Sa présidente, Mélanie Luce, a admis que le syndicat étudiant organisait de telles réunions. Pour Jean-Michel Blanquer, qui réfléchit à des moyens de les interdire, il s’agit de réunions « racistes »
Il aura suffi d’un passage sur Europe 1, le 17 mars, pour que Mélanie Luce, la présidente de l’Union nationale des étudiants de France (UNEF), déchaîne les passions. Interrogée par Sonia Mabrouk, la syndicaliste a admis l’organisation de réunions « non mixtes racisées » au sein de son organisation – comme révélé par Le Monde en 2017 –, provoquant l’ire d’une partie de la droite et de l’extrême droite, mais aussi de membres de la majorité.
Le syndicat étudiant est certes régulièrement dans le viseur de ses adversaires. Jamais pourtant les réactions n’auront été si violentes. Vendredi 19 mars, le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a estimé sur BFM-TV que ces réunions étaient « racistes » et « profondément scandaleuses ».
« Les gens qui se prétendent progressistes et distinguent les gens en fonction de la couleur de leur peau nous mènent vers des choses qui ressemblent au fascisme, a ajouté M. Blanquer. Je ne suis pas ministre de l’enseignement supérieur. Mais, en tant que ministre de l’éducation, dès que je constate des choses de ce type, bien sûr que je considère que ça doit être porté en justice. » Il a, en outre, affirmé qu’il réfléchissait « à d’éventuelles évolutions législatives pour empêcher ça ». Pour le ministre, « distinguer les gens selon la couleur de leur peau » peut mener « vers des choses qui ressemblent au fascisme ».
Dès mercredi 17 mars au soir, Eric Ciotti, le député du parti Les Républicains (LR) des Alpes-Maritimes, demandait la dissolution du syndicat. « L’UNEF est devenue l’avant-garde de l’islamo-gauchisme en France. Sous couvert de neutralité, ce syndicat étudiant est un mouvement clairement antirépublicain », écrit l’élu dans un communiqué.
« L’UNEF a sombré dans le gauchisme américain depuis bientôt dix ans. C’est de la discrimination raciale. Comment aurait-on réagi si on faisait des réunions interdites aux juifs ? », s’est insurgé le député (LR) de Vaucluse Julien Aubert. Ce dernier assure avoir déposé plainte pour « discrimination raciale » contre le syndicat étudiant.
Une « dérive de long terme »
Pour François-Xavier Bellamy, député au Parlement européen, il s’agit là d’une « dérive de long terme ». Lui aussi favorable à une dissolution, le philosophe estime qu’une réunion où les personnes sont admises ou exclues en fonction de leur couleur de peau relève du « racisme ». « Que dirions-nous si des salles étaient interdites aux Noirs ou aux Arabes ? Une action doit être menée pour faire la lumière sur ces faits et les qualifier, plaide-t-il. Soit l’UNEF rompt avec ces pratiques, soit il faut la dissoudre. »
Merci une fois de plus à @SoMabrouk pour sa clairvoyance, et l’exigence avec laquelle elle permet aux Français d’être réellement informés de la gravité des choix idéologiques qui, derrière les artifices de communication, menacent profondément l’universalisme et la démocratie.
— Fx Bellamy (@fxbellamy) March 17, 2021
M. Bellamy se dit d’autant plus consterné que le syndicat, dont il n’a jamais été proche, n’a pas toujours été dirigé ainsi. « Souvenons-nous qu’en 2013 l’UNEF se prononçait contre le port du voile à l’université », tient-il à rappeler. « Cette organisation nous provoque et nous teste », s’inquiète, pour sa part, Eric Pauget, député LR des Alpes-Maritimes, qui demande l’arrêt immédiat des subventions publiques à l’UNEF « avant même sa dissolution ». Le député Rassemblement national (RN) du Nord, Bruno Bilde, demande également la coupure « des subventions ».
Au-delà de la droite, plusieurs voix se sont exprimées, notamment au sein de la majorité, pour critiquer le syndicat étudiant. « L’UNEF a fait le choix, pour survivre, d’un clientélisme indigéniste exacerbé totalement scandaleux », a ainsi regretté l’ancien ministre de l’intérieur et président du groupe La République en marche (LRM) de l’Assemblée, Christophe Castaner.
L’Union des étudiants juifs de France (UEJF), qui s’est souvent retrouvée par le passé aux côtés de l’UNEF dans des mobilisations antiracistes, s’est, elle, interrogée sur Twitter : « A quel point faut-il être basané pour y entrer ? Avec un peu de chance, les juifs séfarades pourront y être admis… Les Ashkénazes, eux, tout autant victimes de la haine antisémite, seront clairement trop blancs. »
L’@UNEF assume donc organiser des réunions en non mixité raciale. À quel point faut-il être basané pour y rentrer ? Avec un peu de chance, les juifs sepharades pourront y être admis.. Les ashkénazes, eux, tout autant victimes de la haine antisémite, seront clairement trop blancs.
