Dix ans plus tard, la communauté juive de Toulouse meurtrie se souvient

Abonnez-vous à la newsletter

En mars 2012, la semaine meurtrière de Mohammed Merah à Toulouse se concluait par la tuerie de l’école Ozar-Hatorah. La communauté juive locale reste profondément marquée par le drame mais cherche à dépasser la douleur et la peur récurrentes.

« C’est lourd, très lourd, souffle Salomon Attia, secrétaire général du Crif Midi-Pyrénées. On y pense tout le temps, mais avec cette période de commémorations qui commence, la blessure s’ouvre encore plus. » Pendant quelques jours, jusqu’à l’hommage aux victimes programmé le 20 mars, toute la communauté juive de Toulouse va revivre le terrible carnage du lundi 19 mars 2012.

Ce matin, il y a dix ans, où Mohammed Merah pénètre dans l’école juive Ozar-Hatorah à Toulouse et exécute quatre personnes : la fille du directeur de l’établissement, Myriam Monsonego, 8 ans, les deux frères Arié et Gabriel Sandler, 5 et 3 ans, et leur père enseignant, Jonathan, 30 ans. Point d’orgue de la semaine criminelle du tueur qui abattit aussi froidement trois militaires les 11 et 15 mars.

« La communauté a perdu 20 % de ses membres en dix ans »

« Le problème de la mémoire traumatique, c’est qu’elle ne s’efface jamais, lâche Nicole Yardeni, à l’époque présidente du Crif local et aujourd’hui adjointe à la culture à la mairie de Toulouse. Persiste aussi malgré tout ce sentiment de solitude qui nous saisit alors, face au déni total de ce que nous dénoncions déjà depuis des années : la montée d’un nouvel antisémitisme sous l’influence d’un islamisme radical, que quasiment personne alors ne voulait seulement nommer. »

Une dizaine de jours après le drame, lors de la marche blanche organisée dans la Ville rose, « nous n’étions finalement pas si nombreux, se souvient Yves Bounan, président de l’Association cultuelle israélite de Toulouse (Acit). Ensuite s’est ouverte une période de fuite, vers Israël ou ailleurs. 300 personnes environ nous ont quittés tous les ans. Le phénomène s’est depuis calmé, mais la communauté, de 12 000 personnes aujourd’hui, a perdu 20 % de ses membres en dix ans. »

La peur toujours là

Cette décennie s’est écoulée au rythme d’une actualité anxiogène : Charlie Hebdo, le Bataclan et les autres attentats, le meurtre de Mireille Knoll en 2018, l’absence de procès dans l’affaire Sarah Halimi. « Chaque événement ranime une peur latente, et cette question qui nous taraude : qu’allons-nous devenir ?, reprend Yves Bounan. C’est toujours là parce que, quand nous emmenons nos enfants à l’école, il faut passer les protections et des murs de 3 mètres de haut. Parce que nous sommes obligés de leur demander de mettre une casquette cachant leur kippa. »

« Le judaïsme dans l’espace public reste très compliqué, assure Franck Touboul, président du Crif Midi-Pyrénées depuis 2015. Il y a quelques jours encore, un de nos rabbins passant dans la rue a reçu un sac-poubelle balancé d’un étage. » La cohabitation dans certains quartiers « est désormais absolument impossible », juge Nicole Yardeni. « Nous sommes intervenus plusieurs fois ces deux dernières années pour aider au relogement de personnes menacées et injuriées quotidiennement, à Toulouse mais aussi dans des villes périphériques », indique Yves Bounan.

Des signes de renaissance

Noir constat ? Pas seulement. La communauté est tiraillée entre inquiétude amère et besoin d’optimisme. « Je ne veux pas d’un regard empathique, je veux que l’on comprenne : ce que nous avons vécu à Toulouse était un signal qui résonne encore, marque Franck Touboul. Certains l’entendent aujourd’hui, et je vois bien que ma communauté a aussi envie de se retrouver sur autre chose que la peine. Des signes de renaissance sont perceptibles. »

Ces signes, Salomon Attia et le vice-président du Crif, Roger Attali, s’appliquent à les multiplier pour « créer des ponts et abattre les préjugés ». Des repas réguliers avec d’autres responsables religieux, la mise au point de documents pour les agents municipaux confrontés à des questions sur la laïcité, une ouverture des synagogues aux écoles et autres visiteurs, la création en 2015 d’un diplôme « droit et religions » (qui en est à sa 9e promotion), un travail de mémoire avec des Tutsis et des Arméniens, un rapprochement avec les scouts musulmans…

Les actions concrètes sont légion et « dépassent le discours un brin galvaudé sur le vivre-ensemble », promet Salomon Attia. « Bien sûr, demeure le sentiment que les choses peuvent devenir dramatiques rapidement, conclut Roger Attali. Nous avons la responsabilité d’être lucides. Sans s’interdire l’optimisme. »

La semaine criminelle de Mohammed Merah

  • 11 mars 2012. Une patrouille de police découvre à Toulouse le corps d’Imad Ibn Ziaten, jeune militaire de 30 ans, abattu d’une balle dans la tête.
  • 15 mars. Trois militaires du 17e régiment du génie parachutiste de Montauban sont pris pour cible devant leur caserne par un individu à scooter : Mohamed Legouad et Abel Chennouf, 23 et 25 ans, décèdent. Loïc Liber, 27 ans, touché au dos, est aujourd’hui tétraplégique.
  • 19 mars. Carnage à l’école juive d’Ozar-Hatorah, qui fait quatre victimes dont trois enfants.
  • 22 mars. Mohammed Merah est neutralisé par la police, qui donne l’assaut contre son appartement après trente heures de négociations.

Une journée de commémorations est programmée à Toulouse le dimanche 20 mars en présence d’Emmanuel Macron, de ses prédécesseurs Nicolas Sarkozy et François Hollande, et du président israélien, Isaac Herzog.

Source lacroix