Quand Malmö sent enfin la puanteur de son antisémitisme

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Dans cette ville « multiculturelle » du sud du pays, les politiques ont longtemps ignoré le problème, avant de réagir ces deux dernières années, alors que la communauté juive s’est réduite depuis les années 1970.

Le premier incident dont la jeune fille a été victime a eu lieu en mars. Après un cour de religion, où Rebecka (les prénoms ont été changés), 12 ans, a parlé de sa foi en classe, dans un collège de Malmö, une élève a lancé en arabe : « Je la déteste, elle et son peuple dégoûtant. » Peu après, l’adolescente de confession juive a découvert un tag près de son casier : « Libérez la Palestine – fuck Israël. » Quelqu’un a craché sur sa veste, des élèves se sont mis à crier des slogans propalestiniens sur son passage… Contactée par ses parents, la direction du collège a affirmé qu’elle prenait l’affaire très au sérieux. Le Médiateur contre les discriminations a ouvert une enquête. Mais à la rentrée, le harcèlement a repris.

« Je m’étais préparée à ce que nos enfants soient des cibles, mais je ne pensais pas que cela arriverait si tôt », avoue Esther, la mère de l’adolescente. Son mari, Yarin, est né en Israël. Quand ils étaient plus jeunes, ils avaient évoqué l’idée d’aller s’y installer. Ce qui est arrivé à leur fille aînée les a décidés : l’été prochain, ils vont quitter la Suède, avec leurs trois enfants, pour aller vivre à Ra’anana, au nord-est de Tel Aviv. « Il n’y a pas d’avenir pour nous ici », soupire Esther.

Conférence internationale

C’est exactement le contraire que le premier ministre social-démocrate Stefan Löfven espère démontrer, en accueillant, mercredi 13 octobre, à Malmö, un forum international sur l’antisémitisme. Intitulée « Remember – React », la conférence va rassembler les représentants d’une cinquantaine de pays, dont le secrétaire général des Nations unies (ONU) Antonio Guterres, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le président israélien Isaac Herzog, par visioconférence.

Le choix du port de 350 000 habitants, au sud du pays, n’est pas un hasard. En 1943, quand l’armée allemande a occupé le Danemark, c’est par Malmö que les juifs danois ont fui. C’est là aussi que sont arrivés, à bord des fameux « bus blancs », 15 000 survivants des camps de concentration, au printemps 1945. Mais ces dernières années, l’image de Malmö s’est ternie, pour être associée à un antisémitisme croissant et de plus en plus visible.

Dans une ville où un tiers des habitants est né à l’étranger et beaucoup ont des racines au Moyen-Orient, chaque regain de violence entre Israël et la Palestine se traduit par de nouvelles menaces contre la communauté juive. « Malheureusement, les responsables politiques n’ont pas voulu reconnaître le problème », regrette Fredrik Sieradzki, porte-parole de la congrégation juive.

Premier adjoint au maire, Roko Kursar, dont le parti libéral gouverne depuis 2018 avec les sociaux-démocrates, lui donne raison : par « naïveté », ou bien « parce qu’ils ne voulaient pas voir », les dirigeants ont « trop longtemps fermé les yeux ».

Pourtant même un acteur avait pourtant lancé un cri d’alarme : l’acteur danois Kim Bodnia, juif et ne s’en cachant pas, qui jouait le rôle du détective Martin Rohde dans la série policière populaire The Bridge, avait quitté la série, à cause de l’augmentation de l’antisémitisme dans la ville suédoise de Malmö, où la série est filmée. “Ça se développe, surtout à Malmö, où nous tournons The Bridge en Suède. On ne se sent pas très à l’aise quand on est Juif là-bas. Alors bien sûr, cela a joué un rôle dans mon refus de travailler en Suède. »

En 2012, l’envoyée spéciale des Etats-Unis pour la lutte contre l’antisémitisme, Hannah Rosenthal, avait épinglé l’ancien maire social-démocrate, Ilmar Reepalu, pour son « langage antisémite ». Celui-ci avait notamment demandé à ses administrés juifs de « se distancier » publiquement de la politique israélienne.

