Une frange du mouvement berbériste marocain, historiquement mobilisé contre le panarabisme, soutient la normalisation diplomatique avec l’Etat hébreu.
« Taza avant Gaza. » La formule claque comme un slogan. Taza, c’est un col du Rif, haut lieu de la revendication amazigh au Maroc. Jouer de la proximité phonique avec Gaza pour affirmer la primauté de la cause berbère sur la solidarité avec la Palestine est l’une des trouvailles langagières de militants amazighs marocains. Dans le royaume, ils sont les seuls à s’être réjouis au grand jour de la normalisation diplomatique avec Israël décidée le 10 décembre 2020 par le roi Mohammed VI, en échange de la reconnaissance de la marocanité du Sahara occidental par l’ex-président américain Trump.
La majorité de l’opinion publique avait applaudi le volet Sahara occidental du « deal » mais était restée silencieuse sur la réconciliation avec l’Etat hébreu. De nombreux activistes amazighs ne partagent pas l’embarras ambiant. Leur sympathie pro-israélienne est même si décomplexée qu’ils proposent d’ériger le 10 décembre en date anniversaire. « Le symbolisme historique de l’événement doit être célébré », clame ainsi la Confédération Atlas Transift, une coalition d’associations amazighs du Haut Atlas marocain.
Israël vu comme un modèle
C’est que l’Etat hébreu est considéré par certains militants berbères comme un modèle de réussite de réappropriation d’une terre ancestrale. « Depuis l’époque de la colonisation, les amazighs ont vu leur culture et leur histoire rejetées et réprimées, explique Mohamed El Ouazguiti, coordinateur de la Confédération Atlas Transift et créateur du site d’information AmazighWorld. Parallèlement, au Moyen-Orient, les Hébreux, victimes du même sort, sont arrivés à faire revivre leur identité et même leur langue. » L’analogie revendiquée nourrit comme un sentiment de proximité.
Quand le Maroc décide, en 2000, de fermer son bureau de liaison à Tel-Aviv en réaction à la deuxième Intifida, toute une frange des militants amazighs exprime son désaccord. Cinq années plus tard, un projet de groupe d’amitié entre Berbères et Israéliens voit le jour dans la ville d’Agadir mais l’initiative avorte après avoir suscité la polémique. Depuis, c’est en ligne, sur Facebook et WhatsApp, que ces partisans du rapprochement ont trouvé refuge.
Le Congrès mondial amazigh (CMA), une structure de coordination des associations amazighs créée en 1995 à l’échelle internationale, s’est même inspiré du modèle du Congrès juif mondial (CJM), selon Mohand Tilmatine, l’un des fondateurs de cette organisation et chercheur sur la question berbère. Le CJM avait vu le jour en 1936 dans le but de devenir le « bras diplomatique du peuple juif » mais surtout de défendre l’établissement d’un foyer juif en Palestine. « Le modèle israélien est très apprécié par un pan de la société militante amazigh mais cette comparaison a ses limites, précise M. Tilmatine. Les amazighs ont été discriminés sur une terre qu’ils n’ont jamais quittée. »
Tollé au Maroc
Certains militants berbères marocains ont sauté le pas en se déplaçant en Israël même. Une délégation de militants amazighs s’est ainsi entretenue en 2016 à Tel-Aviv avec des membres de la communauté juive marocaine ainsi qu’avec des députés de la Knesset. Deux ans plus tôt, une visite annoncée d’intellectuels amazighs dans la capitale israélienne, où ils avaient été invités pour participer à un colloque, avait été annulée en raison d’un tollé au Maroc.
Des associations propalestiniennes avaient alors exigé des autorités marocaines de poursuivre en justice toute personne se rendant en Israël pour « intelligence avec l’ennemi ». On n’en est plus là. Signe de l’apaisement des esprits sur cette question, les associations amazighs, qui se sont félicitées de la reprise des relations diplomatique avec Israël, n’ont pas été attaquées comme elles avaient pu l’être auparavant.
Cette sympathie pro-israélienne n’a pas pu être tempérée par une solidarité avec la Palestine. Pour nombre de militants amazighs, celle-ci s’identifie à un panarabisme – mouvement politique et culturel visant à unifier les peuples arabes dans les années post-indépendance – qu’ils rejettent, car perçu comme une idéologie exclusive menaçant l’identité religieuse et ethnique plurielle de l’Afrique du Nord.
« La cause palestinienne peut avoir du sens pour des Nord-Africains qui ont été entraînés par une logique panarabe durant l’ensemble de leur socialisation », souligne Mohand Tilmatine. Les militants amazighs y ont été moins exposés. « Les amazighs n’estiment pas être en opposition directe avec Israël, décrypte M. Timaltine. Plus encore, ce pays étant l’ennemi de leur ennemi, il peut être perçu comme un potentiel ami. »
« Mémoire identitaire commune »
Une autre source de la connivence avec Israël tient dans le passé berbère partagé avec plusieurs centaines de milliers d’Israéliens d’origine marocaine. Dans leur plaidoirie en faveur de la normalisation diplomatique entre les deux pays, les militants amazighs mettent en avant cette « mémoire identitaire commune » tissée de « liens linguistiques, culturels et civilisationnels » avec une partie de la population israélienne. Ils invoquent notamment l’antériorité du judaïsme à l’islam et à l’arabité en Afrique du Nord. « Les juifs maghrébins sont tout simplement nos ancêtres qui ont résisté et qui ne se sont pas convertis à l’islam, explique Mohamed El Ouazguiti. Lors de mon séjour en Israël, j’ai pu parler avec des juifs marocains dans ma langue maternelle, le tamazight, enchérit Mounir Kejji, intellectuel et militant amazigh. J’en ai eu les larmes aux yeux. »
La berbérité des juifs originaires d’Afrique du Nord a été étayée et défendue par Julien Cohen-Lacassagne, dans son livre Berbères juifs. L’émergence du monothéisme en Afrique du Nord (La Fabrique, 2020). L’auteur rejette pourtant fermement le recours à cet argument pour justifier la normalisation des rapports entre les deux pays. « Ce qui m’inquiète, c’est que ce support historique serve un peu d’enrobage culturel à un accord qui est avant tout un accord diplomatique de marchandage », nuance l’historien.
Prudence côté israélien
Toutefois, l’enthousiasme des militants berbères n’a pas véritablement trouvé d’écho auprès des autorités israéliennes. Alors qu’il vient tout juste d’officialiser cette réconciliation, le gouvernement israélien ne veut pas apparaître comme se mêlant des luttes internes au Maroc et appuyant publiquement le mouvement amazigh.
Le représentant israélien du nouveau bureau de liaison à Rabat a manifesté une évidente prudence à ce sujet. « Je ne dispose d’aucun lien avec le mouvement amazigh, a-t-il déclaré au site d’information marocain Hespress. C’est un mouvement politique. En tant que représentant de l’Etat israélien auprès du Maroc, je ne souhaite aucunement commenter les affaires marocaines. »
Une telle retenue ne décourage pas pour autant des militants amazighs qui appellent désormais à l’accélération de la coopération entre les deux pays et à l’ouverture d’ambassades dans les plus brefs délais. Mounir Kejji ne s’en cache pas : « J’aimerais que les choses aillent plus vite et plus loin. »