Des membres du groupuscule les Zouaves ont été impliqués dans les violences du premier meeting du candidat à l’élection présidentielle, qui a affirmé ne pas vouloir « calmer les ardeurs » de ces individus pour partie issus de l’ultradroite.
Lorsque Jean-Jacques Bourdin s’est demandé, mardi 7 décembre sur RMC, si les mots qu’il avait prononcés la veille de son premier meeting de campagne étaient bien de nature « à calmer l’ardeur » de ses supporteurs, Eric Zemmour a répondu franchement, « mais moi, je ne veux pas calmer les ardeurs de mes supporteurs ». C’est que derrière les foules que draine le polémiste d’extrême droite ne se presse pas seulement « la bourgeoisie patriote », mais aussi une importante fraction des groupuscules d’ultradroite, c’est-à-dire de l’extrême droite violente, qui s’était éloignée depuis des années du Rassemblement national et se trouvait jusque-là orpheline d’un leader.
Eric Zemmour le sait, il a ouvert la boîte de Pandore, et semble s’en moquer. Il y avait déjà eu plusieurs alertes. D’abord avec La Famille gallicane, une poignée de militants surpris en train de tirer en forêt sur des caricatures racistes dans une vidéo publiée par Streetpress, dont plusieurs membres s’avéraient être des membres de Génération Z, le mouvement de jeunes dirigé par Stanislas Rigault, qui les a aussitôt exclus. Ont suivi Les Vilains Fachos (LVF, comme la Légion des volontaires français sous uniforme nazi), visés par une enquête pour menaces de mort et provocation à la haine, qui ont affirmé avoir été présents à l’inauguration du siège de campagne du candidat, à la fin d’octobre, photo et enregistrement à l’appui, et assuraient bien connaître Stanislas Rigault : deux de ses membres auraient étudié avec lui à l’Institut catholique de Vendée. « Stanislas sait très bien qui on est. Ce qu’on fait. Comment on le fait. Et ça ne l’a pas empêché (…) de laisser des gars à nous gérer des activités de Génération Zemmour », ont-ils déclaré au site Arrêt sur images.
Lors du meeting de Villepinte, ce sont les Zouaves Paris qui se sont illustrés. Ils ont posé dans la soirée, à une cinquantaine, le visage flouté, sur un escalier du Parc des expositions, puis devant la fontaine Saint-Michel, à Paris, mais plusieurs d’entre eux ont été aisément reconnaissables sur les vidéos tournées lors du tabassage dimanche, en plein meeting, des membres de SOS-Racisme qui ont osé arborer des tee-shirts « non au racisme » – ces incidents, ainsi que l’empoignade d’Eric Zemmour par un individu avant son entrée en scène, ont conduit à l’ouverture d’une enquête pour « faits de violences », a annoncé le parquet de Bobigny lundi.
Un étudiant d’Assas, membre de la Cocarde étudiante, un syndicat d’extrême droite, a été identifié ; un autre agresseur, Bastien M., qui fait partie des Zouaves, l’a été par Mediapart ; un troisième est facilement reconnaissable bien qu’il ait le bas du visage masqué par un cache-cou : il s’agit de Marc de Cacqueray-Valménier, issu d’une noble et ancienne famille de gentilshommes normands (un père ancien de l’Action française, un oncle aumônier à Civitas, un cousin tête de liste du Rassemblement national aux municipales au Mans), surnommé Marc Hassin – le sanglier est un totem identitaire.
