Qui a ordonné la mise à mort d’une coach hypnotiseuse de Créteil, « agente du Mossad »? Alors que quatre militaires de la DGSE et un policier de la DGSI sont mis examen, la justice tente de débrouiller cette énigme qui a failli coûter la vie à une quinquagénaire.
Un clin d’œil au « Bureau des Légendes »
Deux mois après cette prétendue rocambolesque rencontre, un projet d’assassinat est bel et bien mis en échec in extremis. Le casting des protagonistes aurait de quoi nourrir bien des scénarios de série d’espionnage. La cible : Marie-Hélène D., une quinquagénaire en apparence sans histoire, spécialisée dans le coaching en entreprise et l’hypnose, domiciliée à Créteil (Val-de-Marne), et soit disant agente du Mossad. Les suspects : outre Sébastien L, quatre militaires de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et un policier de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI). Tous ont été mis en examen pour « tentative d’homicide en bande organisée » ou « complicité ». Quatre dorment en prison.
Mais le commanditaire réel reste inconnu, de même que ses motivations. S’agissait-il, comme le soutiennent certains suspects, d’une mission clandestine de la DGSE visant à éliminer une Française faisant de l’ingérence pour un pays étranger? Ou bien d’un contrat privé ourdi par un concurrent jaloux de son succès, comme le suppute la victime? « En l’état, chacun se prévaut d’avoir été manipulé pour justifier de se trouver impliqué dans un contrat devant aboutir à l’élimination de Marie-Hélène D. », résume le parquet dans une ordonnance. Entre OSS 117 et les pieds nickelés, l’histoire prêterait à sourire si une femme n’avait pas failli y perdre la vie. Sur les relevés d’écoutes téléphoniques, les enquêteurs de la Crim’ ont baptisé l’affaire « Les légendes », en référence à la série « Le Bureau des Légendes ». Pas très flatteur pour « Malotru ».
Des missions « un peu chaudes » pour la France
En août 2019, c’est-à-dire bien avant cet hypothétique rendez-vous sous le périphérique, Sébastien L. recrute Yannick P., un policier de la DGSI en congé parental reconverti dans la sécurité sur Internet. « Sébastien me fait comprendre en off qu’il effectue des missions un peu chaudes pour l’Etat français et plus particulièrement la DGSE ; […] il joignait à la parole des gestes de sa main du genre la personne qui mime un tir de pistolet », se souvient Yannick P. en garde à vue. Le policier de 45 ans ne sait pas si son interlocuteur est sérieux ou un « mytho » mais garde le lien avec cet homme qui lui parle aussi d’un contrat sur un salafiste vivant près de la frontière suisse. Il dit en avoir peur.
Quelques mois plus tard, en février 2020, Yannick P. est cette fois sollicité par Pierre B. Ce militaire de 26 ans est affecté à la garde du centre parachutiste d’entraînement spécialisé (CPES) de Cercottes (Loiret), où sont formés les agents du service action de la DGSE. C’est un de ses anciens stagiaires : de par ses compétences, Yannick P. effectue des formations à la détection de faux documents pour les plantons de la base du service secret. Le jeune militaire de la DGSE raconte qu’il veut devenir e-detective. Mais il lui explique aussi qu’il a « avec lui un groupe de personnes issues des forces spéciales » avec plusieurs missions d’audit sensibles en cours. Il ajoute même qu’il peut se procurer des armes de guerre en provenance des pays de l’est…
« Il fallait en finir une bonne fois pour toutes avec elle »
En juin 2020, Yannick P. organise une rencontre entre Sébastien L. et Pierre B., qui se présente en compagnie de son collègue de la DGSE Pierre L. Les présentations se font autour d’un lac près d’Orléans. « Lors du rendez-vous, Pierre B. s’est écarté avec Sébastien L. pour discuter secrètement […] Je sais que les deux étaient ravis de s’être rencontrés », relate Yannick P. Sur le trajet retour, Sébastien L. parle au policier en congé d’un contrat à remplir sur une coach censée travailler pour le Mossad « Il fallait en finir une bonne fois pour toutes avec elle. C’était les ordres de la DG c’est-à-dire de la DGSE », lui explique-t-il. C’est de Marie-Hélène D. dont il s’agit.
L’histoire paraît invraisemblable mais elle prospère. Pierre B., alias « Dagomar », est à fond. « Il m’a parlé de votre affaire, d’un contrat non officiel venant de Mortier notre maison mère (NDLR : le siège de la DGSE est situé Boulevard Mortier à Paris). […] Il m’a dit que c’est un contact à lui qui lui avait donné le contrat. Le contact, […] c’était […] Sébastien L. Pierre B. m’a dit que Mortier donnait parfois des contrats non officiels à des contacts non officiels et donc non affiliés à la DGSE qui ensuite les faisaient exécuter par d’autres personnes », raconte Pierre L., alias « Devon », le quatrième larron du rendez-vous du lac. « Et vous l’avez cru ? », interroge le policier pendant sa garde à vue. « Non », répond le soldat « Devon » qui ajoute : « Parce qu’il est connu pour fabuler ».
Faux suicide, accident ou empoisonnement ?
