La justice a relaxé vendredi Jean-Marie Le Pen, jugé pour provocation à la haine raciale, sept ans après sa phrase sur la « fournée » qui avait suscité un tollé et semé la discorde dans son parti.
Dans une vidéo diffusée le 6 juin 2014, l’élu d’extrême droite, alors député européen, s’en était pris aux artistes engagés contre le FN, tels Yannick Noah, Guy Bedos et Madonna. A l’évocation par son interlocutrice du nom de Patrick Bruel, d’origine juive, Jean-Marie Le Pen avait déclaré : « Ça ne m’étonne pas ! Écoutez, on fera une fournée la prochaine fois ! »
Le tribunal correctionnel de Paris a jugé que les propos de M. Le Pen avaient pour cible la communauté juive, car le terme de « fournée » renvoyait à « l’image, quand bien même symbolique, des fours crématoires » utilisés « pour faire disparaître les restes des juifs assassinés par les nazis dans les camps d’extermination ».
Cependant le tribunal a ajouté que ces propos consistaient en « une jubilation devant l’occasion de faire un +bon mot+, à destination d’un auditoire qui lui est acquis », mais qu’ils ne constituaient pas un appel ou une exhortation à la violence, qui sont les éléments constitutifs du délit de provocation à la haine raciale.
L’ex-candidat à l’élection présidentielle, âgé de 93 ans, n’était pas présent à l’énoncé du jugement. Il a aussitôt réagi auprès de l’AFP : « Les faits l’ont emporté sur la malveillance. Je me réjouis que dans cette affaire, qui était évidente, le tribunal a jugé suivant le droit ». Son avocat Me Frédéric Joachim a « salué la relaxe » auprès de l’AFP, y voyant « un succès pour la liberté de Jean-Marie Le Pen qui n’avait rien voulu dire de mal. »
Pour Me Julien Bensimhon, avocat du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme (BNVCA), ce jugement « laisse penser qu’on peut en toute impunité sur internet ou dans les médias dire qu’on peut mettre Patrick Bruel, parce que juif, dans un four crématoire, c’est extrêmement dangereux ».
« En somme, un propos antisémite tenu en riant disculperait donc son auteur. C’est insensé », a regretté Me Sahand Saber, avocat de la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (Licra) déplorant une décision « incompréhensible ». Les avocats du BNVCA et de la Licra ont annoncé à l’AFP leur intention de faire appel. Lors du procès, le ministère public avait considéré que les propos de M. Le Pen constituaient une « grave faute morale », mais n’avait pas présenté de réquisitions.
« Faute politique »
Son coprévenu Jean-François Jalkh, ex-directeur de publication du site internet du FN, a également été relaxé. Se disant « extrêmement satisfait de cette décision », son conseil Me David Dassa-Le Deist a déploré auprès de l’AFP « l’instrumentalisation qui a été faite de cette affaire à des fins inutilement polémiques. »
Ces propos avaient à l’époque déclenché une pluie de critiques et semé la discorde au sein du FN. Sa fille Marine Le Pen, alors présidente du FN, avait décrit « une faute politique ». Mme Le Pen, en visite vendredi au Salon international du patrimoine culturel à Paris, a estimé que le jugement lui donnait raison. « J’ai toujours pensé que cette faute politique n’était pas une faute pénale. Le tribunal m’en donne confirmation », a déclaré la candidate à la présidentielle de 2022.
Cofondateur du parti, Jean-Marie Le Pen avait été exclu du mouvement à l’été 2015, avant d’être déchu de sa présidence d’honneur en mars 2018. Le procès était intervenu après un long processus de retrait de l’immunité parlementaire des prévenus, tous deux députés européens à l’époque.
Jean-Marie Le Pen a plusieurs fois été condamné par la justice. En 1993, il s’était vu infliger une amende pour son jeu de mots de 1988, « Durafour crématoire », visant le ministre de la Fonction publique de l’époque, Michel Durafour.
Il avait également été condamné pour « contestation de crime contre l’humanité », pour avoir qualifié plusieurs fois les chambres à gaz de « point de détail de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale ». Il avait dû verser 30.000 euros d’amende et plus de 220.000 euros de dommages et intérêts à des associations.
En 2012, la cour d’appel de Paris l’avait aussi condamné à trois mois de prison avec sursis et 10.000 euros d’amende après avoir estimé que l’Occupation allemande n’avait pas été « particulièrement inhumaine ».