— UEJF (@uejf) March 18, 2021
Francis Kalifat, le président du CRIF, a fait, quant à lui, un parallèle avec le groupe d’extrême droite Génération identitaire : « J’ai en son temps salué la dissolution de Génération identitaire, j’espère pouvoir très vite saluer la dissolution de l’UNEF, qui reconnaît par la voix de sa présidente l’organisation de réunions interdites aux Blancs. »
J’ai en son temps salué la dissolution de #GenerationIdentitaire j’espère pouvoir très vite saluer la dissolution de #UNEF qui reconnaît par la voix de sa présidente l’organisation de réunions interdites aux Blancs.@GDarmanin @VidalFrederique
— Francis Kalifat (@FrancisKalifat) March 17, 2021
« C’est caricatural »
Face à ce déchaînement, l’UNEF fait le dos rond. Mélanie Luce précise que les réunions dont il est question n’ont lieu « que deux fois par an maximum » et ne concernent que les militants du syndicat. « Il y a des réunions non mixtes sur les discriminations, qu’elles concernent les femmes, les LGBT ou les questions de racisme, explique l’étudiante en droit à l’université Paris-II Panthéon-Assas. Ce sont des groupes de paroles internes à l’organisation, au niveau du bureau national [direction du syndicat] et des AGE [associations générales d’étudiants, la section de base de l’UNEF]. Ce ne sont pas des réunions publiques. Toutes les personnes qui se sentent concernées peuvent venir, on n’a jamais refusé personne. » Une fois ces réunions tenues, un compte rendu a lieu « en réunion mixte » cette fois-ci, soit dans la section locale, soit au sein du bureau national.
Mme Luce assure que le syndicat demeure pour autant « universaliste ». « On a toujours dénoncé l’obscurantisme et on est attachés à la loi de 1905 »,continue-t-elle. Et d’ajouter : « Il y a une fracture générationnelle, les étudiants se soucient plus de discrimination. On lit toujours Marx. On dénonce le racisme systémique, le racisme institutionnel. On ne parle pas de racisme d’Etat. »
Pour la dirigeante, les attaques que subit l’UNEF sont une manière pour ses adversaires de réclamer le pendant de la dissolution de Génération identitaire, une comparaison qu’elle réfute d’ailleurs : « C’est caricatural. On n’est pas d’extrême gauche. Nous sommes progressistes, on rassemble plusieurs courants politiques. » Selon elle, cette polémique est utile au gouvernement pour décrédibiliser la parole de l’organisation, alors même qu’elle bataille pour obtenir des mesures contre la précarité des étudiants et pour rouvrir les universités.
La fin d’une « pouponnière » politique
Depuis plusieurs semaines, l’UNEF, organisation née en 1907, est sous le feu des critiques. Début mars, à Grenoble, sa section locale a relayé un post (avant de l’effacer) où l’on voyait notamment des collages accusant nommément des professeurs d’islamophobie. La direction du syndicat avait alors condamné sa section grenobloise. Cet incident s’ajoute à plusieurs polémiques autour du rapport de l’UNEF à la laïcité (par exemple le fait que sa vice-présidente, Maryam Pougetoux, soit voilée) et à sa conception de l’antiracisme.
Une partie de la gauche dénonce ainsi une dérive du syndicat étudiant, qui fut longtemps une école de cadres. De nombreux socialistes, « insoumis », communistes et même macronistes de la première heure en sont issus. C’était le passage quasi obligé, l’école de militantisme où l’on apprenait à lutter contre la droite et l’extrême droite, mais aussi à naviguer dans les arcanes politiques.
L’UNEF semble aujourd’hui de plus en plus isolée. Devenue deuxième organisation étudiante derrière la modérée Fédération des associations générales étudiantes (FAGE), elle paie, en partie, sa volonté d’indépendance vis-à-vis des formations de gauche, alors qu’auparavant chaque courant avait son « grand frère » qui donnait des conseils, des instructions stratégiques mais aussi une structuration politique forte. Ce n’est plus le cas aujourd’hui et si le syndicat n’est plus la « pouponnière » qu’il fut, son discours a aussi pu perdre en cohérence. Ses responsables se rendent compte de cette mise à l’écart. Dans un mail que Le Monde s’est procuré, le secrétariat général du syndicat demande aux anciens responsables de la solidarité :
« Face à cette situation où la fachosphère s’organise contre l’UNEF et menace directement les camarades, il est plus que jamais important d’avoir votre soutien afin de nous permettre de faire face à cette situation qui parasite nos activités militantes. »
Pour l’instant, la plupart des figures de la gauche, qui ne sont pourtant jamais avares de tweets ou de messages de solidarité, se font remarquer par leur discrétion depuis l’apparition du mot-dièse #dissolutionunef. Comme s’ils voulaient saisir l’occasion de se séparer d’un vieux membre de la famille devenu trop encombrant.