Le Portugal retrouve sa mémoire juive, 3ème partie

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Synagogue Mekor Haïm, Sir Elly Kadoorie
La « renaissance juive » au Portugal est manifeste à Porto dont la communauté s’est agrandie et rivalise de vitalité avec la communauté juive de Lisbonne (CIL).

Cet afflux de membres et d’activités culturelles résultent de l’arrivée à Porto de nouveaux résidents, Juifs européens et d’Amérique latine, ainsi que des retombées de la loi entrée en vigueur en 2015 qui facilite l’accès à la citoyenneté portugaise des descendants de Séfarades.

Renouveau démographique à Porto

Deux expats français, membres de la communauté de Porto, expliquent le « boom démographique » dont bénéficie le judaïsme dans cette pittoresque ville portuaire, si prisée des touristes. Steve était un des premiers français à venir s’installer à Porto en 2013. Selon lui, 95 % de la communauté actuelle se compose d’expatriés. Ses enfants étudient au lycée français international de Porto, voisin du parc de la Fondation Seralves, célèbre institution d’art contemporain. Steve place le renouveau juif à Porto dans le contexte de l’explosion du tourisme et cite différents facteurs qui contribuent à l’afflux de touristes et résidents étrangers : l’essor des compagnies d’aviation low cost (Easy Jet, Ryanair, etc.), la douceur du climat fiscal portugais pour les retraités, le boom immobilier et la rénovation d’immeubles, le climat de reprise qui succède à la crise économique et financière de 2008-2010.

Il ajoute : » le numerus clausus limite l’accès aux études de médecine et de dentisterie en France, ce qui attire des étudiants français au Portugal où les conditions d’admission sont plus favorables. Enfin, la loi permettant à tous ceux qui peuvent prouver leurs origines séfarades de redevenir portugais, attire nombre de jeunes israéliens »… Steve connaît peu de Juifs portugais natifs : « On rencontrait jadis des Marranes à Belmonte, Bragança, etc. mais après leur découverte par Samuel Schwarz et le capitaine Barros Bastos l’enseignement obligatoire et l’école laïque ont favorisé leur assimilation. Quand je suis arrivé à Porto, la synagogue avait à peine minyan pour Shabbat ! Aujourd’hui, c’est une « synagogue culturelle », très active, où on va passer un bon moment entre amis et rencontrer les Juifs de passage ».

Arrivé en 2016, son ami Jonathan, actif dans la rénovation d’immeubles anciens, aime Porto, une ville où il fait bon vivre et qui lui évoque la France de son enfance. « J’aime l’ambiance « Club Med » de la vie à Porto ! Ici l’étranger peut se sentir vraiment à la maison, dans la tranquillité et la gentillesse. Vivre ici, c’est faire un voyage dans le passé, avec ces épiceries et tous ces magasins pittoresques… des petits commerces authentiques qui ont souvent disparu en France ! Ici on se sent vivre avec un pied dans le passé, dans un lieu où tout n’est pas encore largué par la modernité. J’aime ce sentiment de vivre entre deux époques ! »

Le film Sefarad

Signe de son renouveau, la communauté de Porto a fait réaliser le film Sefarad (2019), long-métrage de fiction, diffusé sur Amazon Prime et iTunes, évoquant l’histoire juive portugaise depuis le 15e siècle et centré sur le parcours du capitaine Artur Carlos de Barros Basto (1887-1961). Protagoniste de la révolution républicaine à Porto (1910), héros de la Grande guerre dans l’armée portugaise des Flandres, le jeune officier apprend ses origines marranes de son grand-père à l’heure de la mort. Converti au judaïsme à Tanger, il épouse Lea Azancot, juive de Lisbonne. Revenu à Porto, il s’associe à une vingtaine de commerçants juifs venus d’Allemagne et de l’Empire russe, pour former une congrégation avec sa synagogue dans une maison de location. En 1923, les autorités reconnaissent la Comunidade Israelita do Porto. La communauté choisit de se nommer “Israelita”, au lieu de “Judaica”, un mot dont les connotations sont alors très négatives en portugais.

L’Œuvre du Rachat

Sa dénomination actuelle, Comunidade Israelita do Porto/Comunidade Judaica do Porto (CIP/CJP) reflète l’évolution des mentalités portugaises. À partir de 1926, le capitaine dirige l’Œuvre du Rachat (Obra do Resgate) avec le soutien financier des communautés séfarades de Londres, puis d’Amsterdam. L’Œuvre veut ramener au judaïsme les milliers de crypto-juifs des régions de Trás-os-Montes et Beiras. La CIP achète un terrain dans le nouveau quartier résidentiel de Boavista, pour y édifier une grande synagogue, future « cathédrale » des Marranes revenus au judaïsme ! Le manque de fonds retarde l’avancement des travaux, enfin menés à bien grâce à Sir Elly Kadoorie, philanthrope juif de Shanghai dont l’épouse disparue descendait de Juifs portugais. La Sinagoga Kadoorie – Mekor Haim (“source de vie”) est inaugurée le 16 janvier 1938. Œuvre d’architectes portugais, c’est la plus grande synagogue de la péninsule ibérique. Entretemps l’Oeuvre de « l’apôtre des Marranes », comme le nomme Cecil Roth, échoue face à l’hostilité de l’Église, la méfiance des autorités et des conflits internes ; ainsi, le rabbin envoyé de Palestine entre en conflit avec les crypto-juifs qu’il veut ramener à l’orthodoxie. En désaccord avec ses sponsors, le capitaine se voit par ailleurs calomnié et injustement privé de ses fonctions militaires ! Seule la grandeur de la synagogue témoigne du rêve d’Abraham Israël Ben Rosh (le nom hébraïque du capitaine). Durant la Deuxième guerre mondiale la nouvelle synagogue accueille les nombreux Juifs réfugiés au Portugal. Rénovée en 2015, c’est un superbe lieu de culte, dont le modernisme fascine et contribue à la majesté des fêtes juives, célébrées dans la grande salle.

