Le président américain affiche sa vertu, pour se démarquer de son prédécesseur. Mais diplomatie et morale ne font pas toujours bon ménage.
Pendant quatre ans, Donald Trump a été accusé d’être le trublion des relations internationales, le dynamiteur des alliances forgées par l’Amérique, le fossoyeur de l’Occident. Joe Biden avait promis d’en prendre le contre-pied. Sous sa présidence, l’Amérique allait « guider à nouveau le monde ». « Le triomphe de la démocratie et du libéralisme sur le fascisme et l’autocratie […] ne doit pas seulement définir notre passé mais aussi notre avenir », assurait-il dans la revue Foreign Affairs il y a un an.
Alors qu’approche pour lui l’échéance symbolique des cent jours à la Maison-Blanche, Joe Biden a d’ores et déjà rempli la première partie du contrat. Sous sa conduite, l’Amérique est de retour. Le président met les petits plats dans les grands avec ses alliés européens et asiatiques. Et il prend de front ses adversaires. Lui que ses opposants accusaient de mollesse en rajoute dans la fermeté avec Pékin et Moscou.
Le chaos continue
La seconde partie de la promesse, cependant, reste hors d’atteinte. Le chaos – plutôt que « le triomphe de la démocratie et du libéralisme » – continue, malgré le départ de Trump, à dominer le monde. La pandémie n’explique pas tout. Les gesticulations de Biden, loin d’impressionner la Chine et la Russie, les ont poussées à se rapprocher. Le nouveau président n’a pas de solution à proposer en Afghanistan, où le retour des talibans au pouvoir semble inéluctable. La Corée du Nord le défie avec insolence en poursuivant ses tests de missiles. L’Iran, tout à son projet de bombe nucléaire, accélère l’enrichissement de l’uranium comme si de rien n’était.
Il n’est pas aisé, quand on se veut un modèle de vertu, de composer avec le monde hyperréaliste des relations internationales. La règle est valable aussi pour un expert comme Biden, rompu à la diplomatie depuis qu’il a passé trente ans à la commission des Affaires étrangères du Sénat, puis huit ans en tant que vice-président de Barack Obama. Malgré tout son savoir-faire, la tartuferie transparaît dès lors que la pureté des intentions se frotte à la rigueur des intérêts.
Le nouveau président a fait pleuvoir les sanctions sur les proches du « tueur » Vladimir Poutine ou sur les dirigeants chinois responsables de la politique « génocidaire » anti-Ouïgours. Mais quand il désigne le prince héritier d’Arabie saoudite comme le commanditaire du meurtre sadique d’un opposant, il s’abstient de prendre la moindre sanction contre lui. Il a trop besoin de Riyad contre Téhéran. Idem avec Recep Tayyip Erdogan : Joe Biden boude ostensiblement son homologue turc. Mais il lui envoie en même temps des messages rassurants par la voix de son ministre des Affaires étrangères, qui rappelle que « la Turquie est un allié de longue date et précieux » qui sera donc ménagé.
Hypocrisie, aussi, sur l’immigration : Joe Biden dénonçait pendant sa campagne la politique consistant à séparer les migrants mineurs de leurs parents. Non seulement la pratique se poursuit mais le nombre d’enfants entassés dans des camps à la frontière mexicaine a augmenté de 60 % pendant le premier mois de sa présidence. Hypocrisie, toujours, lorsque le nouveau président réserve aux États-Unis l’essentiel des vaccins qui y sont produits, appliquant à la lettre le slogan « l’Amérique d’abord », qu’il jugeait, chez son prédécesseur, honteux et contre-productif.
Injonctions contradictoires
Joe Biden n’est pas le premier président des États-Unis à être écartelé entre l’idéalisme affiché et le réalisme pratiqué. Ce dilemme a marqué toute l’histoire de la politique étrangère américaine. D’un côté, le chef de l’État doit faire avancer les intérêts de son pays dans le monde ; de l’autre, il doit entretenir la foi dans l’exceptionnalisme américain et sa mission universelle de promotion de la démocratie et des libertés. Les deux injonctions sont parfois contradictoires. Donald Trump évitait de s’infliger ce casse-tête car il se fichait comme d’une guigne de faire régner l’État de droit en dehors des frontières américaines.
Joe Biden, lui, entend se démarquer à la fois de l’isolationnisme trumpien et de l’interventionnisme néoconservateur qui a conduit l’Amérique à des interventions désastreuses en Irak ou en Afghanistan au début du siècle. Pour cela, il s’inscrit résolument dans le conformisme moral qui a le vent en poupe dans la gauche américaine. Mais lorsqu’il utilise les droits humains comme instrument de lutte contre les régimes autoritaires, il en vise certains et en épargne d’autres. Le risque, pour un dirigeant qui adopte une posture à ce point fondée sur la morale, sera d’être jugé à cette aune.
On peut rajouter à cet excellent article de Luc Barochez, que Joe Biden gesticule et sort les dollars pour s’acheter une bonne conduite face aux palestiniens, mais pas sûr que ça lui donne le rôle de premier dont tus les « @Potus » rêvent, au Moyen Orient.