Cet homme d’affaires, possédant la double nationalité russe et britannique, ex-chef du Congrès juif européen, est désormais soumis aux sanctions britanniques.
Le personnage au visage banal mais pourvu de charisme, de faconde et d’entregent est aujourd’hui la victime collatérale de la crise diplomatique entre Israël et la Russie provoquée par les déclarations antisémites du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov. L’oligarque Moshe Kantor est en effet au cœur de ce grave différend qui a eu raison de la politique de neutralité de Jérusalem adoptée jusque-là dans la crise ukrainienne.
Interrogé sur un gouvernement ukrainien qu’il considère comme un héritier du nazisme et dont le président, Volodymyr Zelensky, est juif, le chef de la diplomatie a affirmé qu’Adolf Hitler avait eu lui-même « du sang juif ». La sortie de Lavrov a provoqué un haut-le-cœur à Jérusalem. Cette déclaration a accéléré la chute de Moshe Kantor, actionnaire de référence du géant russe des engrais Acron, qui ne jurait que par un seul homme : Vladimir Poutine.
Moshe Kantor a œuvré toute sa vie à la lutte contre l’antisémitisme. À écouter le sexagénaire, le maître du Kremlin était attaché au maintien du modèle pluriethnique et multiconfessionnel de la Russie du temps de l’ex-URSS. Selon l’intéressé, Poutine ne partageait pas la vision nationaliste, orthodoxe et antisémite d’une partie de l’entourage présidentiel. À l’instar de Lavrov, ce cercle regroupe les anciens apparatchiks soviétiques issus des organes de sécurité et du ministère des Affaires étrangères fermés aux juifs sous le communisme.
Un homme d’influence dans la communauté juive
C’est au nom de cette vision multiculturelle prêtée à Poutine que Kantor avait noyauté le Congrès juif mondial en vue d’accroître l’influence de Moscou dans ses instances dirigeantes. Fort du soutien de l’importante communauté juive russe, notamment celle installée en Israël, le diplômé d’ingénierie de l’aviation était devenu président du Congrès juif européen (CJE) en 2007. L’homme clé du pouvoir russe s’était bâti de solides réseaux dans la diaspora, en dépit de l’hostilité d’une partie de ses hiérarques, en particulier nord-américains, rétifs à son autoritarisme et à sa filiation poutinienne.
Kantor était un homme très courtisé. Le plus cité, aussi, dans les dîners en ville comme le prochain successeur du président du Congrès juif mondial, l’Américain Ronald Lauder, âgé de 78 ans. En vue d’accroître l’influence de son pays natal en Occident, à l’image des autres oligarques, Kantor avait infiltré l’establishment britannique par le truchement d’entremetteurs hautement rémunérés. Il était au mieux avec l’ancien Premier ministre travailliste Tony Blair comme avec des personnalités du Parti conservateur et des membres de la famille royale. Après avoir pris la nationalité britannique, son parcours était tout tracé : la Chambre des lords, où il comptait rejoindre son compère, le magnat des médias Evgeny Lebedev, fils d’un ancien agent du KGB, grâce à ses accointances dans les sphères dirigeantes du royaume.
Les temps sont durs pour les oligarques
Plus dure sera la chute. Le 3 avril, l’entrepreneur de l’agroalimentaire s’est retrouvé sur une nouvelle liste britannique des oligarques russes de la vie des affaires désormais « persona non grata ». L’Union européenne fera de même le 11 avril. Ses avoirs ont été gelés. L’intéressé a été contraint de démissionner non seulement du CJE, mais aussi du Congrès juif mondial, dont il dirigeait le conseil politique.
Au même titre que les oligarques juifs pro-Poutine Roman Abramovitch ou Mikhaïl Friedman, Moshe Kantor avait ses entrées au Kremlin. Aujourd’hui, il doit déchanter. La guerre en Ukraine et les revers de l’armée russe sur le terrain ont fait voler en éclats la vulgate multiethnique poutinienne au profit d’un retour à l’ordre ancien que symbolise la prééminence des nostalgiques du communisme d’antan.
Marc Roche