Les drames de la Shoah racontés dans des photos faites de sang et de javel

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Fille d’un survivant des camps de concentration, Sara Davidmann confronte son histoire familiale dans un projet photo poignant.

En 2011, Sara Davidmann découvre que sa mère a consigné, « avec d’incroyables détails », sa vie entière dans des journaux et carnets. La même année, l’artiste présente « My Mother’s Notebooks », sa première exposition liée à sa famille, puis « Ken. To be destroyed », « l’histoire d’un secret de famille » sur le coming out transgenre d’un membre de sa famille.

Depuis dix ans, l’artiste allie ainsi son travail créatif à son histoire familiale. Son dernier projet en date, Mischling1, pénètre plus loin encore dans ses racines et leurs énigmes. « Ça a commencé avec la découverte d’un album photo et de notes écrites en allemand et jamais traduites. Ma cousine Linda en avait hérité par sa mère, ma tante Susi. Susi était la sœur de mon père Manfred. Mon père et ma tante ont survécu à la Shoah en fuyant le Berlin nazi à bord du Kindertransport. Ils sont arrivés en Grande-Bretagne en 1939, mon père avait 14 ans et ma tante 17 », nous confie-t-elle.

Longtemps, jusque bien après la mort de son père, Sara Davidmann raconte n’avoir « rien su du côté juif allemand de [sa] famille ». « Mon père n’a jamais pu parler de son expérience d’avoir grandi en tant que jeune garçon juif dans le Berlin nazi, des événements traumatiques vécus avant son évacuation, des membres de sa famille tués dans la Shoah ou de son évacuation », poursuit-elle.

Ce « chapitre trop douloureux à revisiter », Sara Davidmann a décidé de l’empoigner à mains nues après avoir découvert cet album photo et les notes qui l’accompagnaient. Au fil des pages, l’artiste se sentait plus ou moins liée aux traits qui apparaissaient devant ses yeux, aux sourires, aux regards de personnes qu’elle ne rencontrera jamais. Elle découvrait également avec effroi que de nombreux visages disparaissaient des images après la Seconde Guerre mondiale.

Des images d’archive et de sang

En même temps que Sara Davidmann partait en quête de « traces de vie » concernant ces anonymes intimes, elle réalisait des œuvres rassemblant « des reproductions des photos découvertes, des documents et des recherches historiques ». « Elles ne montrent pas seulement l’histoire de ma famille, elles révèlent également la profonde connexion que je ressens par rapport à cette histoire en tant que fille d’un survivant de la Shoah. »

Face à ce deuil si particulier, l’artiste a réalisé des chimigrammes (une technique de créations d’images à partir de procédés chimiques, sans appareil photo) mêlant passé et présent : « Dans la chambre noire, j’ai mélangé mon sang au révélateur photo afin que les tirages soient faits à partir de mon sang, créant une connexion directe entre moi-même, le passé tel qu’il est perçu à travers les photos et la continuité de ma lignée. Des couches de produits chimiques et de sang, de blanchiment photographique, de dessin et de rayures sur la surface ont été utilisées simultanément pour effacer et révéler l’image originale. »

En plus du blanchiment photo, la photographe explique avoir « utilisé du feu », un élément « plus extrême, plus dangereux », qu’elle ne maîtrisait pas toujours. Une pratique importante pour elle, descendante d’une histoire dramatique.

Le livre photo résultant de ce projet, Mischling1, a permis à Sara Davidmann de découvrir que, tandis que certains membres de sa famille avaient été tués à Auschwitz et Theresienstadt, d’autres avaient survécu et fui à Shanghai, en France ou à Berlin, grâce à de faux documents. Mais plus que de simplement s’atteler à son histoire personnelle, le projet a une portée universelle conclut l’artiste : « Les réactions au livre ont été très puissantes. Les lecteurs ont été très émus. Ça veut dire beaucoup, pour moi, que ce travail touche les gens. »