Le pape François a commencé ce dimanche un voyage en Europe centrale par une étape à Budapest et a évoqué «la menace de l’antisémitisme qui circule encore en Europe et ailleurs».
«La menace de l’antisémitisme qui circule encore en Europe et ailleurs. C’est une mèche qui doit être éteinte. Mais le meilleur moyen de la désamorcer c’est de travailler ensemble de manière positive, c’est de promouvoir la fraternité.» Les premières paroles officielles du pape François, arrivé dimanche matin en Hongrie pour une visite de quelques heures qu’il poursuivra par trois jours en Slovaquie, auront été pour mettre en garde contre l’antisémitisme et ses «relents de haine». Le pape a proposé l’antidote d’une «éducation à la fraternité» pour que «les ghettos ne se reproduisent plus».
Il s’adressait alors aux autres religions présentes en Hongrie dont la communauté juive, la plus importante d’Europe centrale, avec une centaine de milliers de fidèles. Les chiffres officiels d’appartenance religieuse en Hongrie donnent 61% de catholiques pour 15% de protestants et 18% d’athées, les juifs représentant environ 1% de la population.
François venait de rencontrer dans un huis clos total et dans le même musée des beaux-arts le président Hongrois Janos Ader et son premier ministre Victor Orban. En milieu de matinée dimanche peu d’informations avaient filtré de ce rendez-vous, pourtant très attendu, qui a duré un quart d’heure, le pape ayant plutôt marqué une forte distance vis-à-vis du premier ministre hongrois avant de quitter Rome. Un communiqué du Vatican a simplement indiqué que la rencontre avec le président et le premier ministre hongrois s’est déroulée dans une «atmosphère cordiale». Ont été discutés, selon cette source, «le rôle de l’Église dans ce pays, l’engagement pour la protection de l’environnement, la protection et la promotion de la famille.»
«Je vous vois comme des frères dans la foi d’Abraham notre père, a continué le pape en s’adressant à la communauté juive mais aussi aux autres chrétiens. J’apprécie beaucoup l’engagement dont vous avez fait preuve afin d’abattre les murs de séparation du passé. Juifs et chrétiens, vous désirez voir dans l’autre non plus un étranger, mais un ami ; non plus un adversaire, mais un frère.» Ce qui représente aux yeux du pape «un changement de regard béni par Dieu», une forme de «conversion» et de «purification qui renouvelle la vie.» À cet égard, le pape a exprimé ses «meilleurs vœux» à la communauté juive qui vient de fêter Rosh Hashanah et Yom Kippour, soit une nouvelle année dans le calendrier juif. Il a appelé entre chrétiens et juifs à passer de «de la haine et de l’indifférence à la patrie tant désirée de la communion.»
Ce qui implique de «laisser les incompréhensions du passé, les prétentions d’avoir raison et de donner tort aux autres». Le pape a utilisé l’image du Pont des Chaînes de Budapest, la capitale de la Hongrie, pour donner l’esprit de ce rapprochement. Ce pont «ne fusionne pas» les deux parties de la ville «mais les maintient unies». C’est ainsi «que doivent être les liens entre nous». Car «chaque fois qu’il y a eu la tentation d’absorber l’autre, on n’a pas construit mais on a détruit. De même lorsqu’on a voulu le mettre dans un ghetto, au lieu de l’intégrer. Que de fois c’est arrivé dans l’histoire ! Nous devons veiller et prier pour que ça ne se reproduise plus. Et nous engager à promouvoir ensemble une éducation à la fraternité, afin que les relents de haine qui veulent la détruire ne prévalent pas.» C’est alors qu’il a lancé cette mise en garde : «Je pense à la menace de l’antisémitisme qui circule encore en Europe et ailleurs. C’est une mèche qui doit être éteinte. Mais le meilleur moyen de la désamorcer c’est de travailler ensemble de manière positive, c’est de promouvoir la fraternité.» Ajoutant : «nous ne pouvons plus vivre dans la suspicion et dans l’ignorance, distants et discordants.»
Pour conclure le pape a longuement cité un poète juif hongrois, mort sous la férule nazie, Miklós Radnóti. Il fut «brisé par la haine aveugle» dans un «camp de concentration, l’abîme le plus obscure et dépravé de l’humanité.» Le pape a cité ce passage écrit juste avant la mort cet écrivain : «Moi-même je suis racine à présent… J’étais une fleur, je suis devenu racine». En observant : «Nous sommes appelés, nous aussi, à devenir des racines. Nous cherchons souvent les fruits, les résultats, l’affirmation» mais, citant le poète Rainer Maria Rilke : «Dieu attend ailleurs, il attend tapi au fond de toute chose. En bas. Enfoui profondément. Là où sont les racines.» Et d’expliquer : «On rejoint la hauteur seulement si l’on est enraciné en profondeur.»
La forte attention portée par le pape à la communauté juive plutôt qu’à la forte minorité protestante hongroise, présente dans la salle, ou aux représentants de l’Église orthodoxe, peut s’expliquer par le contexte politique de ce pays mais aussi par un incident récent entre François et la communauté juive mondiale à la suite d’une phrase du pape, mal interprétée et aujourd’hui rattrapé. Il avait lancé à propos de la loi juive, le 11 août lors d’une audience générale : «la Loi ne donne pas la vie». À la fin de son discours, le pape s’est excusé d’avoir prononcé son discours «en restant assis», en disant «je n’ai plus 15 ans !» Âgé de 84 ans, il est encore en convalescence d’une importante opération à l’intestin subie en juillet dernier et ce voyage constitue un test du point de vue de sa santé.