Le ministère de la culture a annoncé, lundi, la restitution de « Rosiers sous les arbres », acquis en 1980 et exposé au Musée d’Orsay, à la famille de Nora Stiasny, une victime de la Shoah. Un projet de loi est en préparation pour permettre cette procédure.
« Merci beaucoup pour votre geste extraordinaire. Il est incomparable. » Le mot est de Ruth Pleyer, une chercheuse autrichienne qui travaille depuis plus de vingt ans sur les spoliations dont fut victime la famille de l’industriel juif Victor Zuckerkandl, premier acheteur de la toile, et celle de sa nièce Nora Stiasny, qui en hérita.
Et le geste est effectivement à saluer : le gouvernement français, par la voix de Roselyne Bachelot qui s’exprimait lundi 15 mars, lors d’une conférence de presse au ministère de la culture, a annoncé son intention de restituer aux ayants droit survivants de ces familles assassinées par les nazis le seul tableau de Gustav Klimt (1862-1918) présent dans les collections publiques françaises.
Il s’agit de Rosiers sous les arbres, peint vers 1905, un tableau carré d’un peu plus d’1,10 mètre de côté. Quand il réalise ce tableau, Klimt est déjà un artiste célèbre : en 1897, il a cofondé le groupe des sécessionnistes viennois, déclenché quelques scandales dans la capitale autrichienne avec des allégories que ses contemporains jugent provocantes (les Français, eux, lui décernent une médaille d’or lors de l’Exposition universelle de 1900), exécuté, entre autres, une frise – plus de 34 mètres de long – dédiée à Beethoven qui déplaît aux moralistes, mais charme autant Gustav Mahler qu’Auguste Rodin. Il a aussi réalisé, pour le banquier belge Adolphe Stoclet, des mosaïques murales qui ont fait date dans les tentatives des peintres de parvenir à un art total.
Plus sage, correspondant à une période où il commence à renoncer aux fonds dorés qui ont fait son premier succès, Rosiers sous les arbres a été acquis pour le Musée d’Orsay en 1980, auprès de la galerie Peter Nathan de Zurich (Suisse). A l’époque de l’achat par le musée, alors en phase de préfiguration (aidé financièrement par une donation anonyme d’un mécène canadien), la provenance semblait irréprochable.
Réapparition en 1980
Le tableau figura dans de nombreuses expositions, du temps où il appartenait à Victor Zuckerkandl. Il fut montré, dit la notice descriptive du Musée d’Orsay, à Vienne en 1908, à Munich en 1909 et en majesté à la Biennale de Venise de 1910.
Puis, plus rien jusqu’à sa réapparition en 1980. C’est plus tard que l’intermédiaire qui avait fourni la toile à la galerie Nathan s’est révélé avoir été un sympathisant nazi autrichien qui avait lui-même acheté, en 1938, pour une bouchée de pain, le tableau à Nora Stiasny, laquelle, ses biens immobiliers ayant été saisis, était contrainte de vendre à vil prix le peu qui lui restait. Elle fut déportée en Pologne en 1942, avec sa mère, son mari et son fils. Aucun n’en revint.
L’une de ses tantes, Sophie Szeps, avait épousé l’industriel (il travaillait pour la société de dynamite d’Alfred Nobel) Paul Clemenceau, frère de Georges Clemenceau et amateur, comme lui, d’art moderne et de musique (ils étaient proches de Gustav Mahler, et Maurice Ravel a dédicacé à « Madame Paul Clemenceau » Trois chansons). Ami de Claude Monet, Georges Clemenceau leur fit partager son goût pour la peinture en général, et la peinture impressionniste en particulier, et il n’est pas impossible que les envies de collection de Victor Zuckerkandl soient nées là. Cette branche de la famille put obtenir des passeports, fuir l’Autriche après l’Anschluss, en 1938, et échapper aux rafles.
« Geste extraordinaire et incomparable » aussi car, contrairement aux œuvres classées « MNR » (musées nationaux récupération), une appellation désignant, dans les musées de France, les tableaux acquis sous l’Occupation ou dans les décennies qui ont suivi, que l’on soupçonne d’avoir appartenu à des familles juives spoliées, Rosiers sous les arbres a été acheté sur le marché de l’art international, le plus légalement du monde.
« Le Musée d’Orsay n’a commis aucune faute »
Un gouvernement moins sourcilleux du droit des personnes aurait pu contraindre les ayants droit à s’engager dans une longue procédure, rendue d’autant plus complexe que les rares archives subsistantes en Autriche décrivaient un tableau représentant, non des rosiers, mais… des pommiers. C’est d’ailleurs un tableau intitulé Pommier II, conservé à Vienne, qui a été l’objet d’une première demande de restitution, avant que les recherches des autorités autrichiennes démontrent qu’il ne s’agissait pas de celui-là, mais des rosiers d’Orsay.
Lorsque, en 2018, l’ambassade d’Autriche à Paris communique au musée les nouveaux éléments découverts à Vienne par Ruth Pleyer, les équipes dirigées aujourd’hui par Laurence des Cars se mettent immédiatement à l’ouvrage, « en toute impartialité », témoigne la chercheuse autrichienne.
Les conservateurs Sylvie Patry et Emmanuel Coquery, avec d’autres, épluchent le dossier et reconnaissent formellement le tableau comme ayant fait partie de la collection Stiasny. Ce que salue l’avocat autrichien des héritiers, Me Alfred Noll : « Le Musée d’Orsay n’a commis aucune faute, l’acquisition s’est faite dans les règles du droit. Mais, sur le plan moral et politique, vous avez totalement assumé vos responsabilités. » Avant d’ajouter, un brin lyrique : « Aujourd’hui, la République française montre son rayonnement ! »
C’est aussi l’avis de Roselyne Bachelot : « Cette décision est notre honneur et l’accomplissement de notre devoir face à l’histoire », a-t-elle déclaré. Honneur et devoir qui devront toutefois passer la barrière parlementaire : l’œuvre acquise légalement par un musée français est inaliénable, et députés comme sénateurs devront se prononcer sur le destin du numéro RF 1980 195 de l’inventaire des musées nationaux.
La ministre de la culture va ainsi élaborer un projet de loi rien que pour cette œuvre, afin que celle-ci puisse être restituée. Les amateurs de Klimt devraient donc avoir encore un peu de temps pour l’admirer au Musée d’Orsay. Enfin, quand les musées rouvriront…