L’écrivain et scénariste Jean-Michel Guenassia a obtenu le Prix Goncourt des lycéens en 2009 avec son roman Le club des incorrigibles optimistes. Il vient de publier la suite : Les terres promises, aux éditions Albin Michel.
franceinfo : Les terres promises, c’est la suite des aventures de votre club d’incorrigibles. Sont-ils toujours aussi optimistes, leurs rêves ont-ils été exaucés ? C’est un peu ça, finalement : comment une génération en devient une autre, poussée par une nouvelle, avec une mélancolie toujours présente.
Jean-Michel Guenassia : Oui, parce que ce sont des vies qui étaient compliquées. Quand des vies sont compliquées, que des gens essaient de survivre toujours, rencontrent des difficultés, des épreuves, c’est ma manière en tous cas de le raconter.
Décolonisation, effondrement du bloc communiste, désillusions… De Paris à Saint-Pétersbourg en passant par Tel-Aviv et Alger, vous nous embarquez réellement dans un voyage effréné. Un voyage intérieur qui traite de nos doutes, de nos ressentis et de l’importance de nos convictions.
Oui. Le point commun entrer Le club… et celui-là, c’est les utopies, la volonté de changer le monde. Je ne sais pas si cette préoccupation existe fortement encore aujourd’hui mais elle était extrêmement présente dans les années 60, 70, 80. On se souvient du fabuleux film d’Ettore Scola Nous nous sommes tant aimés (1974). Ils voulaient changer le monde et c’est le monde qui les a changés. Ce sont des gens qui s’engagent, prennent des coups et en donnent, qui rêvent à des vies meilleures, à des sociétés meilleures et malheureusement avec le recul, lorsqu’on voit les grandes utopies du début du 20ème siècle, très peu ont réussi.
Le point de départ reste l’apprentissage du monde, à travers notre éducation. Ces deux ouvrages en disent long sur qui vous êtes.
Peut-être. Ce ne sont pas des autobiographies mais ce sont vraiment des ouvrages où il y a des milliers de détails de ma vie personnelle. Ce sont des ouvrages en réalité extrêmement personnels, intimes.
Vous êtes né à Alger. Une ville qui occupe une grande partie de votre écriture. Qu’en gardez-vous ?
En réalité, c’est plus une opportunité d’auteur. Je ne suis pas nostalgique de l’Algérie coloniale. C’est parce que c’est bouleversant et ce qui m’a aussi intéressé, c’est que l’on parle en France sur toute la guerre d’Algérie et très peu de ce qui s’est passé après, finalement. À partir de juillet 1962, l’indépendance de l’Algérie, il n’y a pratiquement aucun ouvrage sur cette période qui correspond à un espoir invraisemblable. Pour un auteur, c’est beaucoup plus intéressant d’aller sur un territoire quasiment inconnu où il n’y a quasiment aucun roman, très peu d’essais, alors qu’on pourrait remplir cette pièce de tout ce qui a été écrit sur la guerre d’Algérie.
Vos deux ouvrages sont maintenant indissociables et dressent le tableau de la France des années 60 mais vue par des immigrés qui, finalement, ont contribué à faire de la France ce qu’elle est aujourd’hui.
Oui, forcément. La France est un mille-feuilles de migrations et ça renvoie évidemment à l’époque qu’on vit aujourd’hui.
Vous avez été avocat.
Pendant six ans. J’étais très heureux et j’étais un bon avocat, je crois, mais j’avais envie d’écrire. J’étais jeune et je me suis dit « Si je ne le fais pas, si je n’essaie pas, je le regretterai toute ma vie. À 29 ans, le 1er janvier 1980, j’ai quitté le barreau et je me suis dit : ‘Je vais écrire’. Je voulais être scénariste donc je suis devenu scénariste. »
Que vous ont transmis vos parents ? Vous en parlez peu.
Je n’en parle pas parce que mes parents ont divorcé quand j’avais trois mois. En 1950, c’était assez rare, mon père est resté à Alger, ma mère est venue s’installer en France et je l’ai suivie. Je retournais voir mon père pour les vacances, j’avais de très bonnes relations avec lui mais il était loin. Ma mère est une femme très gaie avec beaucoup d’humour, d’une incroyable tolérance.
La tolérance, on la ressent dans cet ouvrage, tout comme ce besoin de tendre la main.
Oui, d’essayer de comprendre. En réalité, je n’écris pas des livres historiques, j’écris des livres dans lesquels il y a des hommes et des femmes qui sont « uppercutés » par le monde dans lequel ils vivent. Ce ne sont pas des vies tranquilles, elles sont souvent compliquées.
Que vous apporte l’écriture ?
C’est ma vie. Pas un jour sans une ligne, toujours en état d’agitation intellectuelle. Je suis complètement dans mon nouveau roman, c’est aussi indispensable que de manger et de boire.
Il y a une rythmique très rock ‘n’ roll. Vous l’êtes ?
Extrêmement. Toujours. Oui, je n’écoute que du rock, que de la pop, j’écoute The Strokes en permanence, Bowie… J’écris en écoutant de la musique. Ça peut être aussi bien Chopin que Peter Doherty.
Le plus important dans la terre promise, ce n’est pas la terre mais la promesse ?
Bien sûr, parce que ce sont des rêves. Le problème vient du jour où on croit que c’est la terre qui est importante et on voit le dégât que cela fait en Israël. Tant que c’était la promesse, c’était un rêve. La terre promise, c’est uniquement la promesse.