Face aux enquêteurs, « Dagomar » jure qu’il était convaincu d’effectuer une mission clandestine. « Sébastien et Yannick sont dans une équipe qui répond aux dossiers ouverts de la direction des opérations de la DGSE », clame le jeune militaire en garde à vue. Fin mai début juin, il reçoit de Sébastien L. une clé USB pour lui détailler sa mission d’assassinat : « On m’a précisé que la personne concernée par ce dossier faisait de l’ingérence économique et politique depuis au moins 20 ans. » Et si l’opération est censée être secrète, lui ne prend aucune précaution auprès de ses camarades. Il tente d’abord de recruter Pierre L. en lui promettant une somme de 30 000 euros à se partager mais « Devon » refuse – il acceptera juste de faire deux reconnaissances.
« Dagomar » se rabat alors sur un autre collègue de la DGSE, Carl E., 26 ans, pseudonyme « Adelard ». A en croire « Devon », les deux caporaux discutent ouvertement de la meilleure manière d’exécuter leur cible : faux suicide, accident et même empoisonnement. Lors de la perquisition effectuée dans la chambre de Pierre B. sur la base, les policiers découvrent des notes manuscrites sur le laurier-cerise, une plante toxique. Lentement mais sûrement, l’extravagant projet mûrit. Sébastien L. se procure un tracker auprès de Yannick P. qu’il place sur la voiture de la spécialiste du coaching. Plusieurs reconnaissances sont effectuées. Des carnets sont noircis avec des itinéraires de fuite. Jusqu’à ce 24 juillet au petit matin.
Sentiment de trahison
Intrigué par la présence de deux hommes en noir porteurs de gants dans une Clio, un habitant de Créteil alerte opportunément la police. Carl E. est au volant de ce véhicule volé, Pierre B., qui a du coton dans les oreilles, sur le siège passager. Dans un sac, un pistolet avec cartouche chambrée est découvert, tout comme une fabrication artisanale à base de coton et d’emballage de compote de pomme – vraisemblablement pour faire office de… silencieux. Lors de son transfert entre la PJ et la Crim’, Pierre B. révèle, hors interrogatoire, qu’il effectue une mission « Homo » (NDLR : homicide) pour le compte du service action de la DGSE avec pour objectif de tuer Marie-Hélène D. Le meurtre devait avoir lieu le matin même, comme le suggère le retrait du tracker du véhicule de la victime.
Interrogée, cette dernière avoue sa stupéfaction. « Cela dépasse l’entendement », souffle cette cheffe d’entreprise prospère qui évoque comme éventuelle piste une jalousie professionnelle. « Mais de là à vouloir me tuer, je n’y crois pas c’est complètement disproportionné », précise-t-elle, assurant ne travailler pour aucun service étranger. Cette spécialiste du coaching ajoute qu’elle avait fait déjà fait l’objet d’une agression à la sortie de son domicile en octobre 2019, perpétrée par deux hommes sortis d’une Clio noire. Selon plusieurs mis en cause, Sébastien L. se serait vanté de s’en être déjà pris à cette femme de 54 ans en guise d’avertissement pour qu’elle « cesse ses activités anti-étatiques », ce dont il se défend.
Lors de sa garde à vue, Carl E. semble réaliser qu’il a été dupé. « Je pensais servir une cause noble et là je me retrouve en audition à constater que je me suis mis en porte à faux vis-à-vis de la République, se lamente « Adelard ». […] J’ai été trahi ». Yannick P. aussi confie son désarroi. « J’ai été piégé, manipulé […] J’ai été impressionné par le côté ça vient de la DG, du Palais de l’Elysée », s’épanche-t-il devant la juge d’instruction. Quant à Sébastien L., il se retranche derrière son mystérieux commanditaire, sans révéler son identité.
Pierre B., un « mythomane » qui « s’est inventé une vie d’agent secret »
Sollicitée d’emblée par le patron de la Crim’, la DGSE s’est immédiatement désolidarisée de cette opération. Longuement interrogée fin juillet, la numéro 3 de la base de Cercottes a dressé un piètre portrait de Pierre B., un « mythomane » qui « s’est inventé une vie d’agent secret ». « L’idée c’était tout de même de s’en débarrasser », pointe-t-elle. Un portrait sévère qui tranche avec ses récentes évaluations. En 2017 comme en 2018 il « donne entière satisfaction ». L’avis est plus mitigé en 2020 : « Intelligent et volontaire » il est décrit comme « très puéril ». « Il n’a pas la confiance de son chef de section » mais « il peut prétendre à faire partie des meilleurs de sa section en gagnant en maturité ».
Les conversations interceptées après l’interpellation de « Dagomar » et « Adelard » prouvent que l’affaire a provoqué un certain émoi en interne. Au téléphone, un encadrant se lâche : « Ils vont commencer à chanter dans le sens où ils vont pas porter leurs c… ! Et ils vont essayer de mettre le maximum de monde avec eux dans la merde. » La compagne de Pierre B. a aussi expliqué qu’elle avait été contactée par la DGSE pendant la garde à vue de ce dernier pour s’enquérir des questions lui ayant été posées.
Contactés, Me Matthieu Juglar, l’avocat de Sébastien L., Me Calvin Job, l’un des conseils de Yannick P., et Me Marie-Alix Canu-Bernard, l’une des avocates de Pierre B., n’ont pas souhaité s’exprimer.
Par Timothée Boutry et Jérémie Pham-Lê
Pas très pro cette histoire, mais ça existe et c’est ce qui est le plus inquiétant !