Le Musée juif de Porto


Le Musée juif de Porto, inauguré en 2019, en face de la synagogue, dans une maison de style Bauhaus, marque l’éveil de la vie juive au Portugal et se veut « le phare » de la lutte contre l’antisémitisme. Fruit du partenariat de la CIP/CJP avec le B’nai B’rith International ce projet muséal s’accompagne de visites scolaires à la synagogue, de films sur l’histoire juive au Portugal, de séminaires pour enseignants du secondaire et de visites au nouveau musée de l’Holocauste. Dans le jardin, à l’entrée du musée, un monument évoque la mémoire du grand rabbin Isaac Aboab de Castille (1433-1493), expulsé d’Espagne et décédé à Porto où il fut enterré par le célèbre astronome Abraham Zacuto.

Une grande vitrine expose un chariot cellulaire de l’Inquisition, recréé pour le film 1618 réalisé en 2021, dans le cadre d’un projet associant la CIP/CJP et l’Église catholique de Porto. L’élégante ligne graphique des salles du musée s’inspire du somptueux décor de la synagogue Kadoorie. Dans la première salle, sous vitrine, des objets emblématiques du judaïsme (rouleaux de la Torah, maquette du Temple de Jérusalem, Talmud, shofar, etc) s’accompagnent d’un résumé de l’histoire juive ancienne et des débuts du judaïsme au Portugal. Les moyens vidéo enrichissent l’exposition d’extraits des films récents réalisés à l’initiative de la communauté, tout comme, entre-autres, d’une représentation graphique de Porto à l’époque médiévale. On y découvre aussi la copie d’une pierre épigraphe associée à la construction d’une synagogue à la fin du 14e siècle dans le quartier juif de Monchique. Vestige inscrit d’un texte hébraïque et dont l’original, trouvé dans un couvent en ruines au 19e siècle, est conservé au musée archéologique du couvent des Carmes à Lisbonne… Après l’expulsion, l’Inquisition, et l’exil des Marranes, une nouvelle section de l’exposition retrace la renaissance de communautés juives au 19e siècle (Açores, Faro, Lisbonne… Porto) et met en valeur la biographie du capitaine Barros Basto. Le parcours s’achève sur l’actualité des activités religieuses et culturelles de la communauté. Une nouvelle salle, à l’étage, évoque l’opération Entebbe.

Musé de la Shoah

Proche de la synagogue et du musée juif, le musée de l’Holocauste de Porto, inauguré le 27 janvier 2021, s’est ouvert en avril aux visiteurs. Créé par la CIP/CJP en partenariat avec le B’nai B’rith et les musées de l’Holocauste de Moscou, Hong Kong, des États-Unis et d’Europe, il s’adresse au grand public, en particulier aux jeunes. Conservateur des deux musées juifs de Porto, Hugo Vass explique : « Nous voulons faire vivre une expérience au visiteur. Nous le confrontons d’abord au grandes images de l’entrée de Birkenau et à la reproduction de l’intérieur d’une baraque de détenus. Ce musée est aussi un mémorial aux murs inscrits de milliers de noms, honorant toutes les victimes de l’Holocauste. La Torah entourée de fil barbelé dans une installation très symbolique a été offerte à la synagogue de Porto par des réfugiés pendant la guerre. La partie centrale de l’exposition, chronologique, montre la vie juive avant l’holocauste, la montée du conflit mondial et les étapes de la Solution finale. Face aux images du meurtre de masse, nous y exposons aussi de nombreux documents originaux provenant des dossiers de réfugiés conservés dans les archives de notre communauté : demandes de visas pour l’étranger, de logements, de médicaments, de nourriture, etc. Toute cette aide était fournie aux réfugiés par la communauté en coopération avec la “Comassis”, commission d’aide aux Juifs réfugiés au Portugal, soutenue par le “Joint”. La visite se termine avec le gazon, des arbres, des vues de Porto… signifiant la fin de la guerre et le retour de la vie. L’exposition se divisée en trois temps : la végétation verdoyante avant l’Holocauste, la guerre avec l’arbre mort, puis l’espoir, l’avenir… Hatikvah. »

Proches de la synagogue et des deux musées, le restaurant casher Iberia, et un logement casher à l’Hotel da Música complètent ce parcours juif à Porto, une ville où bien peu de traces subsistent de la vie juive avant 1496 et l’Inquisition. Dans les ruelles tortueuses au bas de la cathédrale seul un visiteur au regard très informé découvrira les traces du plus vieux quartier juif de Porto ! En 2005, lors de travaux de rénovation d’un centre de jour pour seniors, géré par une association catholique, au 9 rue de São Miguel, coeur de l’ancien quartier juif de l’Olival, on découvre derrière un faux-mur ce qui était peut-être un Heikhal, l’arche sainte abritant la Torah d’une synagogue clandestine à la fin du 16e siècle. Vestige d’une histoire qui finit mal, sachant qu’en 1618 les crypto-juifs de Porto furent décimés par l’Inquisition. Un peu plus haut, Rua de São Bento da Vitória, une plaque commémore l’édit d’expulsion de 1496, début du martyre des Juifs portugais.

Roland Baumann

Source maisondelaculturejuive