Un lycéen de 17 ans, qui étudie dans un prestigieux lycée parisien, a été interpellé par la DGSI au cœur de l’été. Soupçonné d’avoir voulu mettre ses capacités intellectuelles au profit d’un groupe djihadiste proche d’Al-Qaïda, ce jeune homme au profil atypique est depuis écroué.
Dans cette frange de la jeunesse française fascinée par le djihad, ce Parisien fait figure de phénomène. Un cas unique dans les annales de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Aussi inquiétant que singulier. Né d’un père japonais et d’une mère française, Y. est encore mineur au moment de son interpellation le 12 juillet et de sa mise en examen, quatre jours plus tard, pour « association de malfaiteurs terroriste ». Les enquêteurs le soupçonnent alors de vouloir rejoindre le groupe du célèbre djihadiste niçois Omar Diaby en Syrie.
À seulement 17 ans, cet étudiant surdoué, dont nous révélons le parcours, a obtenu son bac avec deux ans d’avance et vient d’achever sa prépa HEC dans l’un des lycées parisiens les plus prestigieux. Sa vie familiale, en revanche, est beaucoup moins linéaire.
Converti à l’islam à 13 ans
En rupture avec son père qui lui reproche de rejeter la culture et la nourriture nippones ainsi qu’avec le nouveau conjoint de sa mère, il vit seul dans un studio prêté par sa grand-mère dans le très chic VIe arrondissement de la capitale, à deux pas du Bon Marché. Dans sa ligne de mire, l’École supérieure de commerce de Paris (ESCP Business School), l’une des cinq plus cotées de l’Hexagone dont il guette les résultats du concours. À première vue, Y. semble donc entrevoir un avenir stimulant et tout tracé. Si possible à l’étranger, comme bon nombre d’étudiants en écoles de commerce.
Mais à la différence de ses camarades de prépa, lui ne s’imagine pas faire carrière dans la finance à Hongkong ou à New York. Y. rêve plutôt du Pakistan ou de l’Afghanistan, où il compte mettre « ses compétences financières » au service de l’organisation terroriste Al-Qaïda. « J’aurais fait ce qu’ils m’auraient dit de faire, raconte-t-il au cours de sa garde à vue. Gérer l’équilibre financier du groupe, comment gagner de l’argent, gérer éventuellement des cryptomonnaies. » Dans les semaines qui précèdent son interpellation, son projet personnel semble avoir été réorienté sur un départ en Syrie. L’aboutissement d’un parcours spirituel amorcé au tout début de son adolescence.
Converti à l’islam depuis l’âge de 13 ans sous l’influence indirecte, explique-t-il, d’un étudiant algérien qui lui donnait des cours du soir de maths, il trouve d’abord dans la religion des réponses au mal-être qui le traverse, en résonance avec le harcèlement scolaire subi à l’enfance. À l’école, ses camarades lui mettent la tête dans les toilettes, inondent son sac d’ordures. Son père, qui ne cache pas sa haine de la religion musulmane, le met à la porte. « Je vous jure devant Dieu qu’il m’a dit cela : Il faut mettre tous les musulmans dans un stade et envoyer une bombe atomique dessus, relate Y. aux enquêteurs.
L’adolescent solitaire se met à fréquenter la Grande Mosquée de Paris. Il se forme à la langue arabe et développe une culture théologique jugée « assez poussée » par les enquêteurs. Sur Internet, il rentre en contact avec des djihadistes, apprentis ou confirmés, adoptant les pseudonymes « Bilel » ou « Abou Layla el Yabani (le Japonais) », les lignes téléphoniques, les réseaux sociaux (Facebook, Instagram, Twitter), les messageries sécurisées (Telegram et Threema) et les logiciels d’anonymisation. Il se radicalise alors. L’ado brillant en sciences économiques se met à se méfier « du système bancaire » et s’éloigne des femmes, à ses yeux tentatrices menant à la « fornication ».
La rencontre avec Leïla
Le lycéen se rapproche surtout de la mouvance d’Omar Diaby, connu aussi sous le nom d’Omar Omsen, un Franco Sénégalais installé en Syrie depuis 2013 dont le groupe salafiste « Firqatul Ghuraba » (« la brigade des étrangers »), autrefois lié à Al-Qaïda, a aimanté de très nombreux francophones désireux de combattre, armes à la main, les troupes de Bachar Al Assad. Ses vidéos de propagande sophistiquées diffusées sur la boucle Telegram 19HH continuent de faire des émules, là où la communication de Daech s’est considérablement réduite.
