Covid-19 : «Israël ne serait pas sorti de la quatrième vague sans la troisième dose»

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Israël recommande la troisième dose de vaccin anti-Covid depuis plusieurs mois. Le professeur Cyrille Cohen, directeur du laboratoire d’immunothérapie de l’université Bar-Ilan de Tel-Aviv, a mené une étude sur ce rappel. Pour lui, «il a une efficacité de 90% contre les formes graves».

Alors cette troisième dose ? En la matière, Israël est le pays le plus en pointe. La campagne de rappel a été lancée dès la fin du mois de juillet pour les plus de 60 ans puis ouverte à tous les plus de 12 ans fin août, avec succès, puisque 45% de la population a été triplement injectée.

Résultat ? La protection conférée apparaît excellente selon Cyrille Cohen, immunologue et professeur à l’université Bar-Ilan de Tel-Aviv et membre du Conseil consultatif sur les essais cliniques des vaccins contre le Covid-19. En se basant sur les données de santé du pays, le chercheur a comparé le nombre de cas dans deux groupes comparables de plus de 700 000 personnes, les uns triplement vaccinés et les autres ayant reçu leur deuxième dose depuis plus de cinq mois. Le suivi a duré treize jours, l’âge médian des groupes est de 52 ans et des personnes souffrant de différentes comorbidités (obésité, diabète, maladies cardiovasculaires, cancer, fumeurs…) étaient incluses. Ses résultats ont été publiés fin octobre dans The Lancet, il les présente à Libération.

Vous avez publié une étude démontrant l’efficacité de la troisième dose sur la population israélienne. Pouvez-vous détailler vos résultats ?

A ma connaissance, il s’agit de la plus importante étude sur le sujet réalisée au niveau de la population. Elle met à jour plusieurs résultats. Nous voyons une baisse de l’immunité liée à la vaccination après six mois. Mais une dose de rappel permet de faire remonter cette immunité à son niveau d’après la deuxième dose. Si on compare deux populations, l’une vaccinée deux fois et l’autre trois fois, on remarque que le rappel a une efficacité de 90% contre les formes graves et de 80% contre le décès.

Vous parlez d’une baisse de l’immunité, le vaccin ne protège-t-il plus du tout après six mois ? Et est-ce que la troisième dose protège aussi de l’infection ?

Une autre étude que la notre démontrait une efficacité de 95% de la troisième dose dans la prévention de l’infection par rapport à deux doses. Il faut bien différencier deux protections : la protection contre les formes graves, qui reste présente, même si elle diminue un peu, et la protection contre l’infection, qui s’effondre. Aujourd’hui, en Israël, les personnes qui ont reçu deux injections ont quasiment le même risque d’attraper le virus que les non-vaccinés, mais ils feront moins de formes graves.

Plus de 90% de protection, ce sont les chiffres initiaux de la vaccination. Cela semble surprenant de retrouver le même niveau de protection entre le rappel et la vaccination qu’entre la vaccination et l’absence de vaccination, non ?

Il faut prendre en compte deux facteurs. On compare ici la protection deux semaines après la troisième dose avec celle plus de cinq mois après la deuxième. Il y a donc une différence temporelle.

Par ailleurs, nous ne sommes plus face au même variant. L’efficacité initiale était calculée face à alpha. Nous sommes maintenant aux prises avec delta. Ceci explique la diversité des chiffres d’efficacité que l’on a vue à travers le monde.

Si on était toujours face au variant alpha, la protection des deux doses aurait probablement duré plus longtemps. Mais delta est arrivé et, à l’avenir, nous aurons probablement à faire face à ses descendants.

Avez-vous une idée de la durée de la protection conférée par la troisième dose ? Aux Etats-Unis, certains parlent déjà de la nécessité d’une quatrième dose…

Non, nous n’avons pas de recul sur cette protection. La production d’anticorps semble meilleure après la troisième dose qu’après la deuxième, mais c’est encore trop tôt pour tirer des conclusions. Nous devrions avoir des résultats dans les semaines à venir.

Pour la quatrième dose, il est beaucoup trop tôt pour se prononcer. Face à cette épidémie, on ne peut faire de prédictions. Pour le moment, on se prépare à des scénarios, qui sont l’apparition d’un nouveau variant et la baisse d’efficacité de la troisième dose. Mais la dynamique épidémique est difficile à anticiper.

En France, la troisième dose est recommandée pour les personnes âgées et fragiles. Faut-il prioriser le rappel pour tous ou convaincre les derniers non-vaccinés ?

Je ne peux pas dicter sa politique à l’Etat français. Il ne fait aucun doute que la vaccination permet de diminuer la mortalité d’une vague épidémique. En Israël, la quatrième vague était celle des non-vaccinés. Elle a fait 1 500 morts contre 4 000 lors de la troisième vague, dont le taux d’infection était pourtant inférieur.

Ceci dit, il est compliqué d’aller chercher les dernières personnes réticentes à la vaccination et, comme on observe une baisse de l’efficacité des deux doses dans le temps, il peut être bon de conseiller aux personnes de faire une piqûre de rappel. Je pense sincèrement qu’Israël ne serait pas sorti de la quatrième vague sans la troisième dose.

Quelle est l’adhésion à la troisième dose ?

Elle augmente avec l’âge. Nous avons environ 6 millions de personnes ayant reçu deux doses et seulement 4 millions à trois doses. Mais il y a une montée progressive de la proportion par tranche d’âge. La moitié des trentenaires ont reçu un rappel mais ils sont 69% entre 50 et 59 ans, 76% entre 60 et 69 ans et 82% entre 70 et 79 ans.

En France, les personnes ayant attrapé le Covid-19 n’ont qu’une seule dose. Sont-elles bien protégées ?

En Israël, nous avons la même politique. D’ailleurs, le rappel n’est pas encore recommandé pour eux. Les études montrent que les gens qui ont eu le Covid-19 sont bien protégés avec une dose de vaccination en plus, mais cela peut évoluer avec les observations que nous ferons dans le temps.

Faut-il vacciner les enfants de 5 à 11 ans pour limiter la circulation du virus, comme aux Etats-Unis ? Israël a cassé sa quatrième vague sans cette vaccination…

C’est vrai. Nous avons eu un débat public sur la question jeudi. Un sondage d’opinion montre que 50% des parents sont prêts à vacciner leurs enfants. Une décision devrait tomber la semaine prochaine. Je pense que la vaccination sera ouverte à cette classe d’âge sans coercition. Ici, l’épidémie est en phase de reflux et il n’y a pas d’urgence. Certains parents veulent protéger leur enfant des effets du Covid-19, comme le Covid long, d’autres craignent les possibles myocardites post-vaccinales…

C’est le principal sujet d’inquiétude des parents ?

Oui. En Israël, nous avons détecté une fréquence moyenne d’un cas de myocardite pour 6 000 vaccinations, mais cela reste inférieur aux cas engendrés par le Covid-19 lui-même. Il faut aussi dire que 90% des cas n’ont même pas nécessité de traitement ou d’hospitalisation.

Cette semaine, un article paru dans le BMJ dénonce les conditions dans lesquelles un sous-traitant de Pfizer a mené son essai clinique. Cela vous inquiète-t-il concernant la fiabilité du produit ?

Non. On ne peut pas contester l’efficacité et la sûreté de ce vaccin. Nous avons suffisamment de recul en population générale. Ceci dit, s’il y a eu des entorses au protocole chez un sous-traitant, il faut l’étudier et le dénoncer. Les essais cliniques doivent être menés de manière pointilleuse.

Source liberation