« Joyeux nazi-versaire »
Le jeune homme, ouvertement néonazi, est un champion de muay-thaï, la boxe thaïlandaise, et il est parti en octobre 2020 prendre les armes au Haut-Karabagh, une région peuplée d’Arméniens en conflit avec l’Azebaïdjan, l’un des fronts, pour l’extrême droite, de la bataille de l’Occident chrétien contre les musulmans. Libération avait retrouvé une photo de lui en treillis, une kalachnikov à la main et patch « Totenkopf » (« tête de mort »), l’insigne de certaines unités SS, sur son gilet tactique. Marc de Cacqueray s’est aussi rendu en Ukraine en décembre 2019 à un festival de black metal national-socialiste (NSBM) et en a profité pour rendre visite aux extrémistes du régiment Azov. Il est surtout l’un des fondateurs en 2018 des Zouaves, un petit groupe qui ne jure que par la violence, héritier du Groupe union défense (GUD), des hooligans et de la frange la plus radicale de l’Action française : il s’agit effectivement pour la police d’un « groupuscule de combat ».
Les Zouaves se sont fait connaître par leur violence pendant les manifestations des « gilets jaunes », ont revendiqué une attaque le 26 janvier 2019 contre des militants du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), ont agressé des supporteurs algériens lors de la Coupe du monde de football en 2018, ont agressé un étudiant de Nanterre en 2019 et un journaliste de France Inter lors d’une manifestation anti-PMA en janvier 2020. Selon une vidéo retrouvée par Mediapart, au moins quatre membres des Zouaves se sont retrouvés pour un anniversaire en juin 2020, dont Marc de Carqueray. Ils ont chanté en chœur « Joyeux nazi-versaire », avant de conclure par un retentissant « Sieg Heil ! ».
Bagarre de rue
Cacqueray a, lui, été interpellé le 1er décembre 2018 pour des dégradations à l’Arc de triomphe au milieu des « gilets jaunes », et condamné le 9 janvier 2019 à six mois avec sursis, et attend en janvier un autre jugement pour avoir attaqué un bar « antifa », le Saint-Sauveur, le 4 juin 2020. Il nie avoir été présent, mais son ADN a été retrouvée sur un marteau brise-vitres et il reconnaît avoir posté un message à ses troupes ; « Débarrassez-vous des sapes et des chaussures que vous portiez ce soir-là, effacez vos historiques GPS, vos messages Telegram, on se recapte bientôt pour de nouvelles aventures. » Les Zouaves, a-t-il expliqué au tribunal, « ce n’est pas à proprement parler un mouvement », c’est « une nébuleuse », où il a en effet quelques connaissances. Marc de Cocqueray a volontiers reconnu en 2019 dans une interview à Libération « être fasciste », mais les Zouaves, pour lui, ne le sont pas, leur seule idéologie semble être la bagarre de rue.
A Villepinte, d’anciens membres de Génération identitaire, un groupe d’extrême droite dissous en mars, comme Etienne Cormier, Jérémie Piano, ou Aurélien Verhassel, patron du bar identitaire La Citadelle à Lille, sont venus assister au discours d’Eric Zemmour, avec un gros bataillon de jeunes de l’Action française, qui suivent pas à pas la candidature du polémiste. Jean-Jacques Bourdin, sur RMC, a demandé lundi à M. Zemmour, après les violences, s’il n’y était pour rien. « Ah non, moi, je ne suis pour rien. » « Vous ne vous sentez en rien responsable ? » « Ah non, ces gens-là [SOS-Racisme] n’avaient pas à être là. » « Ça ne se reproduira plus ? Vous serez capable de faire régner l’ordre ? » « Mais je suis candidat pour faire régner l’ordre », a répondu placidement Eric Zemmour.
Vincent Vauclin, le leader du petit parti La Dissidence française, devenu le groupusculaire Mouvement national-démocrate, a écrit mardi une lettre ouverte et adresse au candidat. « Votre candidature ne saurait se dérober plus longtemps à la responsabilité historique à laquelle elle prétend, car elle risquerait alors d’être entachée du doute et du soupçon qui ne manquent jamais de marquer de manière indélébile les manœuvres de diversion et de dissipation médiatiques dont notre époque est si coutumière », a assuré le leader du minuscule parti d’extrême droite, qui s’était déjà prononcé pour un coup d’état militaire afin de « faire tomber le régime ».