Attentat de la rue des Rosiers : deal de Mitterand avec les terroristes

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Près de 40 ans après la tuerie de 1982, des documents récemment déclassifiés ou livrés à la justice accréditent l’idée d’un accord secret passé par la DST avec le groupe Abou Nidal pour éviter d’autres attaques.

Ce sont longtemps restées des rumeurs évoquées par un homme qui s’accommode mal de la discrétion exigée par sa carrière. Désormais, la justice a entre les mains des documents qui étayent les déclarations livrées le 30 janvier 2019 aux juges par Yves Bonnet, l’ancien patron de la Direction de la surveillance du territoire (DST), et qui accréditent l’idée d’un accord passé entre le groupe Abou Nidal, responsable de la tuerie de la rue des Rosiers le 9 août 1982 à Paris, et les services secrets français. Point d’orgue des négociations avec les terroristes : la libération de deux hommes pourtant condamnés pour le meurtre d’un représentant de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Paris, en 1978. Un « deal » conclu avec des terroristes afin d’éviter d’autres attentats. Un accord qui permet sans doute aussi de comprendre les difficultés rencontrées durant plus de 30 ans par la police et la justice pour arrêter les auteurs de l’attaque.

Le 9 août 1982, vers 13h15, un commando armé se présente au restaurant Jo Goldenbergenseigne iconique de la rue des Rosiers, dans le IVe arrondissement de Paris. Les assaillants jettent une grenade, puis font feu sur les survivants. Six personnes sont tuées, une vingtaine d’autres blessées. Secret d’Etat, intérêt supérieur de la nation… rien n’est épargné aux enquêteurs et aux proches des victimes, qui dénoncent des entraves à la vérité. Il faudra attendre 2015 pour que les auteurs, en fuite, soient formellement identifiés.

En janvier 2019, Yves Bonnet, patron de la DST, le contre-espionnage, de 1982 à 1985, livre aux juges un témoignage qui explique cette enquête laborieuse : « On a passé une sorte de deal verbal en leur disant : Je ne veux plus d’attentat sur le sol français et en contrepartie, je vous laisse venir en France, je vous garantis qu’il ne vous arrivera rien. » En clair, les responsables de la tuerie ne seront pas poursuivis… et la DST ne mettra pas une volonté folle à épauler la PJ qui traque les tueurs. « Notre activité n’était pas du judiciaire », assume d’ailleurs Bonnet.

Une «promesse» d’Abou Nidal

Mais quel crédit accorder à la parole de l’ancien maître espion alors que ses anciens collaborateurs se réfugient derrière le secret-défense ? Pour en avoir le cœur net, en mai 2019, les juges demandent « la communication de tous les documents, informations ou données informatisées » en possession des services du Premier ministre et du ministère des Armées.

En août, la Défense lève en partie le secret-défense et transmet une trentaine de pièces à la justice. De nombreux passages restent toutefois classifiés et inaccessibles aux magistrats. Ces archives, que Le Parisien-Aujourd’hui en France a pu consulter, démontrent la conviction très rapide des services de renseignements quant à l’implication du groupe Abou Nidal dans l’attentat. Dès le 14 août 1982, la DST écrit que « les auteurs sont, selon toute probabilité, à rechercher parmi le groupe terroriste Abou Nidal ». Dans les mois qui suivent, une dizaine d’autres messages à « diffusion restreinte » confirment cette piste. Les pièces déclassifiées n’évoquent, en revanche, jamais d’accord entre l’organisation terroriste et la DST.

Les éléments issus des « archives du cabinet de Michel Rocard, Premier ministre » et livrés à la justice en octobre 2019 par le secrétaire général du gouvernement se révèlent, eux, bien plus éclairants et troublants. Le 22 octobre 1985, le compte rendu d’un « entretien avec le Fatah-Conseil révolutionnaire », l’autre nom du groupe Abou Nidal, évoque noir sur blanc un accord passé avec le groupe terroriste, qui s’insurge du « non-respect des engagements antérieurs » de la France. L’organisation s’estime ainsi déliée de sa « promesse de considérer notre territoire comme un sanctuaire ». Inquiet, l’auteur de ce télégramme écrit même que si l’accord conclu avec le groupe n’est pas respecté, la France doit « s’attendre à subir une action terroriste de type rue des Rosiers » dans les « 48 heures ».

La libération de prisonniers en contrepartie ?

Quelle promesse faite à Abou Nidal la France n’a-t-elle pas tenue pour s’exposer ainsi à « la menace […] d’une reprise des attentats, dans des conditions spectaculaires » ? « La contrepartie demandée par cette organisation est la libération des deux détenus Hatem et Kayed », explique une lettre manuscrite remise à la justice 34 ans après sa rédaction… En octobre 1985, ces deux membres d’Abou Nidal sont incarcérés à Muret (Haute-Garonne) à la suite de leur condamnation à 15 ans de prison pour le meurtre d’Ezzedine Kalak, un cadre de l’OLP, en 1978, à Paris. Difficile de les imaginer sortir de prison alors qu’ils ont tout juste effectué la moitié de leur peine.

Pourtant, deux jours après le message alarmiste du 22 octobre 1985, un autre est rédigé par un « délégué des autorités gouvernementales » et se montre beaucoup plus positif. Il évoque une rencontre, « dans le bureau de M. Pautrat », alors patron de la DST, entre les autorités françaises et « trois Palestiniens ». Est alors pris l’engagement de relâcher « au plus tard en février 1986 » les meurtriers d’Ezzedine Kalak. « En contrepartie, les engagements pris par votre organisation de ne pas s’attaquer aux intérêts français, tant sur notre territoire qu’à l’étranger devront être respectés », est-il alors demandé à Abou Nidal.

Le compte rendu de ce rendez-vous, signé de « M. Pautrat, M. Nart », alors directeur adjoint de la DST, et du « délégué des autorités gouvernementales », assure que cette « entrevue a été très bien perçue par les Palestiniens ». De fait, les deux prisonniers seront libérés quelques semaines plus tard, en février 1986. Dans tous ces échanges avec Abou Nidal, jamais il ne semble, en revanche, question d’interpeller les auteurs de l’attentat de la rue des Rosiers. « L’engagement donné aux représentants du groupe de ne pas être poursuivis en France ne concernait pas que les deux visiteurs de Muret », admettait d’ailleurs Yves Bonnet devant les juges en janvier 2019…

Ces nouveaux éléments « semblent prouver l’existence de cet accord secret entre la DST et une organisation terroriste, dénonce Me Avi Bitton, avocat de parties civiles. Et si la DST passait un accord pour libérer des prisonniers membres d’Abou Nidal, on peut penser qu’elle ne cherchait pas en même temps à arrêter les auteurs de l’attentat de la rue des Rosiers. »

« Ces informations sont intéressantes, estime aussi Me Romain Boulet, avocat de la sœur d’une victime. Mais l’urgence, aujourd’hui, c’est de faire exécuter les mandats d’arrêts », émis en 2015 par le juge Marc Trévidic, mais jusque-là restés lettre morte, les suspects étant réfugiés en Norvège, en Palestine et en Jordanie. « Ma cliente veut la vérité et attend que les suspects de l’assassinat de son frère soient enfin jugés. »

Source leparisien