17 juillet 1942, ils avaient arrêté 8 833 juifs et juives de plus de 16 ans, conduits au Vélodrome d’hiver, où le Maréchal Pétain, quelques mois plus tôt, en décembre 1941, avait convié les enfants de Paris pour « le Noël du Maréchal ».
Dans ce haut lieu des fêtes populaires et sportives de la capitale sorti de terre en 1909 avec la mode du cyclisme, les policiers français parqueront aussi près de 5 000 enfants de surcroît. L’occupant allemand, pourtant, n’avait pas exigé l’arrestation de ces enfants. D’autant que beaucoup sont français, dans ces familles dont les expériences successives de l’exil ont souvent fait varier les nationalités comme autant d’histoires juives en strates. Or la rafle, initialement, visait d’abord les juifs étrangers et apatrides (y compris tous ceux que Vichy venait de dénaturaliser). Sur le papier seulement : des Français aussi seront entassés six jours au Vel d’Hiv avant d’être évacués jusqu’aux camps du Loiret (d’où les premiers convois de 3 700 juifs internés depuis l’année précédente venaient d’être déportés), puis vers Drancy – et, pour finir, les camps sur le sol polonais où ils seront massivement exterminés.
Au total, 12 884 juifs et juives seront arrêtés. Dont une majorité de femmes, et c’était là une nouveauté : les rafles précédentes s’en étaient tenues aux hommes, et d’ailleurs, ici ou là, des policiers avaient frappé aux portes pour embarquer un homme qui en vérité avait déjà été pris la fois précédente. Cette opération de police de juillet 1942 était le fruit d’un accord entre les autorités allemandes et le régime de Vichy, représenté par Bousquet, justement : patron de la police, lui entend ne pas se laisser mettre devant le fait accompli comme ce préfet de police qui, l’année d’avant, n’avait même pas été prévenu lors de rafles précédentes en août et en décembre 1941.
Un raté et en même temps un record
Ainsi la rafle du Vel d’Hiv est-elle réalisée par la police française, en lien étroit avec l’Allemagne nazie qui vient de mettre ce chiffre astronomique sur la table : déporter 90 000 juifs issus de France, de Belgique et des Pays-Bas – et 40 000 rien que pour la France. L’affaire se soldera à la fois par un raté monumental et un record astronomique : si moins de 9 000 adultes seront arrêtés au final, nulle part en Europe on aura déporté autant de gens en un temps si bref. Même pas à Berlin. Mais sur les 27 391 fiches distribuées aux binômes de policiers (l’un en civil, l’autre en tenue de gardien de la paix) qui écumèrent Paris les 16 et 17 juillet à la recherche de ces juifs étrangers dont les listes étaient prêtes, un tiers à peine rempliront leur objectif macabre. Avec des variations considérables d’un arrondissement à l’autre, de l’ordre de 20% dans le 2e arrondissement contre 60% dans le 12e, comme le montre l’historien Laurent Joly dans son nouveau livre, La Rafle du Vel d’Hiv, à paraître le 25 mai 2022 chez Grasset, et basé sur un travail d’archives largement inédit, précisément centré sur le rôle de la police parisienne dans cet épisode longtemps méconnu en dépit de son poids symbolique.
Car depuis la fin des années 1960 et notamment un livre chez Robert Laffont, La Grande Rafle du Vel d’Hiv, qu’on doit à Claude Lévy et Paul Tillard, deux anciens résistants communistes, la vaste opération parisienne des 16 et 17 juillet 1942 s’est installée dans l’imaginaire collectif comme un symbole des persécutions contre les juifs. Une antichambre à la déportation et à l’extermination, pour ainsi dire. C’est au moment où ils publient leur livre, important quoique truffé d’inexactitudes, qu’on se met à dire “la rafle du Vel d’Hiv” sans que ni la date, ni les circonstances exactes ne se fixent pour autant à l’esprit. A ce moment-là, aussi, qu’on commence à relever le poids de l’opinion publique dans la politique anti-juive de l’occupant, et de son allié à Vichy : conscients, depuis 1941, que le débarquement aurait lieu en France, et soucieux, à mesure que s’organise la Résistance, d’éviter une vaste insurrection de la population, l’Allemagne nazie n’aura en fait de cesse de jouer comme d’un robinet des mesures anti-juives en France, afin de ne pas heurter l’opinion publique.
