Jean-François Stévenin (1944-2021) l’amitié, l’amour et l’envie

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Jean-François Stévenin est décédé ce mardi 28 juillet à Neuilly. Le cinéma français perd l’un de ses plus solides comédiens, un réalisateur rare et une personnalité attachante.

Discrètement, Jean-François Stévenin était l’un des meilleurs comédiens français. Il est mort à Neuilly, ce mardi 27 juillet, à l’âge de 77 ans. Or Stévenin n’a jamais voulu devenir comédien. Ancien étudiant à HEC, il découvre le cinéma à Cuba le temps du tournage d’un film institutionnel sur la production laitière. Jouer ne l’intéresse pas. Nous sommes à la fin des années 1960, la Nouvelle Vague a atteint le rivage du grand public. Stévenin déroule des câbles, pousse des travellings… Il devient second assistant, puis assistant pour Alain Cavalier ou Jacques Rivette. A force de traîner sur les plateaux, des metteurs en scène ont envie de le filmer. C’est aussi simple que ça, le cinéma en ce temps-là. Il apparaît dans quatre films de François Truffaut « L’enfant sauvage » (1970), « Une belle fille comme moi » (1972), « La nuit américaine » (1973) et, en 1976, « L’argent de poche » où il semble jouer Truffaut lui-même.

A partir de la fin des années 1970, Jean-François Stévenin s’installe dans cette famille très particulière des grands seconds rôles. Il devient une figure familière qui traverse les films, sans trop s’attarder mais en imprimant chacune de ses scènes d’un coup de griffe indélébile. C’est ainsi qu’il va voguer des salles art et essais aux multiplex. De « Passion » de Jean-Luc Godard (1982) au « Grand Pardon 2 » d’Alexandre Arcady (1992), de « Tenue de Soirée » de Bertrand Blier (1986) à « La Tête en Friche » de Jean Becker (2010)… Au cours des quatre dernières décennies, Jean-François Stévenin a tourné trois ou quatre longs métrages par an et autant de téléfilms. Son dernier film « Les illusions perdues » de Xavier Giannoli sera présenté cet été au Festival de Venise.

Proie et prédateur

Stévenin ressemblait de loin à un homme ordinaire. Silhouette rondouillarde et cheveux rares. En gros plan, l’acteur se faisait magnétique, ses yeux clairs pouvaient vous dévorer. Catherine Breillat a merveilleusement capté sa colère dans « 36 fillettes » en 1987. En 1994, il tombe dans les bras d’une call-girl jouée par Sandrine Kiberlain dans « Les Patriotes » d’Eric Rochant. Ingénieur naïf, il tombe amoureux de cette femme beaucoup trop grande pour lui, qui s’avère être employée par le Mossad pour le faire chanter.

Proie facile, Jean-François Stévenin peut se faire prédateur. Ainsi, un an plus tard, c’est lui qui mène la danse dans « En avoir ou pas ». Laëtitia Masson le filme séduisant, ou s’achetant peut-être, la même Kiberlain. Scène extraordinaire : Stévenin valse sous les stroboscopes d’une boîte de nuit et elle n’est plus qu’un pantin dans ses mains, tandis que Johnny Hallyday hurle à s’époumoner qu’on lui donne « L’envie ». Un titre qui pourrait servir d’hymne à la vie de Jean-François Stévenin, lui qui n’a jamais cessé de travailler et dont les enfants Sagamore, Salomé, Robin et Pierre sont aussi comédiens.

Dynastie de cinéma

Parrain d’une dynastie de cinéma, il faut voir ses propres films pour comprendre qui il était. Il n’y en a que trois : « Passe-montagne » (1978), « Double messieurs » (1986) et « Michka » (2002). Trois films rares et importants. Un voyage dans les montagnes à la recherche d’une vallée inconnue qu’on appelle « La combe magique ». L’histoire de deux vieux copains d’enfance qui se retrouvent pour partir à la recherche d’un troisième larron égaré. Et puis le destin du pauvre Mischka abandonné en robe de chambre par les siens sur une aire d’autoroute et qui va faire un grand voyage en compagnie d’un nouveau copain… avec encore une apparition de Johnny. Ces films forment une trilogie tissée de routes sans fin, d’amitiés, de paysages français ordinaires et fantastiques. Un monde d’alcool, d’amour, d’envies. Le monde de Jean-François Stévenin.

Adrien Gombeaud

Source lesechos