Dane Cuypers a étudié avec amour et curiosité les destins parallèles des deux amis marseillais. Il en est né un livre, «Albert Cohen-Marcel Pagnol. Une amitié solaire».
Il fallait les hasards de l’existence pour que deux enfants d’origines si différentes se lient d’amitié. Il fallait une ville comme Marseille, où se mélangeaient à la fin du XIXe siècle tant de gens de provenances variées. Son port en était un dans le sens qu’on donnait à ce mot autrefois. Un lieu de brassage incessant, comme le sont aujourd’hui les grands «hubs» aéroportuaires. Deux futurs monuments de la littérature française s’y côtoient dans le même lycée. Ils deviennent amis et ne cesseront de correspondre jusqu’à la mort de Pagnol en 1974.
Une journaliste et écrivain française, Dane Cuypers, s’est passionnée pour ce duo. Son livre «Albert Cohen-Marcel Pagnol. Une amitié solaire» est le résultat de l’enquête serrée qu’elle a menée autour de ces deux destins parallèles, réunis l’espace de quelques années sous le soleil provençal. Un soleil dont Pagnol fera sa marque de fabrique et que Cohen fuira en Savoie puis à Genève, où il passera le plus clair de son temps. Mais n’a-t-il pas écrit «Solal»? Et Dane Cuypers de citer avec ravissement le lapsus d’une lectrice transformant le titre du chef-d’œuvre de Cohen en «Belle du Soleil».
Le jour de la rentrée 1905
On revit minute par minute cette journée de rentrée scolaire du 3 octobre 1905 au Grand Lycée de Marseille, devenu plus tard le lycée Thiers. Ils sont nés tous les deux dix ans plus tôt, Albert à Corfou et Marcel à Aubagne. Comme l’indique l’auteure, l’année qui les a vus naître est celle de la dégradation et de la déportation d’Alfred Dreyfus et celle de la première projection des films des Frères Lumière. L’antisémitisme est en action; le petit Albert le découvre le 15 août 1905 à travers les propos insultants d’un camelot de la rue Mazagran. Quant au cinéma, il se rode avant que Marcel s’en empare quarante ans plus tard. L’amitié qui naît entre ces deux garçons est la rencontre de deux intelligences, ce qui signifie chez Pagnol une absence totale de préjugé à l’encontre de son camarade juif débarqué d’une île grecque. Fils d’un instituteur anticlérical convaincu des avantages de la laïcité, Marcel ne voit en Albert qu’une sorte de protestant – il y en a aussi à Marseille – dont l’origine religieuse l’indiffère.
Pour Dane Cuypers, parler de cette ville et de son port à l’orée du XXe siècle est un plaisir communicatif. Marqué à vie par sa rencontre avec le marchand antisémite, Albert n’en reste pas moins un enfant à l’affût de l’animation et des sensations que procure un tel cadre. Et baguenauder à deux dans Marseille de la Belle Époque est délicieux. L’auteure relève que ni l’un ni l’autre n’est attiré par la mer omniprésente. Un point commun de plus. L’écriture est le plus important. Chacun lit l’autre avec bonheur. Malheureusement, si les lettres d’Albert à Marcel existent, celles de Pagnol à Cohen ont disparu, détruites à la demande de ce dernier, avec d’autres archives après sa mort.
Le succès, c’est Pagnol qui l’a connu en premier. De loin mais avec chaleur, Cohen l’en félicite. «Solal» est très bien accueilli en 1930, mais «Belle du Seigneur» ne paraît qu’en 1968. Ce livre reçoit le grand prix du roman de l’Académie française, aréopage dont Marcel Pagnol est membre depuis 1947. Ses pièces de théâtre, depuis «Topaze» en 1928, puis «Marius», «Fanny» et «César», et les films qu’il a tournés l’ont rendu extrêmement populaire. Aucune jalousie, aucun jugement, ni chez l’un ni chez l’autre, remarque Dane Cuypers.
«Albert Cohen-Marcel Pagnol. Une amitié solaire», par Dane Cuypers, Éditions de Fallois, 220 pages.
Benjamin Chaix