Or pendant l’occupation, des évêques et notamment le primat des Gaules à leur tête se sont élevés contre le sort fait aux juifs, français comme étrangers. Les tracts de la résistance ne disent pas autre chose. Et dans les rangs de la police même, certains commissaires souffleront plus ou moins explicitement à leurs ouailles de ne pas faire de zèle – tandis que dans d’autres commissariats, on ne négligera pas, au contraire, de réclamer l’affectation des appartements juifs sous scellés aux familles des policiers du quartier. Mais ce n’est pas pour autant à ce moment-là qu’on cerne, ni ne met en lumière, la participation active de la police parisienne dans l’opération – ou, donc, la responsabilité des institutions.
Ainsi le rôle de la police française dans cette rafle de 1942 dont ne subsiste qu’une unique photographie fut-il durablement un angle mort dans l’histoire de la Shoah. Même une fois l’événement s’imposant dans les mémoires comme un temps culminant de la persécution, bien peu de travaux auront fait la lumière sur le rôle concret, actif, et parfois volontariste des policiers. Laurent Joly rappelle pourtant qu’à la Libération, l’épuration dans les rangs de la préfecture de police concernera un agent sur cinq. La moitié, quelque 2 000 fonctionnaires au total, seront sanctionnés. Notamment pour avoir non pas obéi aux ordres les 16 et 17 juillet, mais avoir fait du zèle, ou pris des libertés avec les consignes. C’est en plongeant notamment dans ces archives, et le témoignage direct de ces acteurs-là que l’historien parvient aujourd’hui, 80 ans après les faits, à reconstituer la trame de ce que fut, au ras du terrain et des actions à hauteur d’individu, cette opération criminelle qui scellera la mort de pas moins d’une victime sur six de la Shoah en France.
« Le plus grand mépris »
Parce qu’on l’a longtemps négligé, et aussi parce que la reconnaissance politique de cette rafle a tardé, la portée mémorielle de l’épisode pourtant emblématique est, durablement, restée comme raccourcie. Suspendue à un savoir qui tardait à se frayer un chemin – et aussi à ces excuses solennelles que les familles de déportés attendaient, et qui ne venaient pas, comme le montre l’entretien de 1994 avec François Mitterrand. A l’écran, sur cette vidéo d’archive si parlante, on le voit ainsi qui souffle et qui s’irrite, paraissant à la fois agacé et désinvolte : “Ils attendront longtemps. Ils n’en auront pas”. Il dira aussi : « La France n’est pas responsable. La France n’a pas d’excuses à donner, ni la République. À aucun moment je ne l’accepterai. Je considère que c’est une demande excessive, de gens qui ne sentent pas profondément ce que c’est que d’être français, l’honneur d’être français et l’honneur de l’histoire de France. […] C’est l’entretien de la haine. Et ce n’est pas la haine qui doit gouverner la France. Je ne me laisse pas impressionner par ce genre d’arguments ; et j’ai le plus grand mépris pour ceux qui les expriment. »
Longtemps, c’est en effet essentiellement la communauté juive qui prendra en charge le travail mémoriel autour des 16 et 17 juillet 1942. A la Libération, une cérémonie avait bien eu lieu, le 21 juillet 1945, non pas sur place mais au Parc des Princes, présidée par le maire communiste de Saint-Denis : le PCF était alors en pleine OPA mémorielle. Mais elle n’avait guère eu de suite ni trouvé assez d’écho pour endiguer la banalisation en train de se jouer. Car au Vélodrome d’Hiver, dès le mois d’octobre 1942, Marcel Cerdan, pour ne citer que lui, recommençait à disputer de fameux matches de boxe suivis par toute la France. C’est ainsi moins de trois mois après la rafle, et dans ces lieux mêmes, que le boxeur regagnait face à Ferrer son titre de champion d’Europe, catégorie poids moyens. Ce jour-là, dont on retrouve la trace dans une vidéo d’archive issue des Actualités officielles, la recette du vélodrome avait battu tous les records de l’histoire de la boxe.
Marcel Cerdan, champion du Vel d’Hiv trois mois après la rafle
Après guerre, c’est depuis le Vel d’Hiv, encore, que le journal Le Monde, par exemple, rendait compte du grand meeting que venaient d’y tenir, en juin 1947, des élus d’outre-mer ou du Sénégal (on disait « élus autochtones d’outre-mer »). Parmi eux, les communistes Aimé Césaire ou Lamine Gueye. Et puis, c’est là, aussi, que durant la guerre d’Algérie, un préfet de Paris du nom de Maurice Papon parquera encore des Algériens, militants de l’indépendance. Mais à vrai dire l’ordinaire pointait dès la Libération : des photos d’archives issues de série éparses montrent que les lieux avaient aussi bien servi, à quelques semaines d’écart, à l’accueil des prisonniers de guerre de retour en France, qu’à l’arrestation de ceux qu’on soupçonnait de collaboration, qui passeront en procès dans le cadre de l’épuration judiciaire.
