L’imam de Drancy Hassen Chalghoumi actuellement en visite à Marseille, a rencontré dimanche de jeunes musulmans et lundi Bruno Benjamin, le président du CRIF Marseille-Provence. Entretien.
Destimed : Quelle est la raison de votre visite à Marseille ?
Imam Hassen Chalghoumi : Ce n’est pas la première fois que je viens à Marseille. L’attention que je porte à cette ville n’est pas simplement liée au fait que c’est la deuxième de France, c’est parce qu’elle me rappelle aussi mon pays d’origine, la Tunisie. J’ai eu le plaisir de participer à un dîner du vivre ensemble et c’est, avec celui de Paris, le dîner du Crif que je ne rate jamais. Marseille est pour moi un exemple dont il faut s’inspirer avec toutes ses communautés qui, à part quelques exceptions, vivent ensemble. Vous savez j’ai emmené des imams israéliens à Marseille, l’accueil a été formidable, à Paris cela aurait été plus compliqué. Ce dimanche, avec mon ami Bruno Benjamin (président du Crif Marseille-Provence NDLR), j’ai rencontré de jeunes musulmans des quartiers et nous avons parlé d’islam, de laïcité. Puis je vais rencontrer des imams comoriens. L’occasion pour moi d’évoquer mon livre « Les combats d’un imam de la République » dans lequel je parle de l’ingérence des pays étrangers, de la foi et de l’amour de la patrie…
Vous avez aussi affiché la tristesse qui est la vôtre de ne pas voir de Grande Mosquée dans cette ville ?
Je suis triste que la deuxième ville de France ne dispose pas d’un tel lieu alors que c’est ici que l’on trouve la plus grande communauté musulmane de France après Paris et sa banlieue, où la Grande Mosquée a été construite en 1926, par la France. Mais, aujourd’hui la situation est différente.
Pour vous qu’elles sont les raisons qui conduisent aux blocages actuels ?
Ce sont les raisons qui bloquent l’Islam à savoir le salafisme, l’islam politique et l’ingérence de pays étrangers, les tensions et les coups de force dans les Mosquées. Les musulmans sont privés de Mosquée par les divisions de la communauté musulmane. Après, je n’oublie pas que lorsque la Loi de 1905 a été adoptée la religion musulmane était peu présente en France alors que les religions juive et chrétienne disposaient déjà de lieux de culte. Mais, c’est maintenant la majorité des mosquées sont construites. Ce qu’il faut c’est structurer l’islam de France, qu’il se donne les moyens de se financer. Pour cela on peut taxer la viande hallal, créer un fonds gérer par l’État pour les Mosquées et, si un État, par exemple le Maroc, voulait soutenir l’Islam de France il devrait passer par ce fonds. Il y a aussi les pèlerinages sur lesquels nous pourrions percevoir une sorte de taxe…
Comment s’est construit le regard que vous portez sur la laïcité ?
Je suis originaire de Tunisie, un pays laïque, j’ai donc toujours baigné dans cette culture. La laïcité c’est la liberté de croire ou de ne pas croire, c’est la protection des croyances de chacun et je dois rendre hommage au discours des Mureaux d’Emmanuel Macron. Ce discours est fort, courageux et, contrairement à ce que disent les islamistes, la Loi sur le séparatisme représente à mes yeux une avancée historique et la charte des principes de l’Islam de France doit être signée par tous les imams. Des imams qui doivent être formés en France et en dehors du CRCM (Conseil régional du culte musulman NDLR). Nous avons suffisamment de savants, de chercheurs, d’experts pour cela. Emmanuel Macron veut protéger les musulmans, leur permettre de vivre leur religion dans la tranquillité et le respect des Lois de la République. Je rappelle à ce propos qu’il ne faut pas faire l’amalgame entre Islam et islamistes et que les premières victimes de ces barbares sont à 80% des musulmans.
Face à cela qu’est-ce qui fait que l’islamisme progresse ?
Des islamistes, des salafistes qui prospèrent, recrutent en s’appuyant sur l’ignorance et le manque de repères d’une partie de la jeunesse. C’est l’ignorance qui, d’une part nourrit les islamistes et d’autre part l’extrême droite. Il faut sortir de cela, enseigner les religions. Et je tiens à ce propos à dire combien l’école de la République est sacrée, combien l’éducation est sacrée. J’ai débattu dernièrement avec un jeune qui rejetait l’enseignement et notamment les mathématiques et l’algèbre, selon lui au nom de l’islam. Je lui ai demandé comment il pouvait dire cela alors que se sont des savants musulmans qui ont apporté le zéro en Europe, que c’est le mathématicien d’origine persane Al-Khwarizmi qui est le père fondateur de l’algèbre. Il faut remettre en lumière tous les grands penseurs de l’Islam, d’autre part faire mesurer que le sacré ne vient pas seulement des textes. Et, troisièmement, il faut avoir conscience que la Torah, le Coran, l’Évangile sont des textes pour l’Homme, pour la sacralité de la vie humaine, pour que l’Homme ait la liberté. Juifs, chrétiens, musulmans, nous sommes la famille du Livre. Pour moi, nous avons deux familles, une du Livre donc et l’autre qui est celle de l’Humanité. Nous avons les mêmes père et mère.
