L’Union européenne doit enfin subordonner son aide à l’Autorité palestinienne à la tenue d’élections générales et à la réforme des services de sécurité, coupables de graves exactions.
L’Union européenne (UE) et ses Etats membres sont, et de très loin, les premiers bailleurs de fonds de l’Autorité palestinienne (AP). Cet engagement budgétaire ne s’est pas démenti depuis qu’Israël et l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) ont signé en 1993 les « accords d’Oslo ». Négociés dans la capitale norvégienne, ces accords prévoyaient l’établissement d’une « Autorité palestinienne » dans les territoires évacués par l’occupant israélien. Alors que l’AP n’est donc que le fruit d’un compromis israélo-palestinien, l’UE a choisi de considérer cette AP comme l’embryon d’un futur Etat palestinien et de le financer en conséquence. Depuis 2017, plus d’un milliard d’euros sont ainsi versés chaque année par l’UE à l’AP dans la perspective d’un « Etat palestinien démocratique et responsable ». Une aide tellement généreuse fait paradoxalement consensus au sein de l’UE, puisqu’elle rallie aussi bien les tenants de la « solution à deux Etats » que les partisans d’Israël, pour qui l’AP est un sous-traitant commode de l’occupation et de la colonisation. Cette politique européenne n’est cependant plus tenable face aux dérives récentes de l’Autorité palestinienne.
Le refus des élections
Mahmoud Abbas a été élu, en 2005, à la présidence de l’AP par 62,5% des voix, dans un scrutin qui tranchait par sa transparence et sa pluralité avec les plébiscites en vogue dans le monde arabe. A la fois chef de l’OLP et de sa principale composante, le Fatah, Abbas pouvait compter sur une majorité au Parlement palestinien. Mais les législatives de 2006 ont donné une majorité aux islamistes du Hamas, opposés à l’OLP comme au Fatah, et ils ont, l’année suivante, pris le contrôle de la bande de Gaza. Abbas n’exerce depuis lors son « autorité » que sur 40% de la Cisjordanie et sur 2,8 millions de Palestiniens (contre 2 millions d’habitants de Gaza). L’UE a pourtant décidé d’intensifier son soutien à Abbas et à son AP, espérant qu’une telle générosité pourrait convaincre le Hamas de se rallier au processus de paix. Il n’en a rien été et le fossé n’a cessé de se creuser entre le « Fatahstan » de Cisjordanie et le « Hamastan » de Gaza.
Cela fait désormais une décennie que les mandats du président de l’AP et de ses députés sont arrivés à échéance. L’UE a cependant cautionné ce fait accompli fort peu démocratique à la hauteur de plus d’un milliard d’euros par an. Les forces de la « troisième voie » palestinienne, indépendants du Fatah comme du Hamas, sont enfin parvenus à négocier en 2021 un compromis permettant la tenue d’élections générales, le 22 mai pour le Parlement palestinien, le 31 juillet pour la présidence de l’AP. Cette perspective avait suscité un immense espoir dans la population palestinienne, avec un taux de 93% d’inscription sur les listes électorales. Abbas, âgé de 86 ans, avait annoncé qu’il ne briguerait pas sa propre succession et s’était engagé à assurer des élections « libres et démocratiques ». Mais, en avril dernier, l’autocrate palestinien a mis en avant le refus israélien de tenir ce scrutin à Jérusalem-Est pour reporter sine die ces échéances tant attendues. L’UE, au lieu d’exiger la tenue des élections, s’est inclinée face à la détermination d’Abbas de s’accrocher au pouvoir. Cette fermeture de l’horizon politique a grandement contribué à l’escalade du mois de mai et au sanglant conflit autour de la bande de Gaza.
Mort sous la torture
La récente crise a accentué l’isolement et l’impuissance d’Abbas qui, retranché dans le palais présidentiel de Ramallah, s’acharne contre les voix dissidentes en Cisjordanie. Alors que cinq candidats déclarés aux législatives sont déjà incarcérés, un sixième, Nizar Banat, meurt, le 24 juin, quelques heures après son arrestation. L’autopsie conclut que le décès « n’est pas naturel » et relève des « blessures » sur de « nombreuses zones du corps dont la tête ». La famille de Banat accuse l’Autorité palestinienne d’avoir torturé à mort un opposant emblématique, afin de réduire au silence toute forme d’expression critique. Des manifestations de protestation en Cisjordanie scandent pour la première fois « Le peuple veut renverser le régime », le slogan des soulèvements arabes de 2011, et dénoncent le « régime militaire » de l’AP. La répression est sévère et cible les journalistes, notamment les femmes, victimes de harcèlement physique et verbal. Reporters Sans Frontière affirme qu’au moins 35 journalistes ont subi des violences policières durant la semaine suivant la mort de Banat. Michelle Bachelet, haut commissaire de l’ONU pour les droits de l’homme appelle l’AP à la « retenue » et s’inquiète des brutalités perpétrées contre les manifestants par des civils « qui semblaient agir de façon organisée et coordonnée avec les forces palestiniennes de sécurité ».
L’UE s’est pour l’heure contentée d’un simple communiqué de ses représentants à Jérusalem qui, au lendemain du décès de Banat, ont demandé une enquête « indépendante » et « transparente ». Elle ne peut néanmoins plus se satisfaire d’une telle posture face aux débordements d’une AP dont elle assure les fins de mois. Car il ne s’agit plus désormais de complaisance diplomatique, mais de complicité objective avec Abbas, qualifié par un récent éditorial du « Monde » de « despote cramponné à un pouvoir illusoire ». Que l’UE soit incapable d’assurer aux Palestiniens leur droit à l’autodétermination dans le cadre d’un Etat est une chose. D’une autre nature est le soutien à fonds perdus d’une « Autorité palestinienne » fondamentalement répressive et illégitime, du fait de l’absence d’élections depuis quinze ans. Si l’UE s’avère incapable d’obtenir de l’AP le respect des règles minimales de l’Etat de droit, alors mieux vaut pour elle suspendre son soutien à des institutions aussi discréditées.