Le bâtiment sera finalement détruit en 1959. Trois ans plus tard, une plaque était inaugurée, du côté de ce coin de rue du XVe arrondissement, à l’occasion des vingt ans de la rafle du Vel d’hiv. Ce jour-là, quelque 10 000 personnes assistaient à la cérémonie de commémoration. A cette date, aucun représentant de l’Etat n’avait encore pris la parole publiquement à ces rendez-vous solennels qui trouvaient place, année après année, en petit comité et souvent sous le soleil ironique de juillet. En 1965, Georges Pompidou, Premier ministre, avait fait le déplacement du côté de la rue Nélaton. En 1992, François Mitterrand fera de même, sollicité par Klarsfeld notamment, et sous la pression de la pétition d’un “comité Vel d’Hiv”. Il était resté muet, ce jour de cérémonie du souvenir, mais deux ans plus tard, face à Elkabbach, il dira, face caméra : “Est-ce que vous croyez que quand je suis allé, moi, au Vel’d’Hiv, quand j’ai vu le sort déchirant de ces familles juives, l’atroce situation qui leur était faite pour aboutir au terme de l’itinéraire dans les camps de déportation, c’est-à-dire souvent dans les fours crématoires, je n’étais pas épouvanté moi-même, et je n’en souffrais pas?”
La mémoire blessée
Il faudra attendre 1995 et un discours qu’on doit à Christine Albanel, la plume présidentielle, pour qu’un président de la République participe au travail commémoratif de la rafle du Vel d’Hiv : cette rupture mémorielle décisive arrive avec Jacques Chirac, élu deux mois plus tôt à l’Elysée. Ce dimanche 16 juillet 1995, un jour d’anniversaire même pas rond dans l’almanach des grandes dates de l’histoire, le successeur de Mitterrand entamera un discours qui tient sur moins de trois pages A4 en commençant par dire : “Il est, dans la vie d’une nation, des moments qui blessent la mémoire, et l’idée que l’on se fait de son pays. Ces moments, il est difficile de les évoquer, parce que l’on ne sait pas toujours trouver les mots justes pour rappeler l’horreur, pour dire le chagrin de celles et ceux qui ont vécu la tragédie. Celles et ceux qui sont marqués à jamais dans leur âme et dans leur chair par le souvenir de ces journées de larmes et de honte. Il est difficile de les évoquer, aussi, parce que ces heures noires souillent à jamais notre histoire, et sont une injure à notre passé et à nos traditions. Oui, la folie criminelle de l’occupant a été secondée par des Français, par l’Etat français.”
Ce discours (dont vous pouvez retrouver l’intégralité par ici) reste un tournant radical… qui continue de heurter certains, vingt-sept ans plus tard et alors que cette année 2022 est celle des quatre-vingts ans de la rafle. On le mesure par exemple en lisant Une énigme française, le livre que faisait paraître chez Albin Michel en janvier 2022 l’historien Jacques Semelin avec le journaliste Laurent Larcher. On y retrouve par exemple Robert Badinter, enfant juif du Paris de l’Occupation devenu proche de François Mitterrand, qui s’étrangle encore d’avoir entendu Chirac déclarer : “La France a commis l’irréparable. Manquant à sa parole, elle livrait ses protégés à leurs bourreaux.” Et protester toujours contre l’expression “faute collective” – même si, dans leur contexte, les mots disent plutôt : “Certes, il y a les erreurs commises, il y a les fautes, il y a une faute collective. Mais il y a aussi la France, une certaine idée de la France, droite, généreuse, fidèle à ses traditions, à son génie. Cette France n’a jamais été à Vichy. Elle n’est plus, et depuis longtemps, à Paris.”
Certains reprocheront à Chirac de faire (par exemple) trop peu de cas de ces Français qui aidèrent aussi à cacher des juifs dans un pays où justement 75% des juifs survivront à l’Holocauste. Mais bien des familles des déportés se féliciteront néanmoins de ce discours – « celui qu’on attendait« , réagira à plusieurs reprises Serge Klarsfeld. Celui, aussi, qui marque un changement de génération : Jacques Chirac est le premier président de la République en exercice à n’avoir pas connu la guerre. Et justement, dans un passage du discours moins connu, il précisait son entreprise : “Les plus jeunes d’entre nous, j’en suis heureux, sont sensibles à tout ce qui se rapporte à la Shoah. Ils veulent savoir. Et avec eux, désormais, de plus en plus de Français décidés à regarder bien en face leur passé.”
