Selon l’essayiste Noémie Halioua, les interventions du candidat LFI sur les questions juives sont «plus qu’ambiguës», voire «conspirationnistes». Il faut lire cet article pour comprendre une partie de la communauté juive.
Assistons-nous à une « remontada » ? Les partisans de Jean-Luc Mélenchon y croient. Certains instituts de sondage, dont Elabe, placent le leader de La France insoumise à la troisième place des intentions de vote à la présidentielle de 2022, derrière l’intouchable Emmanuel Macron et la candidate du Rassemblement national Marine Le Pen. Jean-Luc Mélenchon peut encore espérer incarner le vote utile à gauche et accrocher la deuxième place qualificative pour le second tour. Ce scénario inquiète Noémie Halioua, spécialiste de l’histoire juive, autrice de L’Affaire Sarah Halimi (Cerf, 2018) et de l’essai Les uns contre les autres – Sarcelles, du vivre-ensemble au vivre-séparé, qui vient de paraître aux éditions du Cerf. Dans un entretien au Point, elle alerte sur les périls du candidat Mélenchon, dont les interventions sur les questions juives sont « plus qu’ambiguës » et « parfois clairement conspirationnistes ».
Le Point : Pensez-vous Jean-Luc Mélenchon capable de décrocher la deuxième place au premier tour de l’élection présidentielle, le 10 avril prochain ?
Noémie Halioua : Il est bien prétentieux celui qui pense que l’Histoire est écrite d’avance. Jusqu’à la dernière seconde tout peut toujours basculer, dans un sens ou dans un autre. Qui aurait pu imaginer qu’à un mois de l’élection présidentielle, les journalistes auraient les yeux rivés sur l’Ukraine ? Disons que pour l’heure, le scénario d’un Mélenchon au second tour n’est pas le plus envisageable, mais qu’il n’est pas impossible. Et la tendance montre que cette possibilité est de moins en moins improbable. Si Marine Le Pen et Éric Zemmour se neutralisent par exemple, et qu’un nombre significatif de partisans de Yannick Jadot et de Fabien Roussel décident de voter « utile » et de se reporter sur celui qui a le plus de chance de gagner à gauche. À surveiller, donc.
Jean-Luc Mélenchon se démarque par ses talents incontestables d’orateur et de rhéteur, son charisme, mais aussi par ses coups de sang et ses crises d’impulsivité. Au cours de toute sa vie politique, il n’a jamais brillé pour sa pondération ou son sens de la diplomatie. Si un caricaturiste devait lui brosser le portrait, il le dessinerait avec des grosses billes et des sourcils froncés, le mot « crétin » sortirait de sa bouche. Qui peut oublier cette scène lunaire d’octobre 2018, lorsque des policiers ont débarqué au siège de La France insoumise pour une perquisition et qu’il leur a hurlé dessus « La République, c’est moi ! », les yeux sortis de leurs orbites ? On pourrait lister les coups d’éclat de ce type qui montrent un personnage qui peine à se maîtriser. Lui confieriez-vous les codes nucléaires ? Moi pas.
Jean-Luc Mélenchon a, de longue date, une relation conflictuelle avec le Crif. Pourquoi ?
Il s’en est pris en 2019 au grand rabbin d’Angleterre, l’accusant d’avoir fait perdre le travailliste Jeremy Corbyn. A-t-il dérapé ?
Ah non ! On n’est pas ici sur un propos sorti de son contexte et monté en épingle comme peuvent l’être certaines polémiques injustes. Il s’agit ici d’un texte bien pesé, publié sur son blog en décembre 2019, qui commentait le score médiocre du travailliste britannique Jeremy Corbyn. Plutôt que de réfléchir aux causes profondes de ce marasme, il a dressé une liste de « coupables ». Un texte ordurier dans lequel, justement, il dénonçait pêle-mêle « le grand rabbin d’Angleterre et les divers réseaux d’influence du Likoud », ou encore les « génuflexions devant les oukases arrogants des communautaristes du Crif ». Quel est le lien entre le Crif et la gifle électorale de son copain gauchiste ? Lui seul le sait.
