Esther Senot : « Je ne suis jamais vraiment sortie du camp d’Auschwitz »

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Esther Senot, 92 ans, rescapée des camps d’Auschwitz-Birkenau durant la Seconde guerre mondiale, a témoigné ce jeudi 10 décembre auprès des professeurs et des élèves de collèges et lycées de l’Académie de Montpellier. Une parole forte de l’un des derniers témoins en vie de la Shoah.

Une promesse. Janvier 1945, Esther est déportée au camp de concentration d’Auschwitz-Birkenau depuis septembre 1943. Exceptionnellement, elle a la permission d’aller dans des toilettes, « des grandes baraques avec des centaines de trous ». Surprise, elle retrouve sa soeur, déportée depuis février 1943. « Les retrouvailles ont été pénibles, épouvantables. » 

Sa soeur, trop faible physiquement,  ne peut plus répondre à l’appel et va donc mourir dans un crématoire. « Elle m’a dit : « Ecoute, pour moi, c’est fini. Si tu as la force de tenir, tiens le coup. Si tu as la chance de revenir des camps, promets-moi de raconter ce qui nous est arrivé pour ne pas qu’on soit les oubliées de l’histoire. » La promesse à ma soeur m’a poursuivi. »

C’était sans doute le moment le plus fort du témoignage d’Esther Senot, 92 ans, une des dernières rescapés des camps nazis, auprès des professeurs et des élèves de collèges et lycées de l’Académie de Montpellier, ce jeudi 10 décembre. Une visioconférence depuis le rectorat, qui a fait part de son honneur d’accueillir ce témoin de l’Histoire, « cet être exceptionnel ».

Direction Drancy

Esther Senot a raconté sa vie pendant près d’une heure. Née en Pologne, elle a émigré avec sa famille, juive, à Paris en 1928, en pleine crise économique. Elle va à l’école maternelle et communale dans la capitale. « On a pu vivre à peu près normalement jusqu’en 1939. » 

Tout s’est compliqué à ce moment-là. Pour les juifs qui habitent en France, les restrictions s’accroissent : recensement, un seul compartiment – le dernier – dans les transports en commun, un couvre-feu à 20 heures avec une autorisation pour faire les courses à partir de 16 heures… « Il n’y avait plus rien dans les commerces… »

Ses parents et une partie de sa famille font partie des raflés du Vel d’Hiv des 16 et 17 juillet 1942. Mais pas elle. Esther parvient même à rejoindre quelque temps son frère à Pau, mais ce dernier ne reste pas et elle revient à Paris, seule. L’étoile jaune a fait son apparition. « Je suis revenu là où on habitait, il y avait toujours personne, pas mes parents, toujours les scellés. »

Juillet 1943. Esther est interpellée dans la rue par la police pour un contrôle d’identité. Elle finit par dévoiler son nom au commissariat. Le soir même, un car de police « qu’on appelait des paniers à salade » l’emmène à Drancy. Premier camp de concentration. L’enfer commence.

Le récit glaçant d’Auschwitz-Birkenau

Elle ne reste pas longtemps à Drancy. Esther, alors âgée de 15 ans, fait partie du convoi 59 du 2 septembre 1943, 1 000 femmes déportées à Auschwitz-Birkenau. Un trajet de trois jours particulièrement atroce à vivre. « Les bébés hurlaient, les personnes âgées tombaient par terre. Nos besoins s’étaient répandus dans le wagon. On s’est pris des coups de matraque pour nous faire descendre des wagons. »

Elle est assignée au bloc 27 avec 600 autres personnes. La suite, racontée par de nombreux rescapés d’Auschwitz, n’en reste pas moins glaçante. « On nous a déshabillés, on nous a rasé et ils nous ont tatoué un numéro. On n’avait officiellement plus d’identité, on ne pouvait plus prononcer notre nom. Il fallait qu’on apprenne notre matricule en allemand et polonais. Dans ces conditions-là, on apprend vite. » Son numéro : 58 319.

Après deux ans de camp et de travaux forcés parfois dans un froid glacial, elle participe à la marche de la mort de janvier 1945. « On a marché jour et nuit pendant trois jours. Ceux qui sortent des rangs prenaient une balle dans la tête. On a fini dans un wagon à bestiaux découvert, à -20°C, -25°C de température avec de la neige. » Peu de personnes sont arrivées à Bergen-Belsen, « un mouroir avec l’épidémie de typhus ». Esther fréquentera un quatrième camp : Mathausen, en Autriche.

Les incomprises de la Shoah

A la Libération, en 1945, elle retrouve Paris dans un piètre état. « Je ne tenais plus sur mes jambes. J’avais des plaies sur la tête, je pesais 32 kilos et j’avais les cheveux rasés. » Le retour en France est très difficile pour les rescapés de la Shoah. On ne les croit pas. « On nous a traités de tous les noms, de menteuses, on nous a dit qu’on racontait n’importe quoi. On a été culpabilisées d’être revenues, on s’est repliées sur nous-mêmes. Le seul problème est qu’on était nées juives. »

Elle travaille huit ans dans un magasin de couture. Elle rencontre son futur époux à Saint-Brévin (Loire-Atlantique) : elle a trois enfants, 6 petits-enfants et 8 arrières petits-enfants. Une vie normale en apparence, mais qui ne l’était pas. « Certes, ça n’a pas été toujours évident pour mes enfants et mon mari, mais toute ma vie, j’ai cru que j’avais une vie normale. Maintenant que je suis proche de la fin, je me rends compte que je ne suis jamais vraiment sortie du camp d’Auschwitz. »

Pour Esther Senot, l’émotion ne doit pas passer devant le devoir de mémoire. « C’est la promesse que j’ai faite à ma soeur avant qu’elle ne meure. » Elle a voulu faire « un appel solennel en faveur de la paix ». Les attentats commis ces dernières années ont ravivé de vieilles blessures. « Au nom du racisme et de l’antisémitisme, les pires horreurs ont été commises. On avait espéré que tout cela n’existerait plus. Et c’est revenu en force. »

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Source france3-regions 

1 Comment

  1. Ce n’est pas facile pour ces anciens, j’en ai accompagner trois dans les écoles, les questions sont pas toujours celle que on voudraient entendre, et ils répondent toujours avec calme, avec colère rentrée souvent .Ce que on doit faire c’est d’enregistrer les explications qu’ils donnent, en vidéo c’est un plus, mais un témoignage audio est mieux que rien !

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