Aujourd’hui Le Parisien propose deux excellents articles sur l’augmentation des agressions antisémites en France : Interview de Simone Rodan et vécu des juifs du 19ème arrondissement.
La vie des juifs dans le 19ème arrondissement
Insultes, peur des agressions… La communauté juive du nord-est de la capitale vit en permanence avec ces menaces en tête.
Aharon n’a jamais subi d’actes antisémites, mais la peur est là. « Parce qu’on sait que ça existe », explique-t-il, et comme l’atteste l’enquête menée par l’American Jewish Committee sur l’antisémitisme en France, dont nous publions les résultats en exclusivité. « Sarah Halimi, ça aurait pu être ma grand-mère… », s’émeut-il, attablé devant un café et un croissant aux amandes dans une boulangerie casher du XIXe arrondissement de Paris.
À moins de 80 jours du premier tour de l’élection présidentielle, le père de famille n’attend pas grand-chose des candidats. « On pourrait avoir des attentes envers les politiques, mais on sait que c’est perdu d’avance. Ce n’est pas une question de désespoir, on est lucides. Aucun candidat ne fera bouger les choses. » Il cite les discours de Nicolas Sarkozy sur la question, ou encore l’année où la lutte contre l’antisémitisme a été décrétée comme grande cause nationale.
« Le problème ne date pas d’hier », renchérit Yoni, le gérant de la boulangerie. « Le dernier candidat qui avait une carrure, c’est Chirac (En 1995, l’ancien président avait reconnu la responsabilité de l’État français dans la déportation des juifs). » Au quotidien, le quadragénaire ne ressent pas d’antisémitisme. « On vit et on travaille avec tout le monde », assure-t-il. Pour lui, c’est du côté de la délinquance et de la justice qu’il aimerait que les choses évoluent. « Il y a trop de laisser-aller. »
À quelques rues de là, Yariv est responsable d’un supermarché casher dans le XIXe arrondissement. Il a déjà reçu des insultes antisémites, mais il estime que le sujet ne doit pas être traité à part. « C’est le racisme et la xénophobie en général contre lesquels il faut lutter. Le combat est le même pour tous », appuie le jeune homme de 25 ans.
« Pour l’instant, dans la campagne, on n’en parle pas », regrette quant à lui Albert, « pas du tout » pratiquant. Pour ce retraité de l’Éducation nationale, l’antisémitisme doit avoir toute sa place dans les débats pour accéder à l’Élysée. « La République a toujours été vigilante, convient-il, mais j’ai l’impression que les politiques ne sont pas à l’aise avec le sujet parce qu’ils ne veulent pas se mettre à dos une partie de l’électorat. » Les propos chocs tenus par Éric Zemmour le sidèrent. « Le peu de réactions politiques aux propos d’Éric Zemmour, c’est effrayant », s’insurge Albert.
« Zemmour est dans la provocation », abonde Eytan, depuis la librairie religieuse dans laquelle il travaille. S’il n’a pas encore fait son choix pour la présidentielle, il sait qu’il ne votera pas pour l’ancien polémiste de CNews. La politique ? « On est lassés », lâche-t-il. « À l’école, c’était mal vu de dire que j’allais à la synagogue. J’étais le petit juif du quartier », se remémore le jeune homme de 28 ans, qui a grandi en banlieue avant de venir s’installer dans le nord est parisien. « On sait d’où vient l’antisémitisme, soit de l’extrême droite, de l’extrême gauche ou de l’islamisme ». Une forme de désillusion s’est emparée de lui vis-à-vis du politique. « Mais en même temps, que peuvent-ils faire ? » Pour lui, la réponse est avant tout sécuritaire. « Le sujet, c’est la sécurité pour tous les citoyens français ».
La plupart des Français juifs ont intégré l’existence d’une menace
Simone Rodan est directrice Europe de l’American Jewish Committee (AJC). Selon elle, l’antisémitisme aujourd’hui « ne prend plus tout à fait le même visage, il se transforme ».
À cause de l’antisémitisme, les Français juifs ne vivent pas comme la majorité des Français ?
Simone Rodan. Leur quotidien n’est pas le même. La plupart des Français juifs ont intégré l’existence d’une menace et ont adopté une stratégie de dissimulation. Ceux qui portent des signes religieux les cachent dans certains lieux, beaucoup évitent de dire qu’ils sont juifs à l’école ou au bureau. Cela s’observe plus fortement aux moments de tensions entre Israël et les Palestiniens au Proche-Orient.
Justement, jeudi, Jean Castex sera à Auschwitz. Vous attendez une parole, des actes particuliers ?
Il y a des non-dits ? Un antisémitisme qu’on a du mal à appeler par son nom ?
Le président de la République et ses prédécesseurs ont compris que l’antisémitisme aujourd’hui prend surtout la forme de l’antisionisme. Il n’y a pas assez de pédagogie à ce sujet et je pense que c’est aussi le rôle du politique de le faire. L’antisémitisme d’origine chrétienne ou d’extrême droite ne se traite pas forcément de la même manière que l’antisémitisme musulman. Il y a des non-dits et on hésite sur les réponses à apporter. Est-ce que l’on mène des politiques publiques différentes, notamment dans les quartiers ? Il y a une gêne à penser que des populations discriminées peuvent être aussi porteuses de préjugés antisémites.
Quand un candidat à la présidentielle se livre à une sorte de réhabilitation de Pétain, remet en question des concepts historiques, comment réagissez-vous ?
C’est ignoble et foncièrement irresponsable. Un pays qui ne regarde pas son passé de manière honnête ne peut pas construire un avenir viable. Éric Zemmour devrait faire marche arrière.
Source leparisien et leparisien