Une enquête menée depuis deux ans dans seize pays de l’Union européenne estime que 20 % des Européens auraient des vues antisémites.
Face aux diverses formes d’antisémitisme observées dans les sociétés européennes, les pays de l’Union sont loin de présenter un front uni : l’ex-Europe de l’Est reste marquée par les préjugés traditionnels contre les juifs ; les citoyens des pays de l’Europe de l’Ouest se montrent eux plus enclins à pointer du doigt la politique d’Israël envers les Palestiniens. C’est ce qui ressort, entre autres, d’un sondage commandé par l’Action and Protection League (APL), organisation partenaire de l’Association juive européenne (EJA), dont les responsables se réunissent mardi 12 et mercredi 13 octobre à Bruxelles pour une rencontre avec des parlementaires, des diplomates et des responsables d’institutions européennes.
Dans le détail, cette enquête de l’Ipsos, menée depuis deux ans dans seize pays de l’Union européenne (UE), confirme la persistance de nombre de stéréotypes sur les communautés juives d’Europe, qui représentent, selon les estimations, 1,5 million de personnes. Le président israélien, Isaac Herzog, s’adressant à distance depuis Jérusalem, devait dénoncer, mardi, « le fléau de l’antisémitisme qui continue de se répandre dans les rues et en ligne ». Globalement, les auteurs de l’étude estiment que 12 % des Européens sont « fortement » antisémites et 8 % « modérément ».
Grèce et Roumanie affichent leurs vues antisémites
Ainsi, 21 % des Européens interrogés sont « d’accord » (7 %) ou « plutôt d’accord » (14 %) avec l’idée que des réseaux secrets tenus par les juifs influenceraient la vie économique et politique du monde. Les Grecs (58 %) et les Hongrois (39 %) en sont même particulièrement convaincus.
A travers l’Europe, la Grèce et la Roumanie sont les deux pays qui affichent le plus massivement leurs vues antisémites, quelles que soient les formes envisagées : un rejet fondé sur la religion, alimenté par la politique, marqué par le complotisme ou nourri de négationnisme… Et plus d’un tiers des Grecs et des Polonais jugent que les juifs ne peuvent pas s’intégrer dans leur société, contre 17 % au niveau européen. L’idée qu’il faut « se méfier des juifs » est encore fortement ou plutôt partagée par 48 % des Grecs, 41 % des Polonais et 39 % des Hongrois. A l’inverse, seuls 4 % des Néerlandais et 2 % des Suédois souscrivent à cette affirmation. Sur le plan religieux, 39 % des Grecs et 30 % des Roumains jugent toujours les juifs responsables de la mort de Jésus, entretenant la notion de « peuple déicide ».
Selon le sondage, les vues révisionnistes sont présentes à l’est de l’Europe… et en France : 24 % des Roumais, 23 % des Grecs, 21 % des Hongrois, ainsi que 20 % des Polonais et des Français sont d’accord ou plutôt d’accord avec l’affirmation selon laquelle le nombre de victimes juives de la Shoah est inférieur aux chiffres communément admis. Une proportion qui tombe à 11 % en moyenne dans les seize pays. Sur le devoir de mémoire, ce sont, cette fois, les Autrichiens et les Allemands qui se singularisent : 43 % des premiers et 28 % des seconds (contre 19 % en moyenne) estiment que, quatre-vingts ans après les faits, il faudrait moins parler de la Shoah. En France, en Suède ou aux Pays-Bas environ huit personnes sur dix estiment, en revanche, qu’il est important de garder la mémoire des persécutions.
Sécuriser les lieux de culte
La politique israélienne à l’égard des Palestiniens explique pour nombre d’Européens la « haine des juifs » : 27 % sont dans ce cas, un chiffre qui monte à 37 % en France et en Autriche, 32 % aux Pays-Bas ou en Slovaquie. Un clivage apparaît aussi dans le niveau de « sympathie envers les juifs » : les ressortissants du Royaume-Uni, des Pays-Bas, d’Allemagne et de France estiment massivement que l’Europe doit préserver la culture et la religion juives. Quant aux Polonais, ils affichent de la « sympathie » pour Israël (79 %), bien moins pour les juifs (36 %).
Régulièrement interpellée sur ces questions, la Commission européenne a rendu publique le 5 octobre sa stratégie de lutte contre l’antisémitisme pour les dix prochaines années, ce qui est une première. Rappelant que « 44 % des jeunes juifs européens ont été victimes d’antisémitisme », la Commission s’est engagée à soutenir la mise en place d’un réseau européen d’experts, afin d’accentuer le retrait des discours de haine sur Internet et de prévenir la vente en ligne d’objets ou d’écrits nazis. L’institution doit proposer, en 2022, de financer à hauteur de 24 millions d’euros la sécurité des lieux de culte et des lieux publics. Soulignant qu’un Européen sur vingt n’a jamais entendu parler de la Shoah, elle s’engage également à soutenir la création d’un réseau de lieux témoins des persécutions juives durant la seconde guerre mondiale.