M&H, le whisky de Tel Aviv se lâche

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La petite distillerie israélienne présente sa gamme Apex, des embouteillages en série limitée décomplexés et complètement barrés qui écrivent une page singulière de la jeune histoire des whiskies du monde.

On dit souvent, avec raison, que le whisky est une école de la patience, un produit du temps long confié à la grâce des années qui le façonneront sans se bousculer. Mais Milk & Honey (“le lait et le miel”, en anglais) est une distillerie pressée, électrisée par un sentiment d’urgence révélateur. Fondée à Tel Aviv en 2014, dans l’ombre du Bloomfield Stadium, la pionnière du whisky israélien a décidé il y a un an d’empoigner le taureau par les cornes et d’emballer le calendrier.

Le taureau, en l’occurrence, orne les bouteilles de la distillerie, à ce détail près qu’il exhibe les rayures d’une abeille sur ses flancs, créature hybride hésitant entre la charge et l’envol. “On dit qu’Israël est le pays où coulent le lait et le miel”, éclaire Tal Chotiner, qui dirige les ventes à l’export. Un pays où apparemment on tire le lait des taureaux – et j’ai dû penser cette phrase à voix haute car Tal se marre : ”Oh, ici, on n’est pas à un miracle près ! Personne ne t’avait prévenue ?

Milk & Honey a jusqu’ici déroulé le business plan parfait, ce qui ne relevait pas de l’évidence sur le papier au vu d’une liste d’obstacles plus longue que la Torah dictée sans ratures. Pas de cultures d’orge, un territoire en grande partie aride où l’eau (nécessaire en abondance à la fabrication du whisky) se fait plus rare que le lait avec ou sans miel, un climat chaud et sec prélevant une part goulue dans les chais en raison de l’évaporation, un pays dépourvu de toute tradition de distillation (avec les difficultés inhérentes pour recruter) et, pois chiche sur le houmous, une équipe fondatrice sans la moindre expérience du whisky. Mais les obstacles ne freinent semble-t-il que ceux qui s’y arrêtent.

Toute une gamme complète sortie en un an

Et M&H mène sa course à toute vapeur. M&H ? Quand les premiers single malts sont sortis, certains consommateurs ont pris au pied de la lettre le nom de la distillerie : “Ils imaginaient qu’on mettait du lait et du miel dans le whisky… Sérieusement ?, s’exclame Tal Chotiner. Nous avons donc décidé de nous en tenir aux initiales.” Après quelques new malts qui n’avaient pas l’âge de s’appeler whisky et un gin qui s’est vite taillé une belle réputation, la distillerie sort son premier single malt permanent, le Classic, début 2020.

Puis enchaîne en présentant sa collection Elements, avec un Peated Cask, un Israeli Red Wine Cask et un Sherry Cask. Soit une gamme complète en un an à peine. A lot of fun. Et après tant de fun, il était temps de s’amuser. M&H vient donc de présenter en mars sa nouvelle série, Apex (“sommet”, en latin).

“Apex, c’est notre terrain de jeu, résume Tomer Goren, le distillateur en chef. Des bruts de fûts, en small batch, des créations originales, novatrices, aucune limite sauf notre imagination. On adore, ou on déteste, mais peu importe : ce sont des whiskies clivants, qui veulent élargir le spectre, qui veulent donner à penser autrement.” Les quatre premiers embouteillages nous arrivent en salve, en édition limitée. Complètement barrés !

Les fûts de vin de grenade, plus intéressants que le vin lui-même

D’abord, un White Wine Cask à 61,2%, pleine maturation en fûts de chardonnay des monts de Jérusalem, floral, abricoté, galvanisé à la fleur de sureau. Puis un Pomegranate Wine Cask qui décapote à 60,3%, finish en fûts de vin de grenade (spécialité israélienne dont on peine à regretter qu’elle ne fût pas davantage exportée), qui fizze en bouche sur la figue et la grenade dégoupillée. “Israël est l’un des rares pays à en produire, remarque Tal Chotiner. Ce fruit pousse en abondance dans le nord de la Galilée. Entre nous, les fûts sont plus intéressants que le vin.”

Ensuite un Rum Cask (57,3%) sec et très funky intégralement vieilli en fûts de rhum cubain et jamaïcain où l’alcool de canne expédie le whisky au tapis dans des arômes de chocolat, de noix de pecan, de banane verte. Et pour finir un Cognac Cask (59,4%) que je n’ai pu goûter, la fiole ayant cassé sa pipe pendant le transport vers le Zoom, un finish de 6 mois en fûts de cognac casher de la maison Godet – cacao, épices et fruits à noyaux, semblaient dire mes camarades de dégustation virtuelle.

“Les fûts de vin du pays, les whiskies casher… Pour nous, c’était important d’avoir un peu d’ADN israélien, un point de vue israélien sur ce qu’on fait, même si nos savoir-faire sont profondément influencés par l’Ecosse”, me confiait Eitan Atir, le PDG de M&H lors de ma visite à la distillerie.

Le whisky casher ou la loi de la complication maximale

Et produire du whisky casher, ce n’est pas de la nougatine, laissez-moi vous le dire franchement ! Tant que le spiritueux vieillit en anciens fûts de bourbon, inutile de s’arracher les cheveux. Mais qu’on envisage de le laisser mûrir en fûts de vin (y compris fortifié comme le xérès ou distillé comme le cognac), et le casse-bobine se complique. Car en raison de son rôle rituel dans la religion le jus de la treille fait l’objet de tous les soupçons.

Pour être casher, autrement dit conforme aux prescriptions rituelles du judaïsme, il doit être vinifié selon des règles strictes, par des juifs pratiquants et sous la surveillance d’un rabbin. M&H se fournit en barriques certifiées conformes auprès des établissements viticoles israéliens. Mais le xérès (ou sherry), comme le cognac, doit être produit sur une aire géographique bien précise qui n’englobe pas le Proche Orient. Afin d’élaborer le premier whisky au monde jamais élevé en fûts de sherry, la distillerie a donc dû dépêcher un rabbin de Barcelone à Jerez pour superviser l’élaboration du vin fortifié.

More fun ? Pour ses prochaines séries extrêmes, M&H a stocké des barriques de rye sur le toit en terrasse d’un hôtel sur la mer Morte (à 388m sous le niveau de la mer même en comptant les escaliers), pour des finishes brefs tant les anges siphonnent les fûts sans reprendre leur souffle. D’autres chais vers Jérusalem et dans le désert du Sinaï rendront un jour leur verdict. “On commence à devenir un peu wild”, commente Tomer Goren avec un sens de l’understatement consommé. Et si goûter ces whiskies vous procure la moitié seulement du kif que l’équipe de M&H a éprouvé à les fabriquer, vous allez décoller.

Par Christine Lambert

Source whiskymag