Je ne suis pas psychanalyste. Je ne sais quelle est la nature de son état psychique, mais mises bout à bout, ses interventions sur le sujet sont plus qu’ambiguës, parfois clairement conspirationnistes. Lorsqu’il affirmait au cours d’une émission de télévision que Zemmour « ne doit pas être antisémite parce qu’il reproduit […] beaucoup de traditions liées au judaïsme », on se demande s’il est expert en tradition juive ou s’il prévoit de concourir à la fonction de rabbin. Plus sérieusement, je pense que Jean-Luc Mélenchon est plus dangereux qu’Éric Zemmour pour les Juifs de France. Personnellement, s’il arrivait au pouvoir, je serais très inquiète. Et si j’avais des enfants, je le serais encore plus pour leur avenir.
Rappelons aussi qu’il déclarait il n’y a pas si longtemps que les meurtres de Mohammed Merah, comme les autres attentats qui étaient survenus en période présidentielle, étaient « écrits d’avance ». Cela supposerait qu’en coulisse, une force obscure tisse des ficelles… Comme le disait à ce sujet le sociologue Gérald Bronner dans Le Figaro, dans sa dérive, il fait preuve d’une déchéance totale de rationalité.
Et cela, sans parler de ceux qui l’entourent. Les propos de Danièle Obono défendant sa « camarade » Houria Bouteldja, membre des Indigènes de la République et auteur d’un pamphlet antisémite, auraient dû la discréditer à jamais. Un chef républicain aurait immédiatement exclu de sa cour un tel personnage.
Vous avez déclaré que Jean-Luc Mélenchon instrumentalise le conflit israélo-palestinien. Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
Il est de toutes les luttes anti-israéliennes, sachant combien cela trouve écho chez cette partie de son électorat qui prend prétexte de la lutte palestinienne pour taper sur les juifs. La récente étude de la Fondapol met en relief une poche d’antisémites dans les réserves de voix de Mélenchon, il convient sans doute pour lui de ne pas la froisser.
Il soutient le mouvement de boycott BDS, quasiment systématiquement dans les manifestations anti-israéliennes, y compris en 2014, lorsqu’elles avaient viré à l’émeute antijuifs à Paris et à Sarcelles (Val-d’Oise). Lui et son groupe parlementaire de La France insoumise se sont positionnés pour défendre Salah Hamouri, Marouane Barghouti… Tous soupçonnés, voire condamnés pour terrorisme. En revanche, l’enfer syrien ou le chaos au Yémen, ils n’en ont cure.
Rappelez-vous qu’en 2017, Israël avait carrément refusé l’entrée sur son territoire à des parlementaires Insoumis, notamment Clémentine Autain et Danièle Obono. Dans un communiqué, le ministre israélien de la Sécurité publique de l’époque, Guilad Erdan, avait expliqué qu’il n’était pas question de laisser atterrir sur son sol des élus hostiles à Israël. Sur le coup, la France devrait en prendre de la graine.
Les fractures françaises seraient encore aggravées avec l’homme qui a été vent debout contre la loi Séparatisme.
Vous avez publié un livre sur Sarcelles, ville de banlieue parisienne où vit une importante communauté juive et musulmane. Est-ce un laboratoire pour Jean-Luc Mélenchon ?
Sarcelles incarnait la France d’hier et préfigure la France de demain. C’est une ville symbole qu’il convient d’ausculter comme telle. J’ai écrit un livre sur Sarcelles qui est un livre sur la France, qui retrace l’évolution des cinquante dernières années à l’échelle d’un territoire. Le réveil de l’instinct tribal, la démission des pouvoirs publics, l’abandon de l’idéal républicain, la montée du communautarisme. Il y a fort à parier que ces fractures seraient encore aggravées avec l’homme qui a été vent debout contre la loi Séparatisme qui visait à pousser les cadres et les communautés religieuses à faire un « serment d’allégeance » à la République.
Sarcelles, dites-vous dans votre essai, est passée du « vivre-ensemble » au « vivre-séparé ». C’est ça, la France de Jean-Luc Mélenchon ?
Il me semble que Jean-Luc Mélenchon ne rêve pas d’une société plurielle mais homogène, c’est en ce sens qu’il parle de « créolisation », qu’il décrit comme « universalisme humaniste ». De fait, il abandonne le modèle républicain de l’intégration sur des bases communes, préexistantes, que n’importe qui peut acquérir. Il pense que la lutte sociale tuera la lutte identitaire et demeure aveugle au problème de l’insécurité culturelle et qui touche d’abord les classes populaires.
Estimez-vous que Jean-Luc Mélenchon surfe sur la boue pour gagner ?