Meurtre de Mireille Knoll : la vieille dame qui «voyait la vie en rose»

Abonnez-vous à la newsletter

Au troisième jour du procès de deux hommes accusés du meurtre aggravé de l’octogénaire de confession juive en mars 2018, la cour a exploré la vie de la victime, unanimement décrite comme «douce» et «joviale».

Avant l’incendie et les coups de couteau, avant la mort et les cœurs collés sur sa porte en guise d’hommage, au numéro 30 de l’avenue Philippe-Auguste (XIe arrondissement), vivait une vieille dame très coquette. En 2018, à cause de la maladie de Parkinson, elle avait dû renoncer aux sorties du dimanche dans son restaurant préféré, près du bois de Vincennes. Plus de théâtre ni de cinéma. Alors Mireille Knoll, 85 ans, tenait salon dans son modeste trois-pièces de 55 mètres carrés – où elle s’était installée il y a plus de cinquante ans –, commentant l’actualité de sa vie et du reste du monde à un ballet d’aides ménagères et d’infirmières, à ses amis et ses proches.

Ces derniers s’installaient dans le canapé en cuir noir, sous les cadres remplis de photos. Désormais, c’est sur l’écran de la cour d’assises de Paris – où sont jugés Yacine Mihoub et Alex Carrimbacus, accusés du meurtre «en raison de l’appartenance de la victime à la religion juive» – que défilent les clichés : on voit une jolie petite fille brune aux cheveux mi-longs, une mariée au visage éclairée d’un sourire ou la mère de deux enfants qui se tiennent fièrement à ses côtés.

Les parents de Mireille Knoll – tailleur né en Ukraine et femme au foyer polonaise – avaient choisi la France pour fuir les pogroms. Née en 1932, à Paris, elle a grandi «dans un foyer heureux, rempli d’amour et de bonne cuisine». «Cela a imprégné sa vision du monde, elle voyait la vie en rose, tout le monde était bon comme son papa et sa maman», souligne, à la barre, l’enquêtrice de personnalité. Elle brosse le portrait d’une dame à la voix de gamine, pétrie de qualités et dont la joie n’a jamais été entachée par les épreuves.

«Le principal, c’est que j’arrive !»

D’ailleurs, la guerre, Mireille Knoll l’évoquait peu. En 1941, elle est restée seule à Paris pendant un an avec sa mère tandis que son père et son frère étaient en zone libre, dans le sud de la France. Le jour de la rafle du Vel d’Hiv, en juillet 1942, elles les ont rejoints et ils sont partis vivre au Portugal, puis au Canada, de 1944 à 1947. A son retour en France, elle a rencontré Kurt Knoll, rescapé d’Auschwitz, qu’elle épousera à 18 ans et avec qui elle aura deux enfants, Alain et Daniel, qui se tiennent désormais sur le banc des parties civiles.

Mireille Knoll ne s’épanchait pas davantage sur son divorce. Après que Kurt Knoll s’est installé en Allemagne pour son commerce de vin, ils se sont peu à peu éloignés. Elle est retombée amoureuse, d’abord d’un Australien, puis à 75 ans, de David (mort en 2017), de dix ans son aîné, lors d’un voyage organisé par la mairie de Paris à Venise. Le week-end, ils partaient tous les trois, avec sa grande copine Renée pour une virée en voiture. A chaque fois, Mireille était en retard et rattrapait les minutes d’une blague : «Le principal, c’est que j’arrive !»

A la barre, avec sa voix qui dépote, ses cheveux rouges et ses 85 ans fringuants, Renée témoigne : «J’ai perdu une sœur. C’était une bonne amie, je pouvais parler de tout et elle pareil, il n’y avait pas de sujet tabou.» Mireille Knoll vivait chichement avec sa retraite de 800 euros, APL comprises, le corps orné de quelques bijoux de pacotille. Elle semble avoir traversé la vie avec un sourire perpétuel, n’ayant que faire de ceux qui la trouvaient trop naïve ou insouciante.

«Une femme extrêmement ouverte»

Dans son immeuble HLM, près de la place de la Nation, elle était devenue une silhouette familière. Il y avait même eu une fête en son honneur, en tant que locataire la plus ancienne des dix étages. Mireille Knoll était «la grand-mère de tous» dont le petit garçon du 7e étage, celui qui lui apportait le programme télé et l’accompagnait au marché en échange d’une pièce ou de quelques friandises. Celui qui se tient désormais dans le box des accusés.

Yacine Mihoub, 32 ans, regarde le sol tandis que la cour rappelle qu’en 2017, quand il a été condamné pour une agression sexuelle sur la fille de son aide-soignante, Mireille Knoll l’a tout de même défendu, qu’à la même période, elle a organisé une collecte pour le transport du corps de sa sœur décédée brutalement. «Ma mère était une femme extrêmement ouverte, elle a fait que du bien toute sa vie autour d’elle. Elle a aidé et aimé ce monsieur, enfin ce voisin [Yacine Mihoub, l’un des accusés]. Elle l’a reçu avec gentillesse et amour», explique avec colère Daniel Knoll.

Le 23 mars 2018, c’est la cousine Huguette qui l’a appelé : «Daniel, il y a le feu chez ta mère.» Le corps de Mireille Knoll sera découvert par les pompiers, en partie calciné et lardé de onze coups de couteau, dans le modeste appartement où elle a toujours vécu. «Ça nous a fait penser aux camps de concentration. Ma mère qui a tant souffert dans sa jeunesse a été brûlée, poignardée […] Comment dans sa tête, sa tête d’oiseau, a-t-il [Yacine Mihoub] pu concevoir un crime aussi insupportable ?» Et d’ajouter : «Il sait très bien qu’il n’y a rien à voler chez maman, je ne comprends pas.» Yacine Mihoub fixe toujours le sol.