Tahar Ben Jelloun : les ennemis de la République ne s’apprivoisent pas

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Le mot « séparatisme » employé par le chef de l’État ne convient pas. Les islamistes radicaux n’ont jamais partagé les valeurs de la République dont ils voudraient se séparer.

Le mot « séparatisme » utilisé par le président de la République ne convient pas à la réalité de la situation grave qu’il voudrait assainir. On se sépare de quelqu’un avec qui on a partagé un certain nombre de choses. C’est ce qu’on appelle « le vivre ensemble ». Or, les islamistes radicaux, n’ont jamais voulu ou prétendu partager quoi que ce soit avec la République, et notamment ses valeurs fondamentales.

Certains de ceux qui sont nés dans cette république (une minorité), qui ont été à ses écoles, qui ont appris sa langue et son histoire, ont été détournés de leur chemin naturel, ils ont souvent quitté l’école, à la suite d’échecs répétés et ont été attirés par la rue et les illusions d’une vie facile.

La délinquance les a menés en prison. C’est là, dans cet espace clos, dans cet univers de violence et de brutalité, dans ce temps où le désespoir perturbe le destin, que des « frères » aguerris à cette réclusion vont faire de l’islam – qu’ils connaissent assez mal pour ne pas dire pas du tout l’alternative salvatrice. Une identité clés en main. Ça rassure et ça donne une cause à un mal de vivre.

La prison, laboratoire d’un islamisme identitaire

Ça commence par des détails : refuser de manger du porc et exiger un repas halal ; demander un espace pour prier ; faire du fait d’être musulman une identité qui s’oppose à tout le reste, rappel de la colonisation et de ses blessures, tout est bon pour se préparer au combat.

Au début des années 1980, la prison devenait le laboratoire d’un islamisme identitaire revendiquant une reconnaissance d’une culture ramenée par les parents de leurs pays et qui, mal assimilée ou mal vécue, se laissera contaminer par les germes d’un combat préparé et mis en place ailleurs, loin de la France, loin de l’Europe, là où le drapeau de l’islam passe du vert au noir, passe d’une religion monothéiste qui a puisé une partie de ses valeurs dans le judaïsme et dans le catholicisme à une idéologie de terreur et de mort.

Il est vrai que les premières victimes de l’islamisme radical, celui d’abord d’Al-Qaïda et ensuite celui de Daech, sont des musulmans. Des attentats particulièrement meurtriers eurent lieu à La Mecque (décembre 1979, prise de la grande mosquée ; 244 morts), en Égypte, au Pakistan dans le Maghreb, tuant des centaines de personnes innocentes.

Ce terrorisme frappera ensuite et en même temps le reste du monde, toujours avec le drapeau noir où les noms d’Allah et du prophète Mahomet sont inscrits en blanc.

L’instinct de mort a remplacé l’instinct de vie

À partir de là, l’islam, en tant que religion, sera normalement confondu avec la terreur. Certains vont chercher dans le Coran des versets pouvant justifier ces horreurs. D’autres rappelleront combien l’islam est victime d’une mauvaise lecture, combien il a été détourné et mis au service d’une cause basée sur le racisme et le meurtre.

Ces gens-là, je veux dire les tenants de cette idéologie de mort, ne se sont pas « séparés » de la France puisqu’ils n’ont jamais été associés à son destin. Très tôt, même s’ils sont nés sur la terre française, ils ont quitté mentalement la France et ses valeurs. Ce ne sont pas des rebelles contre un pays et une société auxquels ils appartenaient. Leur patrie, leur société, leur destin, on leur a dit qu’il est ailleurs, dans le paradis promis par Dieu, il est dans la lutte contre les mécréants (aussi bien les mauvais musulmans que les juifs et les chrétiens), il est dans l’instinct de mort qui a remplacé l’instinct de vie, il est dans la haine et la vengeance sans distinction.

Les islamistes se moquent pas mal du discours d’un président qui cherche à apaiser les tensions à la suite des actes terroristes qui ont endeuillé plusieurs fois la France. Un islamiste radical, convaincu du rôle qu’il doit avoir et assumer, n’écoute pas les discours des hommes politiques. Il a une mission : répandre l’islam dans un premier temps, ensuite passer à l’attaque pour punir les mécréants. Les valeurs de la République, il s’en tape ! Seules les valeurs du combat contre la laïcité – confondue avec l’athéisme contre les autres religions l’intéressent. Il a été formé (formaté) dans ce sens, d’où le fanatisme quasi naturel qui traverse les textes de propagande dans des vidéos de combat.

Une stratégie guerrière

La France et l’Europe sont confrontés au terrorisme. Il ne cessera pas de lui-même. Pour le combattre, il faut une stratégie guerrière impliquant les musulmans de France, ceux qui sont aussi des victimes potentielles de l’islamisme, ainsi que les dirigeants des pays dont sont originaires les parents d’une partie de cette génération perdue et récupérée par les recruteurs de Daech.

Sans l’aide et l’engagement des gouvernants maghrébins par exemple, l’islamisme radical ne sera pas éradiqué. La démocratie n’a pas prévu des armes pour cela. Au contraire, la démocratie profite aux assassins qui sont jugés aujourd’hui dans les tribunaux. Ils sont tous présumés innocents. C’est l’honneur de la démocratie. Mais les tueurs ne s’embarrassent pas de ce genre de valeur.

Pour qu’un jeune Pakistanais, arrivé et accueilli en France il n’y a pas longtemps, sorte un matin armé d’un couteau pour tuer, en dit long sur la complexité de la lutte contre l’islamisme. Ce tueur doit être convaincu qu’il est là pour remplir une mission. Venger les musulmans dont le Prophète a été caricaturé. Dans sa tête, il y a surtout de la confusion, de la paille et beaucoup d’ignorance. Contre ce genre d’individu, la République a peu de recours. Ce qui réclame de la communauté musulmane, en France et en Europe, un engagement déterminé et sans ambiguïté. Sans cela, l’islam continuera à faire peur et sera confondu avec la terreur.

Tahar Ben Jelloun

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