Les juifs de France entravés par le poids de l’antisémitisme

Abonnez-vous à la newsletter

Alors que l’élection du grand rabbin de France doit se tenir ce dimanche 6 juin, nombreux sont ceux qui au sein de la communauté juive souhaiteraient apporter une contribution spécifique à la société française. Selon l’enquête menée par « La Croix », ces volontés se retrouvent entravées par le poids de la lutte contre l’antisémitisme.

« J’aimerais tellement pouvoir parler d’autre chose que de l’antisémitisme. » Signée du grand rabbin de France Haïm Korsia, cette confidence était glissée à La Croix il y a un peu plus d’un an, juste avant le premier confinement. Quinze mois plus tard, à quelques jours du scrutin qui doit voir sa réélection ou l’élection de son successeur, il réitère ce constat. Pire, pour de nombreux responsables communautaires, cet intervalle aura donné à voir ce qu’ils perçoivent comme une « indifférence » – le mot revient souvent dans les échanges – du reste de la population face à l’antisémitisme.

Révélatrices selon eux de ce constat, les manifestations à la suite de la confirmation en avril de la Cour de cassation de l’irresponsabilité pénale du meurtrier de Sarah Halimi. « Cela a envoyé le message absolument terrible que tuer un juif n’était pas si grave », se désespère le rabbin Yann Boissière, de tendance libérale. Candidat au grand rabbinat de France, Mikaël Journo résume : « La communauté juive de France n’est pas inquiète : elle a peur. »

Certes, certains signaux contre « l’indifférence » sont relevés et salués. « Face à l’antisémitisme, la République est irréprochable », se félicite ainsi Yann Boissière tandis que Haïm Korsia ajoute aux éléments positifs la déclaration des évêques de France appelant « tous les citoyens, croyants ou non, à lutter contre l’antisémitisme ». Mais pour les responsables juifs, cela ne suffit pas. « S’il n’y a pas une solidarité nationale de tous contre l’antisémitisme, nous allons être contraints de partir », affirme vivement Guy Bensoussan. À 72 ans, le président de la communauté israélite de Lille ne cache pas son pessimisme, « pas pour moi, mais pour mes petits-enfants ».

La religion du « dissensus harmonieux »

Et pourtant, comme Haïm Korsia, nombreux sont ceux qui aimeraient être présents dans le débat français pour d’autres sujets que l’antisémitisme. « Je suis convaincu que le judaïsme peut apporter des réflexions, si ce n’est des réponses, aux grands débats d’aujourd’hui », assure ainsi Mordekhaï Bensoussan, grand rabbin de Perpignan. « Notre société souffre de s’être renfermée sur elle-même, renchérit Laurent Berros, rabbin de Sarcelles et également candidat au grand rabbinat de France. La religion permet une ouverture et nous avons donc un rôle à jouer. » Yann Boissière abonde : « Le judaïsme est une religion de la discussion, du dissensus harmonieux, et c’est justement ce qui manque le plus à notre société. »

Des grands débats de société – comme le vivre-ensemble et la bioéthique – à des problématiques plus quotidiennes, le judaïsme a des propositions formées au long de son histoire plurimillénaire à offrir à la société française, assurent à l’unisson les pratiquants de cette religion. Un exemple ? Face à un rythme de vie toujours plus connecté, l’actuel grand rabbin de France – dont l’œil n’est jamais très éloigné de son téléphone portable – prône l’exemple du shabbat. « C’est une bénédiction, assure Haïm Korsia. Pendant une journée, l’homme n’est pas considéré dans sa capacité à produire, mais véritablement par ce qu’il est. »

Participation à la vie locale

La liste des propositions ne s’arrête pas là. La plupart des rabbins et responsables communautaires citent ainsi l’exemple du bien-être animal – « une préoccupation depuis 33 siècles » – ou encore celui de l’environnement – « dans Laudato si’, le pape François reprend la vision juive respectueuse de la création ». La participation veut aussi se faire plus directement, là où se trouvent les communautés. « Sans la pandémie, nous aurions organisé un séminaire pour les 850 ans de la persécution des juifs de Blois pour participer à l’histoire de la ville », indique Didier Lévy, président de la toute récente communauté juive de la capitale du département de Loir-et-Cher et qui insiste que son association n’est pas que « cultuelle » mais aussi « culturelle ».

Yann Boissière, rabbin à Paris, en est ainsi sûr. Il est possible de répondre à la « débâcle de la pensée en général » par le « foisonnement de la pensée juive ». À condition donc que le judaïsme français soit suffisamment serein pour parvenir à se faire entendre sur d’autres sujets que la lutte contre l’antisémitisme.

La communauté juive française en chiffres

  • Selon un rapport publié en octobre 2020 par l’Institute for Jewish Policy Research, le nombre de juifs est estimé à environ 450 000 en France.
  • Alors que la population française augmente, ce chiffre est à l’inverse en baisse. La proportion de juifs au sein de l’ensemble des Français diminue donc. Sur un demi-siècle, la part de Français de confession juive a diminué de moitié, pour désormais atteindre 0,7 %.
  • Structurant la majeure partie du judaïsme français, le consistoire recense près de 500 synagogues dans le pays. À celles-ci, s’ajoutent des communautés libérales et d’autres Loubavitch – ultraorthodoxes.

Xavier Le Normand

Source lacroix