Ces dix dernières années, de nombreuses familles juives ont décidé de partir, pour aller vivre à Stockholm ou en Israël. Alors que la congrégation comptait 2 000 membres dans les années 1970, ils sont moins de 500 aujourd’hui. Le sentiment d’insécurité y est pour beaucoup, mais pas seulement : « A Stockholm, la communauté juive est plus active », souligne M. Sieradzki. A Malmö, « la synagogue reste à moitié vide, même pour les grandes fêtes », se désole Esther.

Rendre visible l’identité juive de la ville

 Il y a quelques années, les élus ont fini par réagir. En 2019, la ville a passé un accord de coopération avec la congrégation. Objectif : assurer la sécurité des juifs, mais aussi rendre visible l’identité juive de Malmö. Les initiatives vont de l’aménagement d’un centre éducatif à l’intérieur de la synagogue, à l’impression d’une carte, répertoriant tous les lieux historiques en lien avec la communauté juive.

Malmö est aussi la première ville de Suède à avoir nommé une coordonnatrice chargée de la lutte contre l’antisémitisme à l’école. La juriste, Mirjam Katzin, de confession juive elle-même, a commencé par faire un état de lieux, qui montre la « complexité » du phénomène, dont elle précise qu’il n’est pas spécifique à Malmö, mais global : « Il y a le jargon antisémite dans les cours d’écoles, les théories de la conspiration, alimentée par Internet, et un sentiment d’exclusion des jeunes juifs, qui disent avoir l’impression d’être les “vilains petits canards”. »

Un réseau d’enseignants a également été constitué en début d’année, pour aider les profs, souvent démunis, face à l’antisémitisme en classe, mais aussi sur les réseaux sociaux. « La réaction la plus courante est de faire comme si de rien n’était parce qu’on ne sait pas comment réagir », constate Björn Westerström, à l’initiative du réseau. Il enseigne l’histoire, le suédois et la religion dans un lycée de Malmö. En 2019, il a suivi une formation au centre Yad Vashem à Jérusalem, qui accueille des enseignants du monde entier, pour les aider à lutter contre l’antisémitisme.

La menace de l’extrême droite

Les écoles de Malmö peuvent aussi faire venir le rabbin Moshe-David HaCohen et l’imam Salahuddin Barakat, qui travaillent ensemble depuis 2017, au sein de l’association Amanah« Notre but n’est pas de promouvoir le dialogue interreligieux », prévient l’imam. « Notre objectif est d’instaurer la confiance et le respect entre nos deux communautés, pour pouvoir vivre ensemble, explique le rabbin. Car construire des murs ultra-sécurisés [autour de la synagogue] est peut-être nécessaire, mais cela ne prépare pas l’avenir. »

Moshe-David HaCohen prend soin de rappeler que l’antisémitisme n’est pas plus fort à Malmö qu’ailleurs, ni le seul fait des musulmans : « Ceux qui le prétendent ont souvent un agenda islamophobe », argue-t-il. A côté de lui, l’imam opine et rappelle que l’extrême droite, en Suède, constitue une menace pour les deux communautés religieuses. Face à la mobilisation, Frederik Sierdatzki se montre doucement optimiste : « Je veux croire que la tendance peut encore être inversée. J’espère seulement que ce n’est pas trop tard. »

On dira face à toutes ces bonnes paroles que ce réveil très tardif face à l’antisémitisme en Suéde n’est sans doute pas sans lien avec la flambée de violence que le pays a connue durant ces dernières années. Et oui, impunis quant à leur violences antisémites, les racailles se sont crues au-dessus des lois : ce n’est pas un scoop, et il était temps pour le pays d’ouvrir les yeux, même s’il est sans doute trop tard pour venir à bout de cet antisémitisme qui a pu prospérer tranquillement….

Avec lemonde