L’ancienne résistante juive Colette Brull-Ulmann, qui avait participé au sauvetage d’enfants juifs à l’hôpital Rothschild à Paris durant la Seconde Guerre mondiale, est décédée samedi à l’âge de 101 ans.
Colette Brull-Ulmann, qui est morte le 22 mai, à Bry-sur-Marne (Val-de-Marne), à l’âge de 101 ans, a longtemps tu un lourd épisode de sa vie. Pendant l’Occupation, elle participa au sauvetage des enfants juifs de l’hôpital Rothschild, à Paris. Mais les visages de la quinzaine d’enfants qu’elle n’avait pu arracher à la déportation, comme la petite Danielle et sa sœur Céline, occultaient le souvenir des dizaines de miraculés qui lui devaient d’avoir survécu. « Je voulais oublier ce que j’avais vu », se justifiait-elle.
Il a fallu attendre le déclin de sa vie pour que, vieille dame au regard de gamine, le corps appuyé sur une canne mais la parole agile, bondissante, elle se livre enfin à Jean-Christophe Portes dans un documentaire diffusé en 2015 (Les Enfants juifs sauvés de l’hôpital Rothschild, avec Rémi Bénichou) puis dans un livre paru en 2017 (Les Enfants du dernier salut, City Edition). Si elle s’était décidée sur le tard à raconter cet épisode, disait-elle, c’était moins pour se glorifier que pour honorer la mémoire de celles et ceux qui avaient œuvré avec elle et s’étaient éclipsés avec leur secret.
En 1940, Colette Brull a 20 ans et est étudiante en médecine à Paris. Les premières lois antisémites l’empêchent de poursuivre son cursus : la profession est désormais interdite aux juifs. Il est une exception, l’hôpital Rothschild, dans le 12e arrondissement, qui est encore à cette époque une institution privée. Colette y devient interne à la fin de 1941 et doit bientôt, comme une partie du personnel de l’établissement, coudre une étoile jaune sur sa blouse blanche.
Un réseau et des complices
Au moment des premières rafles, une partie des lits est réquisitionnée par l’administration pour accueillir les malades en provenance de Drancy. Les prisonniers, des hommes adultes au début, y sont soignés avant d’être renvoyés vers le camp de transit puis expédiés en train vers de mystérieux camps de travail. Cette zone réservée de Rothschild comptera jusqu’à 300 lits, collés les uns contre les autres dans trois pavillons dont les fenêtres ont été scellées. Les entrées sont surveillées par des policiers en arme. Après la rafle du Vél’d’Hiv, le 16 juillet 1942, des femmes et des enfants malades, des mères sur le point d’accoucher sont à leur tour hospitalisés rue Santerre.
Sur place, s’organise alors un réseau mené par une assistante sociale juive, Claire Heyman, et une collègue catholique d’origine chilienne, Maria Errazuriz. Des complices sont recrutés parmi les soignants, dont fait très vite partie Colette. Au début du réseau, une autre femme, Désirée Damangou, se charge d’entrer en contact avec les parents internés à Drancy. Elle leur fait signer une décharge qui permet de confier les enfants à des membres de la famille encore libres. Mais la politique antisémite et la vigilance des geôliers se durcissent et il faut multiplier les stratagèmes. Les sauveteurs font alors disparaître des noms des listings, notamment par de faux actes de décès. Les enfants sont ensuite sortis de l’hôpital, en passant par la morgue, à l’occasion cachés dans des cercueils. Ils sont confiés à des réseaux d’entraide mêlant institutions juives, protestantes et catholiques. Ils sont exfiltrés vers la Suisse ou cachés dans des familles d’accueil. Des prêtres leur fournissent de faux actes de baptême.
Régulièrement, des policiers français ou des soldats allemands débarquent à Rothschild pour compléter les convois pour Auschwitz. Ils visitent les salles où s’entassent les adultes malades. Colette Brull et d’autres soignants tentent de les persuader qu’ils ne sont pas transportables. Il leur faut se battre avec un médecin collabo qui se fait fort de prouver le contraire. Des rafles sont également organisées dans la pouponnière et Colette gardera en mémoire la panique des enfants qui étaient emportés ou la scène de cette mère se défenestrant avec son nourrisson dans les bras.
A l’été 1943, l’étau se ressert autour du réseau de sauvetage. Claire Heyman est arrêtée, de même que Maria Errazuriz, qui est torturée. Elles tiennent bon, sont finalement relâchées, mais doivent abandonner l’hôpital et poursuivre la résistance dans la clandestinité. Colette Brull est également repérée. Sous des faux papiers au nom de Brule puis de Mosnier, elle rejoint à son tour un réseau clandestin. Rattachée au BCRA (Bureau central de renseignements et d’action), elle fait du renseignement et soigne des aviateurs alliés abattus. Elle participe ensuite à la Libération de Paris. Elle se marie avec André Ulmann, lui-même un ancien résistant, devient pédiatre et enterrera pendant des décennies cette page douloureuse de sa vie.
Colette Brull-Ulmann en quelques dates
18 avril 1920 Naissance à Paris
Décembre 1941 Interne à l’hôpital Rothschild
1945 Croix de guerre
2019 Légion d’honneur
22 mai 2021 Mort à Bry-sur-Marne (Val-de-Marne)
Source lemonde