Cancers pédiatriques : « Il y a une démission des responsables publics »

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Après le décès d’un septième enfant dans le secteur de Sainte-Pazanne, la députée de Loire-Atlantique Sandrine Josso tire la sonnette d’alarme.

Depuis 2015, 25 enfants ont déclaré un cancer dans un périmètre de 15 kilomètres autour de Sainte-Pazanne, une commune d’à peine 7 000 habitants située au sud-ouest de Nantes (Loire-Atlantique). Le 25e, un garçon de 14 ans, a été diagnostiqué juste avant l’été. Depuis 2015, sept enfants sont morts. C’est le décompte macabre auquel doit se livrer Stop aux cancers de nos enfants, un collectif de parents qui est persuadé de l’origine environnementale de ces cancers, pourtant de types différents (des hémopathies malignes et des tumeurs osseuses). La dernière victime, une fillette de 11 ans, est décédée en juillet. Elle était en rémission avant de rechuter, tout comme la sixième enfant malade, disparue fin avril.

« Intolérable », pour la députée MoDem de Loire-Atlantique Sandrine Josso, qui vient de publier une tribune en forme de coup de gueule dans Le Monde, intitulée « Nos enfants meurent et nous regardons ailleurs » (en référence à la phrase culte prononcée par Jacques Chirac, en 2002, au sommet de la Terre de Johannesburg). L’élue, très impliquée dans la lutte contre le cancer notamment depuis que sa fille – en rémission – a contracté une leucémie en 2012, se dit « prête à déplacer des montagnes ».

Autrice d’un rapport sur l’évaluation des politiques publiques de santé environnementale, publié en décembre 2020, Sandrine Josso ne compte rien lâcher, malgré « le manque de volonté politique » et un grand sentiment de solitude, dans ce combat. Elle est persuadée que le cancer est une « maladie multifactorielle » et qu’il faut en rechercher toutes ses causes, notamment dans l’environnement.

Le Point : Des regroupements de cancers pédiatriques ont été identifiés depuis quelques années dans l’Eure, dans le Haut-Jura et en Loire-Atlantique dans le secteur de Sainte-Pazanne… Y a-t-il davantage d’enfants touchés par la maladie sur le territoire national ?

Sandrine Josso : Je suis mobilisée depuis longtemps sur cette cause-là, ma fille – en rémission – ayant été touchée par un cancer en 2012. Mais depuis, j’ai le regret de constater que rien n’avance ; c’est même pire ! Les chiffres le montrent : d’après les informations récoltées par les chercheurs avec lesquels nous travaillons (notamment André Cicolella, du Réseau Environnement Santé, NDLR) et qui se basent sur des données de la Cnam, entre 2003 et 2019, le nombre de cancers pédiatriques est passé de 2 566 cas à 3 030, soit une augmentation de 18 %. Le taux de cancers chez les enfants progresse six fois plus vite que la population de cette tranche d’âge (de 0 à 19 ans).

Ces chiffres ne proviennent pas du registre national des cancers de l’enfant (qui semble s’arrêter à 2014) et qui estime, lui, que « l’incidence des cancers de l’enfant est globalement stable depuis 2000 ».

Oui en effet, et pour cause, ce registre a quatre ans de retard ! Il y a même des départements où on n’a aucune donnée, comme en Maine-et-Loire.

On sait que telle substance est cancérigène mais on n’a pas étudié l’addition de tous les facteurs

En mars 2020, Jacqueline Clavel, la responsable du registre et directrice de recherche à l’Inserm, nous expliquait que ce retard « effectivement anormal » était dû au « boycott de cliniciens » qui avaient « rendu impossible l’accès aux données sur plus de la moitié du territoire »…

On a vu avec le Covid que l’on était capable de récolter des données en temps et en heure. Il faut arrêter de trouver des excuses et de se mentir ! Quand il n’y a pas de volonté politique, on n’a pas de chiffres et on ne trouve rien…

Santé publique France (SPF), qui avait dans un premier temps, fin 2019, dénombré dans le secteur de Sainte-Pazanne « deux fois plus de cas de cancers pédiatriques que ce qui est attendu en moyenne en France », a clos ses investigations en septembre 2020, étant dans l’incapacité d’identifier une « cause commune » à ces cancers (elle ne prenait en compte que onze cas). « Nous avons besoin de plus de recherches sur les causes de cancer », admettait Lisa King, la responsable de SPF Pays de la Loire.

