Les «Je vais bien» retrouvés de la correspondance d’Auschwitz

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Un volume donne notamment à lire la correspondance des déportés forcés d’écrire à leurs proches. Une stratégie méconnue de la propagande nazie.

Les archives réservent d’étonnantes surprises : alors que l’on croyait l’histoire de la Shoah préservée de tout angle mort, la découverte de 5 000 courriers, expédiés d’Auschwitz entre septembre 1942 et juillet 1944, permet de documenter une stratégie nazie, peu connue, la Brief-Aktion. Cette «opération Lettres», imposée aux déportés, semble avoir eu pour but de diffuser une bonne image des camps, dits ici de travail. Rédigés en allemand, ces «Je vais bien» n’informent pas sur le quotidien concentrationnaire, mais sur les visées nazies propagandistes, à moins, comme le craignaient nombre de Juifs, que ce fût là un moyen d’obtenir l’adresse des leurs. Aussi certains écrivirent-ils à des personnes imaginaires ou à des amis aryens, rendant ardue la gestion de cette masse de correspondance, à la charge de l’Union générale des Israélites de France, organisation fondée par les Allemands en 1941.

Ces cartes-lettres, vides, sont pourtant l’ultime trace des victimes auxquelles de brèves biographies, rédigées par l’autrice, responsable des archives au Mémorial de la Shoah, redonnent vie. Plus informatif sur les camps est le second corpus composé de lettres «clandestines», exclusivement masculines. Elles sont ainsi qualifiées car leurs rédacteurs ne sont pas leurs signataires : autorisés à écrire, des travailleurs du STO se sont fait les prête-noms de leurs compagnons d’infortune, côtoyés sur des chantiers. Ainsi est exposée la réalité d’Auschwitz et données à lire des dernières paroles, avant une extermination pensée inévitable.

Un troisième corpus révèle l’état d’esprit des survivants, à peine libérés, entre soulagement et désarroi. Alors toutes et tous s’accrochent à l’espoir de retrouver les leurs, les enfants surtout. Yvonne Lévy croit avec raison au miracle pour eux ; il n’aura pas lieu pour Sally Salomon qui, face à l’horreur, a perdu la foi : en septembre 1945, épuisé par le typhus, il meurt, en Suisse, dans les bras de son épouse, sans avoir revu Liliane et Georges.

Je vous écris d’Auschwitz. Les Lettres retrouvées présentées par Karen Taieb, préface d’Ivan Jablonka. Tallandier, 268 pp., 19,90€ (ebook : 13,99€)

Source liberation