Ces antisémites qui nous gouvernent, par Luc de Barochez

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Victimes de préjugés et d’agressions, les juifs européens subissent aussi de plus en plus de restrictions de leur liberté religieuse.

Près de quatre-vingts ans après la Shoah, le génocide des juifs d’Europe par les nazis, peut-on encore être juif et vivre paisiblement sur le continent ? Pour cette minorité d’environ 1,5 million de personnes, les calamités s’accumulent. Les stéréotypes antisémites ont prospéré pendant la pandémie, jusqu’aux plus hauts échelons politiques. Le Premier ministre slovène Janez Jansa a posté en ligne, le 14 octobre, un montage photo tiré d’un blog d’extrême droite et qualifiant 13 députés au Parlement européen de « marionnettes » de George Soros, le milliardaire juif américain devenu la cible obsessionnelle des antisémites contemporains. Or Janez Jansa exerce, ce semestre, la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne. À ce titre, il représente les 450 millions d’habitants des 27 États membres. Son éructation a pourtant soulevé peu d’indignation, notamment en France.

Deux jours auparavant, l’Association juive européenne diffusait un sondage mené par Ipsos dans 16 pays européens pour le compte de l’Action and Protection League, qui confirmait la persistance de forts préjugés antisémites d’un bout à l’autre du continent. Par exemple, un tiers des échantillons représentatifs interrogés en Autriche, en Hongrie et en Pologne estiment que les juifs ne pourront jamais s’intégrer ; ou encore, plus d’un quart (28 % en France !) croient en l’existence d’un réseau juif secret qui influence la politique et l’économie dans le monde. La conclusion de l’enquête est que, malgré tous les efforts d’éducation, un Européen sur trois nourrit à un degré ou un autre des conceptions antisémites.

Si les préjugés sont marqués dans l’est de l’Europe (Roumanie, Pologne, Grèce, Hongrie…), c’est dans l’Ouest que les agressions physiques sont les plus courantes : la France, l’Allemagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni ou la Suède sont les pays où les juifs sont le plus attaqués dans la rue, simplement parce qu’ils sont juifs. Ce sont aussi les pays où les adeptes de l’islamisme radical sont les plus nombreux. Les Français juifs, par exemple, ont été la cible de 40 % des violences physiques racistes commises en France en 2019. Or ils ne représentent pas même 1 % de sa population.

Les juifs subissent en outre une limitation croissante de leur liberté religieuse par les pouvoirs publics. L’abattage rituel (qui permet de déclarer la viande casher ou halal, c’est-à-dire apte à la consommation par les fidèles) a été déclaré illégal au Danemark, en Suède, en Finlande, en Estonie, en Slovénie et en Suisse. Et les plus hautes instances judiciaires européennes et belges viennent de valider les interdictions édictées en Flandre et en Wallonie. C’est désormais à Bruxelles que les autorités régionales envisagent de fermer le dernier abattoir de Belgique qui pratique l’abattage sans étourdissement préalable de la bête. Le bien-être animal est jugé plus important que la liberté de pratiquer ses rites religieux. Sans compter que la circoncision des enfants mâles, une pratique millénaire dans les religions juive et musulmane, est régulièrement menacée d’interdiction – encore récemment, en Islande ou au Danemark.

Unis par leurs obsessions identitaires, les islamistes, l’extrême droite et l’extrême gauche woke soi-disant « antisioniste » contribuent chacun de leur côté à entretenir une haine antijuive qui gagne du terrain année après année. Comment s’étonner dans ces conditions que 38 % des juifs européens, selon une enquête de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, songent concrètement à émigrer, aux États-Unis ou en Israël notamment ? Comme le dit Joël Mergui, le président du Consistoire central israélite de France, « là où les Juifs sont heureux, la société se porte bien ». Mais peuvent-ils encore l’être dans l’Europe d’aujourd’hui ?

Source lepoint