Sous les radars, un discours à longue portée
Jacques Semelin a rencontré Christine Albanel. Tout un chapitre d’Une énigme française est consacré à la plume de Chirac, à qui on doit ce texte historique. Rétrospectivement, elle affirme que le discours était alors passé sous les radars, qu’il ne s’agissait pas d’un grand rendez-vous mémoriel et que ces mots prononcés ce jour-là par Jacques Chirac n’avaient pas été relus par la garde rapprochée, à l’Elysée. A la lire, “la faute collective”, cette expression devenue si emblématique, ou encore l’adjectif “irréparable”, seraient presque fortuits. Sur franceinfo, précédemment, Christine Albanel avait déjà eu l’occasion de revenir sur les coulisses de ce discours historique. C’était à l’occasion du décès de Jacques Chirac, en 2019, à 86 ans, et l’ancienne plume assurait notamment que le texte n’avait pas fait l’objet de la lecture publique habituelle des grands discours politique à l’agenda, en présence d’une petite dizaine de conseillers. Cette année-là, assurait celle qui fut très proche de Chirac, la présence du président sur les lieux du Vel d’Hiv n’avait pas été anticipée comme un temps fort politique.
Pourtant, dès 1986, Jacques Chirac avait bien prononcé un discours du même creuset, au temps où il était maire de Paris et tout juste Premier ministre de la première cohabitation. C’était déjà un jour de célébration en mémoire de la rafle du Vel d’Hiv, et ce jour-là, c’est lui qui présidait la cérémonie. Et Serge Klarsfeld, dans ses Mémoires, a souligné ce qu’un lieu comme le Mémorial de la Shoah devait à l’ancien maire de Paris, avant même qu’il ne devienne président de la République pour finalement prononcer ce discours dès 1995. “Jacques Chirac s’était toujours intéressé à l’histoire des Juifs durant la période de l’Occupation. Il était venu au Mémorial du martyr juif inconnu_. Il s’était préoccupé de son avenir ; il avait eu l’occasion de s’entretenir avec nous et il avait très bien retenu que les juifs avaient été arrêtés et livrés par une police et une administration préfectorale aux ordres de leur gouvernement et que les seuls décideurs dans ce régime autoritaire avaient été le chef de l’État, le chef du gouvernement et le chef de la police ; que les corps intermédiaires et surtout la population n’y avaient pas pris part et que, bien au contraire, les Français, les braves gens, loin d’être des « veaux » avaient été des Justes”_, nuance ainsi Klarsfeld.
Dans la foulée du discours de 1995, la commission Mattéoli, mission d’étude sur la spoliation des juifs de France, sera lancée en 1997 et on pouvait lire ceci dans la lettre de mission signée d’Alain Juppé, Premier ministre : « Afin d’éclairer pleinement les pouvoirs publics et nos concitoyens sur cet aspect douloureux de notre histoire, je souhaite vous confier la mission d’étudier les conditions dans lesquelles des biens, immobiliers et mobiliers, appartenant aux juifs de France ont été confisqués ou, d’une manière générale, acquis par fraude, violence ou dol, tant par l’occupant que par les autorités de Vichy, entre 1940 et 1944. »
La portée du geste de 1995 sera décisive : après lui, les historiens pointent ce qu’ils appellent “un changement de régime mémoriel”. On ne reviendra plus en arrière. Quitte à ce que le coup de barre porte un peu loin. Ainsi, dans la conclusion de son nouveau livre sur la rafle de 1942, Laurent Joly rappelle qu’après lui, François Hollande (en 2012) comme Emmanuel Macron (en 2017) s’inscriront dans les pas de Jacques Chirac… quitte à finir par occulter carrément l’occupant nazi et son entreprise de la solution finale. Tout à leur affaire de reconnaître solennellement la culpabilité d’une partie de la France.
Les mots mêmes de Jacques Chirac (ou plutôt, ceux de Christine Albanel) se dupliqueront d’ailleurs en toutes lettres, et c’est dire si l’écho sera ample. On le mesure en épluchant (et comparant) les différents discours prononcés depuis 1995 en souvenir de la rafle du Vel d’Hiv. François Fillon, Premier ministre de Nicolas Sarkozy, reprenait par exemple à son compte le legs de Jacques Chirac en déclarant, à son tour, en 2007 : “Ce jour-là, la France accomplissait l’irréparable.” Et dire encore : “Au nom du président de la République, au nom du gouvernement, je m’adresse ici à la jeunesse française. Il y a soixante-cinq ans, des responsables de Vichy, des fonctionnaires, des collaborateurs, se sont souillés d’une faute pleine, indélébile. Leur faute n’est pas votre faute. Leur honte n’est pas votre honte.”