C’est par ce biais que Y. se lie notamment avec une prénommée « Sarah » installée « dans la région de Marseille ». Sans l’avoir jamais rencontrée, l’adolescent lui propose de se marier et de partir faire sa « hijra » (émigration dans un pays musulman) en Afghanistan, en Malaisie, aux Maldives ou en Turquie. Entre le 29 mars et le 5 avril 2021, ils s’échangent des centaines de messages. Il lui envoie notamment la photographie d’un livre consacré aux explosifs. En retour, elle s’épanche sur sa fascination pour les vidéos de l’État islamique et se dit admirative du 11 Septembre ou de la décapitation de Samuel Paty. Elle lui demande aussi de l’aide pour trouver un fusil d’assaut, ce qu’il refuse.
Il veut intégrer la « brigade des étrangers »
Tout en préparant ses concours aux écoles de commerce, l’étudiant poursuit son sombre chemin dans les limbes d’Internet. Il est désormais en lien direct avec Bilal Diaby, le fils d’Omar Diaby, 21 ans dont huit passés en Syrie. Impliqué dans les combats contre le régime syrien, ce dernier a repris les activités de recruteur de son père, depuis incarcéré par un groupe djihadiste rival. Y. s’improvise administrateur d’une chaîne Telegram qui diffuse les vidéos de propagande de 19HH. Des réseaux sociaux clandestins au monde réel, il n’y a parfois qu’un billet d’avion.
Au début de l’été, Y. commence à évoquer clairement la préparation d’un départ pour la Syrie en vue d’intégrer les rangs de la fameuse « brigade des étrangers ». « Je ne sais pas si je vais m’établir longtemps, j’aimerais surtout combattre inshallah », écrit-il le 22 juin à Bilal Diaby, qui lui intime en retour de faire attention aux services de renseignement. Confronté à ces messages compromettants au troisième jour de sa garde à vue, l’étudiant parisien finit par reconnaître sa volonté d’émigrer en Syrie. Et même de prendre les armes au nom d’Allah pour combattre sur place. En particulier les forces de Bachar El-Assad.
« Si je vois mes frères et sœurs se faire tuer, violer, je ne vais pas rester sur mon canapé à manger des chips, s’enflamme-t-il dans une longue diatribe. C’est une obligation en tant que musulman d’aller combattre (…) D’ailleurs, je ne comprends pas pourquoi on appelle ça du terrorisme. Y’a quoi de mal à vouloir aider un peuple qui se fait massacrer (…) ? Je ne comprends pas pourquoi on m’empêche de partir là-bas. » Parfois narquois face aux questions des policiers, ne s’empêchant de réprimer un sourire, Y. exprime entre les lignes son mal-être de vivre en France, pays qu’il estime islamophobe. « En Europe, je pense que la France est un des pays les plus durs avec les musulmans, assure-t-il en garde à vue. Au lycée, je peux pas prier. Quand je sors en qamis (tenue musulmane traditionnelle), on me regarde bizarrement. C’est difficile. (…) Je préfère être là-bas (Syrie) qu’en prison. »
Quand le lycéen avait-il l’intention de s’établir sur les zones de guerre ? Au cours de la perquisition de son studio, les enquêteurs ont mis la main sur une autorisation de sortie du territoire signée la veille par sa mère et valable jusqu’au 31 juillet, ainsi que 4 300 euros en liquide. Selon les explications fournies par le jeune homme, encore mineur, il devait rejoindre sa grand-mère en Corrèze le jour même, le 12 juillet, puis l’accompagner en Espagne, sur la Costa Brava. Les policiers de la DGSI ne peuvent s’empêcher d’y voir aussi une première étape possible vers le Maroc, puis la Syrie.
Contacté, l’avocat de Y., Me Romain Boulet, affirme que son client « n’a jamais manifesté l’intention de commettre le moindre acte violent en France et a, au contraire, systématiquement découragé ses interlocuteurs de se livrer à de tels actes ». « Il s’est toujours refusé à se présenter comme un combattant », insiste le pénaliste. En détention provisoire depuis la mi-juillet, Y. n’a donc pas fait sa rentrée à l’ESCP. Une place lui était réservée. Les résultats du concours, qu’il a obtenu haut la main, sont tombés le jour de sa mise en examen.