Arabie saoudite : comment le « paria » MBS prend sa revanche sur l’Occident

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Ostracisé par les dirigeants occidentaux depuis l’assassinat de Jamal Khashoggi, en 2018, le prince héritier Mohammed ben Salmane se voit à présent courtisé à la faveur de la guerre en Ukraine.

Toute la journée, Mohammed ben Salmane avait erré en solitaire dans les couloirs du centre des congrès de Buenos Aires, ce 30 novembre 2018. Sur la photo de groupe des dirigeants du G20, le prince héritier d’Arabie saoudite rentrait à peine dans le cadre, relégué sur la gauche. Un mois après l’assassinat de l’opposant saoudien Jamal Khashoggi, découpé à la tronçonneuse dans un consulat d’Istanbul, MBS semblait radioactif pour les grands de ce monde. A une exception près.

Dans un immense éclat de rire, au milieu de chefs d’Etat stupéfaits, Vladimir Poutine avait offert à MBS un high five inoubliable et une franche accolade. La Russie se tenait aux côtés du prince héritier, y compris dans un moment de total isolement. Un peu plus de trois ans plus tard, en pleine invasion de l’Ukraine, le président russe se retrouve dans le rôle du dirigeant radioactif, et le prince héritier d’Arabie saoudite prouve qu’il a de la mémoire.

Dès le début de la guerre, les Occidentaux se sont tournés vers l’Arabie saoudite, premier producteur mondial de pétrole, pour qu’elle stoppe la flambée des cours des hydrocarbures en augmentant son offre. Alors que Londres évitait MBS depuis trois ans, Boris Johnson s’est envolé pour Ryad dès le 15 mars afin « d’obtenir des garanties énergétiques » de la part du prince saoudien. Le Premier ministre britannique est reparti les mains vides et la tête basse.  

Joe Biden, qui avait qualifié MBS de « paria » lors de sa campagne présidentielle et  refusait de lui adresser la parole, a tenté plusieurs fois d’avoir le prince héritier au téléphone. D’après la presse américaine les Saoudiens ont refusé de décrocher. « Nous assistons à un moment stupéfiant, presque incroyable, souligne David Ottaway, spécialiste du Golfe au Wilson Center, à Washington. Je couvre les relations entre l’Arabie saoudite et les Etats-Unis depuis des dizaines d’années, jamais je n’avais vu un président américain se voir refuser un échange avec le leader saoudien. Notre relation historique, fondée sur l’échange pétrole contre sécurité, est clairement remise en question. » Depuis son arrivée à la Maison-Blanche, Biden n’a même pas pris la peine de nommer un ambassadeur à Riyad

Le prince héritier d’Arabie saoudite, qui a survécu à sa mise au ban de la communauté internationale, se sait en position de force. Dans une interview accordée au magazine américain The Atlantic début mars, MBS raconte qu’il n’en a « rien à faire » de ce que pense le président américain.

« L’aplomb qu’arborent désormais ces dirigeants est symptomatique de leur influence croissante dans le monde, estime Fatiha Dazi-Héni, chercheuse à l’Institut de recherche stratégique de l’Ecole militaire et auteure de « L’Arabie saoudite en 100 questions » (Tallandier, 2020). Ils misent sur le probable dernier boom pétrolier de leur histoire et comptent sur leurs puissants fonds souverains pour investir dans l’après-pétrole. » Signe de cette nouvelle donne, l’Arabie saoudite a mis à mort 81 prisonniers le 12 mars, juste avant la visite de Boris Johnson. L’Occident n’a répondu à cette exécution de masse que par un lourd silence.

Fatigué des leçons de morale sur les droits de l’homme et déçu par le « pivot » américain vers l’Asie, Riyad se rapproche chaque jour de la Russie et de la Chine. « L’alliance entre MBS et Poutine fonctionne à merveille pour eux deux, pointe David Ottaway. Elle a une grande valeur économique puisqu’ils s’accordent pour maintenir les prix du pétrole élevés, et une grande valeur politique puisqu’elle offre aux Saoudiens des alternatives à leur dépendance aux Etats-Unis. »

Washington, principal pourvoyeur d’armes du royaume, devient un protecteur de moins en moins fiable, qui tente de signer un accord diplomatique avec l’ennemi iranien. Moscou a proposé de fournir aux Saoudiens son système de défense antiaérien S-400, des hélicoptères ou encore des centrales nucléaires. Pour l’instant, MBS n’a pas donné suite.