La communauté juive, qui compte environ 35000 membres, est partagée quant à l’exode devant la guerre. Nombre d’entre eux sont décidés à rester et pensent, comme un rabbin du centre-ville, qu’il est «plus facile d’être juif à Odessa qu’à Paris».
En ce vendredi 11 mars synonyme de jour de shabbat, une vingtaine de fidèles sont rassemblés au cœur d’Odessa dans la synagogue du mouvement Chabad. Une maigre affluence à l’image de la lente décrue du nombre de juifs dans ce berceau d’Europe centrale. Le conflit avec la Russie a provoqué de nombreux départs, à Odessa comme à Kiev et ailleurs dans le pays.
« Mais cette fuite ne concerne pas uniquement les juifs. Tout le monde a envoyé femmes et enfants à l’abri pour des raisons de sécurité », souligne un enseignant en étude hébraïque dont les enfants se trouvent désormais en Allemagne et en Roumanie.
Il n’empêche, pour le rabbin Avraham Wolff, le responsable de cette synagogue orthodoxe loubavitch, il s’agit d’une « perte énorme pour la communauté ». « Ceux qui partent en ce moment ne reviendront peut-être jamais », s’alarme ce natif d’Israël installé en Ukraine depuis trente ans. D’après son décompte, sur les 35 000 juifs qui vivaient à Odessa avant cette guerre, 5000 ont déjà fait leurs valises.
« Laisser les tombes de mon mari et de mes parents derrière moi »
Chaque matin, plusieurs bus quittent la gare sous escorte policière pour rejoindre la Moldavie ou la Roumanie. Uriel, 40 ans, longue barbe rousse, gère la sécurité de ces convois. « Au début, nous ne transportions que des juifs. Mais nous acceptons tous ceux qui nous demandent de l’aide. On ne fait pas de distinction », explique cet homme qui porte un sweat à la gloire du Mossad, les services secrets israéliens.
La plupart des partants sont des personnes âgées. Certains ont déjà connu un premier exil pendant la Seconde Guerre mondiale : forte de 500 000 membres avant le conflit planétaire, la communauté juive d’Odessa a été décimée par une série de massacres perpétrés à partir de 1941.« Aujourd’hui, je dois quitter la terre de mon mari et de mes parents, laisser leurs tombes derrière moi », a confié à l’AFP Galina Dimievitch, une femme de 87 ans originaire de Mikolaïv et qui avait déjà fui l’Ukraine en 1942 avec ses parents. Après avoir perdu son mari le premier jour de l’offensive russe, elle rejoint son fils en Israël. Les circonstances sont ici évidemment incomparables.
Même s’il se désole de ce nouvel exode, le rabbin Wolff se veut philosophe. « Le peuple juif a toujours été nomade. Cela remonte à Abraham et Jacob, souligne-t-il. Une blague résume bien ça : deux juifs sont en train de discuter lorsqu’un troisième arrive et leur dit : Je ne sais pas de quoi vous parlez mais il faut partir. » Au passage, il remercie les autorités allemandes pour avoir permis le transfert de 120 orphelins vers Berlin, un geste lourd de symbole.
« Cette attaque près du mémorial est une insulte à notre histoire »
Ceux qui restent entendent défendre leur identité et leur patrie. « J’ai grandi ici et je veux continuer à vivre ici », assure l’enseignant, qui dit n’avoir jamais souffert d’antisémitisme. C’est avec humour qu’il l’illustre : « Un soir, nous sortions d’un mariage où nous avions bien bu. Pour rire, nous avons entonné des chants antisémites. Deux Ukrainiens se sont approchés pour nous casser la gueule, ça vous montre ce qu’ils pensaient de nos chants », s’amuse cet homme pieux de 55 ans à la longue barbe grise.
« OK on a eu des problèmes avec des supporters de foot néonazis mais cela ne représente même pas 1 % de la population d’Odessa », rassure Dima, qui sert les nombreux clients venus se ravitailler à l’épicerie kasher de la synagogue en ce jour de shabbat. « Il est plus facile d’être juif ici qu’à Paris », enfonce le rabbin Avraham Wolff.
Le discours de Vladimir Poutine, qui justifie son offensive par la volonté de « dénazifier » l’Ukraine, ne les intéresse guère. Même s’il ne revendique pas sa judéité, le président ukrainien Volodymyr Zelensky est lui-même juif. « Ce n’est rien d’autre que de la propagande », balaie un fidèle quand le rabbin, prudent, préfère éluder toute question politique.
Par son outrance, les propos du maître du Kremlin braquent la communauté. Ses actes aussi. Le 2 mars, un missile russe a endommagé la tour de la télévision à Kiev. L’antenne jouxte le jardin commémoratif du massacre de Babi Yar (près de 34 000 juifs massacrés en deux jours par les nazis en septembre 1941). Les ancêtres d’Andrii Falkovskyi en faisaient partie. « Cette attaque à proximité du mémorial est une insulte à notre histoire », assène cet avocat rencontré au marché au livre d’Odessa. Se décrivant comme « totalement laïc », ce juriste de 46 ans n’a aucune envie de quitter son pays.
À la synagogue aussi, on se dit prêt à affronter la menace russe. Uriel s’en sort par une blague, évidemment : « Il faut bien que quelqu’un reste pour éteindre l’électricité en partant. »