Que dites-vous à ceux qui tuent et disent le faire au nom de l’islam ?
Nos textes sont là pour protéger, non pour massacrer. D’ailleurs dans la sourate 6 verset 150 il est dit : « Ne tue pas la personne humaine car Allah l’a déclarée sacrée ». Alors comment peut-on tuer et dire que c’est au nom de notre religion alors que l’Homme est sacré ? On ne cesse de dire la Paix de Dieu sur vous tandis que ces extrémistes montrent le contraire. Et lorsque nous disons « Dieu est grand » c’est dans sa miséricorde pas pour des appels au meurtre. Et si des lieux de prières ne sont plus là pour passer un message d’amour et de paix, c’est le devoir de la République de les fermer. Et on doit respecter l’école, les enseignants. L’école française républicaine apprend le respect de l’autre, l’égalité, la fraternité, la liberté… Nous sommes nés libres, nous avons la fraternité humaine à partager et nous avons l’égalité, notamment grâce à l’école. Et rien ne justifie de tuer un enseignant qui essaie de porter un savoir, de favoriser la construction d’une pensée à nos enfants. L’éducation est fondamentale et cela commence par celle que les parents doivent donner. Ils doivent apprendre l’amour et non la haine aux enfants. Élever dans la haine de l’Autre est quelque chose d’insupportable. On peut être d’accord ou pas avec les caricatures de Charlie mais on ne tue pas pour cela, on débat. Est-ce que les catholiques s’en sont pris à Charlie chaque fois que le Pape a été caricaturé ? Non, jamais. Réagissons à l’art par l’art, par la culture et non par le meurtre.
Vous êtes imam à Drancy, est-ce que cela a joué dans votre sensibilité, vos prises de positions ?
Effectivement, Drancy c’est le ville de la Shoah, cette tragédie a contribué à établir des liens avec la communauté juive, à emmener des jeunes musulmans, des imams au mémorial de la Shoah. A me rendre en Israël et en Palestine. Vous savez quand Omar est entré à Jérusalem il a reçu les clés de la Cathédrale. Arrive l’heure de la prière, il sort de l’édifice religieux pour aller prier dehors. A son retour il explique son geste : « J’ai fait ce choix pour que certains ne se servent pas de cette prière pour, plus tard, accaparer ce lieu. » Et, pour moi la communauté juive est un exemple par son organisation et, lorsque le samedi j’entends la prière pour la République je rêve que, le vendredi les musulmans aient eux aussi une prière pour la France. Vous savez, il est dit dans l’Islam que l’amour de la patrie fait partie de la Foi, alors aimons notre patrie. Je m’inscris en faux face aux discours victimaires. Nous ne sommes pas des victimes. Bien sûr il y a l’Histoire mais j’invite toujours à regarder la France et l’Allemagne, les conflits, les tragédies qui ont opposé ces deux pays qui, aujourd’hui, sont amis, n’ont pas de frontières. C’est évident qu’il y a du racisme comme de l’antisémitisme en France mais l’État n’est ni raciste ni antisémite. Comment, alors que la France compte 2 400 lieux de prière musulmans, aller oser dire que ce pays est raciste. C’est intolérable. Et cela n’enlève rien au fait qu’il faut lutter contre le racisme et l’antisémitisme qui existent dans la société. A ce propos, je note que la communauté juive qui a payé un très lourd tribu avec la Shoah a, dans ce drame, puisé la force de s’organiser, d’être encore plus vigilante à l’évolution de l’antisémitisme, du racisme, on ne peut que partager cela.
Vos propos, votre liberté de parole a un prix, vous êtes menacé de mort…
Je ne cesse de parler de liberté et je ne suis pas libre. Depuis plus de dix ans, du fait de menaces de mort, je vis sous protection policière 24 heures sur 24 et voilà 7 ans j’ai dû mettre ma famille à l’abri, à l’étranger et il m’arrive de faire la prière avec un gilet pare-balles et cela ne se passe pas à Bagdad, non, mais à Paris. Je suis contre les intégrismes, pour le dialogue avec les juifs, avec les chrétiens, j’ai rencontré le Pape en 2013, je soutiens les chrétiens d’Orient, tout ceci dérange.
Propos recueillis par Michel CAIRE