Pour faire des recherches approfondies et saisir l’ampleur de l’effet cocktail, il faut élargir le champ d’investigation, faire venir des experts, des chercheurs… Là, nous étions en présence de l’ARS (l’Agence régionale de santé), la préfecture et d’une ou deux associations. Pour trouver les causes, on a besoin de chercheurs très pointus capables d’analyser des cheveux, des dents de lait, des cordons ombilicaux… Aujourd’hui, on n’a pas de données de base, donc pas de points de repère.

On sait que telle ou telle substance est cancérigène comme le lindane – un insecticide qui était couramment utilisé dans une ancienne usine de traitement de charpente de bois, jadis implantée sur la commune – ou le radon – des « concentrations élevées » de ce gaz radioactif naturel ont été retrouvées dans une partie d’une école privée de Sainte-Pazanne. Mais ce que l’on n’a pas étudié, c’est l’addition de tous ces facteurs-là. On ne se rend pas compte que l’on baigne dans ces substances invisibles : des restes industriels, la pollution de la Loire, de la cité industrielle de Saint-Nazaire qui sont amenés par les pluies et le vent… Pour la majorité des gens, cela ne cause pas de problème, mais pour certains individus plus sensibles, comme les enfants, ces doses de polluants ne sont pas supportables et ils tombent malades.

On est trop conservateurs, on a un fonctionnement cloisonné et des outils d’un autre âge

À Sainte-Pazanne, alors que les recherches publiques ont été stoppées et que 25 cas de cancers pédiatriques (dont 7 morts), d’après le décompte des familles, sont aujourd’hui à déplorer, des analyses complémentaires (notamment sur l’eau) ont été lancées et financées par un collectif de parents mené par la lanceuse d’alerte Marie Thibaud, « Stop aux cancers de nos enfants ». Est-ce normal ?

Non, il y a clairement un manque de courage politique et une démission des responsables publics ! Ce n’est évidemment pas normal que sur un si petit périmètre se développent autant de cancers. Sur un cluster comme celui-là, pourquoi ne met-on pas les moyens ? Ce n’est qu’une question de bon sens : si l’on mettait les moyens, on aurait une chance de trouver… On est trop conservateurs, on a un fonctionnement cloisonné et des outils d’un autre âge, tout rouillés ! À l’heure de l’intelligence artificielle, on serait incapables de croiser des données ?

Vous dites qu’il faut passer du principe de précaution au principe de prévention. Expliquez-nous.

Oui, il faut miser sur la prévention : sensibiliser dès le plus jeune âge, informer les professionnels médicaux et paramédicaux ainsi que les élus sur l’impact de l’environnement sur la santé. C’est très important : si les élus ne sont pas informés de l’impact de tel ou tel équipement qu’ils veulent installer dans leur commune, cela peut avoir des conséquences sur la santé d’un public fragile. Il y a encore des élus qui pensent qu’il y a plus de cancers parce qu’il y a plus de dépistages… Car c’est aussi une problématique d’aménagement du territoire ; certes, il faut créer de l’emploi et développer le tourisme, mais il faut aussi des politiques de prévention des entreprises. En tant qu’élue et membre du comité d’orientation stratégique du bassin de vie de Saint-Nazaire (où l’on constate une surmortalité et des cas de cancers plus importants chez les hommes, qui seraient dus, d’après les autorités sanitaires, à l’alcool et au tabac…), je dois batailler pour obtenir les chiffres des substances polluantes des entreprises ! En étant plus transparent, on gagnerait à tous les niveaux et l’État ferait énormément d’économies.

Source lepoint