Lundi 12 avril, le Tel Aviv Museum of Art a signé des contrats de restitution avec le Mosse Art Restitution Project, représentant des héritiers de la famille Mosse. Depuis 1971, le musée israélien exposait sans le savoir dans son hall deux tapisseries flamandes du XVIIe siècle spoliées par les nazis en 1933 à une famille juive.
Des œuvres d’art spoliées par les nazis conservées pendant 50 ans par un musée israélien ? Incroyable mais vrai. Lundi 12 avril, le Tel Aviv Museum of Art a signé avec le Mosse Art Restitution Project, représentant les héritiers de la famille Mosse à Berlin, des contrats pour restituer deux tapisseries flamandes du XVIIe siècles spoliées par les nazis en 1933. La Fondation Mosse, à la tête du Mosse Art Restitution Project, avait contacté le musée israélien il y a quatre ans après avoir identifié le tableau De l’obscurité à la lumière du néerlandais Jozef Israels (1824–1911) disparue de la collection juive sous le IIIe Reich. Rebelote en 2019, la Fondation a recontacté le Tel Aviv Museum of Art concernant la provenance des deux tapisseries qui étaient exposées dans son hall depuis 1971.
Trois œuvres issues de la collection de Rudolf Mosse
Rudolf Mosse (1843-1920) était un philanthrope juif à Berlin au début du XXe siècle. Éditeur d’environ 130 journaux, dont le Berliner Tageblatt (qui a ouvertement critiqué le parti nazi et Adolf Hitler et est devenu un symbole de la « presse juive »), il était également un grand collectionneur. À sa mort, sa fille Felicia Lachmann-Mosse et son gendre Hans Lachmann-Mosse héritent de ses titres de presse ainsi que de sa précieuse collection d’art qui comportait des antiquités, du mobilier, du textile, des reliefs en bronze, des artefacts d’Égypte antique, de l’art asiatique, des livres rares ou encore le tableau de Jozef Israels et les deux tapisseries flamandes conservés jusqu’à aujourd’hui au Tel Aviv Museum of Art. Trois mois après l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler en 1933, la famille Mosse, a été contrainte à fuir l’Allemagne pour la Suisse. Le gouvernement nazi en a ainsi profité pour saisir l’entreprise famille, le Berliner Tageblatt et leurs biens, dont la vaste collection de Rudolf Mosse et Hans Lachmann-Mosse.
Une partie des œuvres d’art a été vendue aux enchères chez Lepke et Union, tandis que le reste a disparu. C’est le cas des trois œuvres arrivées de bonne foi au Tel Aviv Museum of Art. Alors que le tableau de Jozef Israels a été mis aux enchères à Berlin en 1924, l’œuvre est réapparue sur le marché en 1993 chez Bonhams à Londres, puis chez Sotheby’s à New York où elle est achetée par Meir Stern, survivant de l’Holocauste et propriétaire de la galerie Stern à Tel Aviv. Le marchand d’art vend ensuite la toile à Moti Rubinstein qui en fait don au musée telavivien. Représentant deux scènes bibliques, respectivement la découverte de Moïse dans un panier sur le Nil (Moïse sauvé des eaux) et la traversée de la mer Rouge, les deux tapisseries du XVIIe siècle sont quant à elles inscrites dans le catalogue des œuvres d’art de Mosse, datant de 1933. Achetées aux enchères dans les années 1960 par l’écossais Isaac Wolfson, les deux œuvres sont données par l’acheteur au Tel Aviv Museum of Art en 1971.
La restitution, une « obligation éthique et professionnelle »
Étant une œuvre phare de la collection du musée, De l’obscurité à la lumière a été rachetée à la famille par le Tel Aviv Museum of Art en déterminant sa valeur marchande à l’aide d’une estimation actuelle réalisée par Sotheby’s pour proposer aux héritiers une « solution juste et équitable ». Actuellement prêté à une autre institution, le tableau sera à son retour au musée présenté avec un cartel détaillant l’histoire de sa provenance. « Le cas des tapisseries étant moins clair (il n’y a aucune preuve qu’elles ont été vendues aux enchères en 1934), il fut convenu entre les parties que le musée rendrait les tapisseries à la famille qui, dans un geste de bonne volonté, paierait leur transport vers l’Allemagne », explique le Tel Aviv Museum of Art dans un communiqué.
Si la restitution d’œuvres d’art pillées durant la Shoah n’est pas inédite dans l’histoire des musées israéliens, à l’instar du Musée d’Israël à Jérusalem en 2010, c’est une première pour le musée telavivien. « La restitution est une obligation éthique et professionnelle, a déclaré la directrice du musée Tania Coen-Uzieli. Ces dernières années, l’étude de la provenance des œuvres d’art est devenue une préoccupation majeure des institutions du monde entier. Les musées allouent des ressources importantes à la recherche de provenance, ce qui est essentiel pour rendre historiquement justice. »
Agathe Hakoun