Sur Netflix, une comète fonce sur la Terre, la présidente des Etats-Unis pense aux prochaines élections, le milliardaire se voit en bienfaiteur de l’humanité, la journaliste poursuit ses plateaux d’info-divertissement en continu ! On rit, on rit, jusqu’à quand ?
«Est-ce que c’est violent ?» me demande un ami, à propos de Don’t Look Up, sensation de fin d’année sur Netflix. Si c’est trop violent, il ne regardera pas. Instinctivement, je lui réponds que oui, c’est très violent. La découverte par des astronomes d’une comète qui va percuter la Terre dans six mois et quatorze jours exactement, provoquant hécatombes et apocalypse, c’est violent. Et puis je réfléchis. De quelle violence s’agit-il ? Le film n’est pas violent à proprement parler. Ce n’est pas un film catastrophe, au sens où la catastrophe n’advient qu’à la fin, et qu’elle n’est pas montrée. On ne voit pas l’impact de la comète et de la planète. Il n’y a pas de sang, pas de corps carbonisés ou engloutis. Et en plus, c’est drôle. On rit d’un drôle de rire. D’un rire atterré, qui s’atterre de jubiler.
On rit des trois principaux personnages négatifs. La présidente des Etats-Unis, qui soupèse les profits politiques respectifs qu’elle va pouvoir tirer de l’apocalypse, ou de son occultation. D’abord, elle choisit d’occulter. La fin du monde ? Très mauvaise pour les midterms. Quand elle sent que l’affaire devient électoralement payante, elle met en scène la riposte américaine. Démagogie, vulgarité.
Entre ensuite en scène le milliardaire allumé, grand donateur de la précédente, et qui se permet donc de la siffler comme un toutou. Il y a un mix de Elon Musk, et Mark Zuckerberg, avec un peu de Tim Cook. Le plus terrifiant n’est pas le profit qu’il espère escompter de la catastrophe (on a découvert sur la comète un gisement de métaux rares). C’est qu’il se vit comme un bienfaiteur de l’humanité. «Vous me voyez simplement comme un businessman ?» s’offusque-t-il auprès des astronomes, sincèrement affecté. En connectant toute la planète, n’œuvre-t-il pas au bonheur de l’humanité entière ?
Enfin, se déploie dans tout le film la faune des plateaux de divertissement continu. Leur inconscience, leur bêtise crasse, leur toxicité contagieuse, à travers le personnage d’une présentatrice (forcément) blonde, subjuguée par le scientifique porteur de la nouvelle de la catastrophe, et qui enfourche la mission sacrée de lui faire subir des media trainings. Que ce scientifique se laisse acheter par le milliardaire allumé n’est pas l’aspect le plus violent. Le plus violent, c’est la dureté de béton du déni, de la part de trois personnages qui, chacun à leur manière, suivent simplement leur logique, sans aucune conscience de mal faire.
Sur cette comète qui fonce vers la Terre, on peut coller ce qu’on veut, dans le tiercé des angoisses du moment. Les enfermements nationaux qui gagnent partout. Cette pandémie dans laquelle nous nous sommes désormais installés. Mais surtout, le dérèglement climatique.
Pour sensibiliser les foules à l’urgence climatique, et pour mobiliser les énergies, tout a été tenté jusqu’à présent. Le malheureux ours blanc dérivant sur sa banquise a échoué. Le spectacle désormais quasi-quotidien des tempêtes, des tornades, des incendies, toujours plus hors-normes, des villages rayés de la carte, a échoué. Les rapports du Giec ont échoué. La médiatisation cérémonielle et répétitive des COP, avec ses défis à décimales toujours perdus, a échoué. Les merveilles de la Terre vue du ciel, manière Yann Arthus-Bertrand ou manière Thomas Pesquet, ont échoué. Les médias animés des meilleures intentions ont échoué. A quoi bon multiplier les manchettes alarmistes, si c’est pour publier, quelques pages plus loin, comme le Monde la semaine dernière, un article compatissant sur les malheureux propriétaires immobiliers, que l’on va contraindre à renforcer leur isolation thermique, ou pour multiplier les reportages ravis sur la douceur de fin d’année sur les plages du Sud ?
On a tout essayé. Restait à essayer le rire. Le rire sardonique, dégagé de tout optimisme parasitaire, qui pose d’emblée qu’il n’y aura pas de happy end. Ce qui est violent, ce n’est pas la caricature. C’est que cette caricature n’en est pas une. C’est un simple reflet. Nous sommes ce troupeau affairé, ricanant et incrédule, vers lequel fonce la comète, et que nous contemplons en miroir sur l’écran de Netflix. Tu l’as voulu, tu l’auras, et ne viens pas te plaindre ! nous dit le film en nous collant la baffe. Cette ruse, paradoxalement, va-t-elle nous toucher où nous ne l’avons pas encore été, dans notre orgueil d’enfants inconséquents ? En tout cas, tout le reste a été tenté.
PS : Vu ce weekend, ce film est formidable, ne le ratez pas si vous avez Netflix!
par Daniel Schneidermann