Autocensure, agressivité et antisémitisme à Sciences Po Grenoble

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Des documents internes à l’école, que « Le Point » s’est procurés, font état d’un climat particulièrement néfaste au débat d’idées au sein de l’école.

« Certains enseignants ont peur d’être censurés dans leur classe. » Les comptes rendus de plusieurs réunions tenues en janvier à Sciences Po Grenoble, dont l’une sur la question de « la libre prise de parole et expression d’opinions en cours », sont sans équivoque. Le climat de l’institut d’études politiques grenoblois ne s’est guère arrangé. Et la liberté académique ne ressort pas – pour l’heure – gagnante de ce que l’on pourrait qualifier d’« épisode Klaus Kinzler », ce professeur d’allemand et de civilisation allemande ayant exercé vingt-six années dans l’école.

Accusé il y a près d’un an de « fascisme » par des étudiants pour s’être opposé à l’idée de mettre sur un même plan « antisémitisme », « racisme » et « islamophobie » – c’était l’intitulé d’un débat –, l’enseignant avait été dénoncé par une collègue offensée. Puis il avait fait l’objet d’une campagne de dénigrement à l’initiative d’une quinzaine d’étudiants, par voie de collages, largement relayés sur Facebook, sur les murs de l’établissement.

Klaus Kinzler avait alors cessé d’y assurer ses cours, avant d’être mis à pied par sa hiérarchie. Il dénonce depuis, par voie de presse, l’inertie de la direction ainsi que l’idéologie des élèves et d’un noyau dur d’une vingtaine de professeurs, déplorant, dans L’Opinion, l’arrivée de « jeunes chercheurs adeptes des théories woke, décolonialistes, communautaristes, anticapitalistes », et d’« étudiants endoctrinés ».

« Limites au pluralisme »

« Certains enseignants signalent qu’ils évitent les débats en classe, car certains étudiants refusent de faire des jeux de rôle, comme “Je suis un homme et non une femme, et je ne peux donc pas penser comme une féministe” », consigne ainsi le compte rendu de réunion en date du 11 janvier dernier. Qui mentionne aussi que ces derniers sollicitent, parfois, « des avertissements (triggers) lorsqu’on traite de certains sujets sensibles ».

Des élèves manifestent « leur incompréhension sur les sujets dont on peut débattre », relate au Point l’un des professeurs de l’institut d’études politiques présent à cet échange. Confirmant, sans en avoir été lui-même « le témoin direct », que les débats y sont devenus « moins évidents » et que plusieurs de ses collègues font état d’une « impression de dégradation globale » à ce sujet.

Et les documents de révéler les difficultés d’échanger lors d’exercices : « Comment endosser le rôle de médiateur lors de l’exercice de débat en cours sans que l’intervention de l’enseignant soit perçue comme une prise de position pour l’un ou l’autre étudiant ? » Certains sujets « destinés à faire parler les étudiants [comme en cours de langues, NDLR] », souvent « polémiques/problématiques » afin d’encourager au « débat », pouvant « prendre une tournure agressive », mentionne le compte rendu de la réunion.

« Confiscation des débats »

Un climat délétère pour les professeurs comme pour les élèves. Si la directrice de l’établissement, Sabine Saurugger, assure au Point que « chacun peut s’exprimer librement » et que [s]es étudiants « ne témoignent d’aucune réserve dans leurs prises de parole », elle raconte aussi avoir déployé, depuis janvier, un « plan d’actions visant à préserver la sérénité de l’établissement » – dont ces réunions sont partie intégrante – et reconnaît l’existence de « petits groupes d’étudiants très politisés » responsables de « phénomènes de confiscation des débats qu’il s’agit de prévenir ».

« Des étudiantes et étudiants ont fait état auprès de collègues du sentiment de se sentir parfois menacés en raison des positions qu’elles ou ils pourraient prendre lors de certaines discussions/débats organisés dans les cours […] et n’osent pas toujours intervenir », mentionne ainsi le compte rendu du conseil pédagogique tenu le 21 janvier dernier.

Et le compte rendu d’aboutir sur une proposition : la banalisation d’« une demi-journée […] pour réunir les étudiantes et étudiants avec des enseignantes et enseignants […] pour discuter de ce problème ». Louable initiative. « Mais sans concordance avec les groupes de CM [conférences de méthode, équivalent des « TD » de l’université, NDLR], précise le rédacteur de la synthèse, pour faire dialoguer des gens sans crainte de s’exprimer devant son groupe habituel »…

Source lepoint