Munis d’un «passeport vert», les Israéliens retrouvent les joies du restaurant

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@DR Danièle Kriegel
À Jérusalem, la vie reprend progressivement. « La reprise est lente. On sent que les gens n’ont pas d’argent », déplore un commerçant.

Il est à peine 18 h 30, mais, à l’intérieur du restaurant de Talbieh, le bruit des couverts se mêle à la musique de fond et aux voix des clients qui passent commande. Dans l’air flotte comme un parfum d’excitation retenue : celui du retour à la normale, après dix mois de fermeture en raison de la pandémie de Covid-19. Pourtant, rien n’est comme avant. D’abord, il y a les mesures sanitaires obligatoires – une distanciation de 2 mètres entre les tables pas vraiment respectée –, 75 % de la capacité d’accueil avec une limite de 100 personnes et le port du masque tant que l’on ne mange pas.

Mais surtout, pour entrer dans ce restaurant gourmet situé en plein quartier résidentiel à Jérusalem-Ouest, il faut montrer patte blanche. Autrement dit, sortir son « Green Pass », aussi appelé « passeport vert ». C’est un certificat de vaccination que l’on peut télécharger sur le site du ministère de la Santé ou de la caisse d’assurance maladie à laquelle on est affilié. Ce document peut être enregistré sur son « smartphone » ou imprimé. Considérant qu’il pouvait être falsifié, les autorités ont créé une application appelée en hébreu TavYarok. Ce que certains traduisent par « badge vert ». Il faudrait plutôt dire : « coupe-file vert ».

Sur ce site, les personnes vaccinées inscrivent leur numéro de carte d’identité ou de passeport et leur date de naissance. Un code pour activer l’application est ensuite envoyé sur le téléphone portable. Un « coupe-file vert » également indispensable pour accéder aux salles de théâtre, cinémas, concerts, clubs de sport, piscines, événements culturels et sportifs en intérieur, hôtels. En revanche, les magasins sur rue, les marchés et les centres commerciaux sont ouverts à tous, vaccinés ou non, mais à une condition : porter un masque, comme cela se fait dans tout espace public.

Ainsi en est-il à Malkha, le grand centre commercial de Jérusalem. Sur son stand de parfumerie, Ahmed, vendeur venu de Jérusalem-Est, est plutôt content. Après des mois de chômage, il a retrouvé du travail. Quand on lui demande s’il est vacciné, il répond qu’il a contracté une forme légère du Covid-19 et que, de toute façon, il n’est pas question que sa famille et lui se fassent vacciner. « Je n’ai confiance ni dans le vaccin ni dans le gouvernement », confie-t-il. Chez Roberto, un magasin de confection pour hommes, Moshe ne cache pas tout le bien qu’il pense de la vaccination et de la gestion par le gouvernement de la pandémie. « Je n’ai rien à dire. Ils ont très bien fait les choses. » Seule fausse note pour ce commerçant : la reprise économique qui se fait attendre. « Vous me demandez comment vont les affaires ? Comme ci, comme ça ! Normalement, à l’approche de la Pâque juive, cela grouille de monde. Ce n’est pas le cas cette année. En fait, la reprise est lente. On sent que les gens n’ont pas d’argent. »

Gérante d’un magasin de prêt-à-porter féminin, en plein centre-ville, Claire n’y croit plus. En un an et trois confinements, sa boutique est restée fermée sept mois. « Si je n’ai pas encore mis la clé sous la porte, c’est parce que j’ai toujours l’espoir de liquider mon stock, qui est énorme. En douze mois, je n’ai pratiquement rien vendu. » Selon elle, depuis la réouverture, c’est « quasiment désert ». « Vous savez, ajoute-t-elle, les gens ont pu se passer d’acheter des vêtements pendant plusieurs mois. Et, même si maintenant je leur fais 70 % de ristourne, cela ne changera rien. Beaucoup de gens sont fauchés. Même 50 shekels (12 euros), ils y regardent à deux fois avant de les débourser. »

À 200 mètres de là, la rue Hillel raconte l’histoire du désastre économique des petits commerçants. Magasin de fringues, boutique de lingerie, petit café casher, bar à sushis, sandwicherie, coiffeur renommé, les enseignes d’une vingtaine de commerces ont disparu, remplacées par la pancarte « À louer ».

Pour les autorités, « une situation pleine d’espoir »

Après la réussite de la vaccination de masse – à ce jour, plus de 50 % de la population, à partir de 16 ans, a reçu les deux doses du vaccin Pfizer –, voilà qu’Israël fait face à un autre défi : rouvrir la quasi-totalité de son économie alors que le Covid 19 et ses variants courent toujours dans le pays. Si les différentes courbes connaissent une baisse importante, avec une moyenne de 2 500 testés positifs par jour et 612 malades graves hospitalisés, des foyers de contaminations sont toujours actifs. La crainte d’un éventuel rebond des cas de contamination est dans toutes les têtes. Mais les responsables de la santé se veulent optimistes et évoquent « une situation pleine d’espoir, comme on n’en avait pas vu depuis le début de la pandémie ».

Est-on en train d’assister à fin de la pandémie en Israël, comme l’a proclamé Benyamin Netanyahou sur l’antenne de Fox News ? Les experts répondent : « Peut-être, mais, il faut être vigilant car le virus est encore là pour longtemps ! » Certains pensent que la vaccination aura un effet protecteur pendant plus d’un an et qu’il ne devrait donc pas y avoir de nouveau confinement. D’autres ne veulent pas faire de prévisions, même sur le court terme. Prudents, ils prennent en compte les enfants de moins de 16 ans, pas encore vaccinables, et aussi la frange de la population adulte qui ne veut pas recevoir le vaccin, par méfiance ou par conviction idéologique. Considérant le « passeport vert » comme discriminatoire, le mouvement anti-vaccin trouve un large écho sur les réseaux sociaux. Mais, à voir l’empressement des Israéliens à retrouver une vie normale, les « anti-vax » sont pour l’heure marginalisés.

De notre correspondante à Jérusalem, Danièle Kriegel