Keith Thomas, réalisateur de « The Vigil » : « L’antisémitisme empoisonne notre société »

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Le réalisateur et scénariste américain Keith Thomas signe un film d’horreur aux préoccupations actuelles, The Vigil. Il a plongé dans la communauté juive orthodoxe quittée par sa mère.

C’est la pépite du cinéma d’horreur indépendant à découvrir cette semaine. Remarqué au dernier Festival de Gérardmer, The Vigil marque les débuts en tant que réalisateur et scénariste de Keith Thomas. L’histoire à New York de nos jours de Yakov, un jeune homme qui a trouvé le courage de quitter sa communauté juive orthodoxe rigoriste. Pour se faire un peu d’argent, il accepte d’être shomer lors d’une veillée funèbre : son travail consiste à réciter des prières pour protéger l’âme du défunt en transit… Coup de cœur pour ce film américain qui mise sur l’économie de moyens et la suggestion pour installer la peur et le malaise. Le metteur en scène, très habile, choisit une unité de lieu et de temps pour raconter le poids de la religion et de la tradition, l’antisémitisme, le deuil, à travers ce gardien hanté par un traumatisme passé qu’il faut exorciser. Un huis clos aux visions de cauchemar qui imprègnent durablement la rétine.

Comment est né The Vigil?

Ma mère appartient à la communauté juive orthodoxe. Je suis né à New York, mais à l’époque mes parents étaient des hippies alors ils ont décidé de m’élever dans les montagnes du Colorado, pour se rapprocher de la nature. Mon père était athée et ma mère très libérale. Durant mes années de lycée, elle est devenue plus pratiquante et conservatrice. Elle n’arrivait pas à se remettre de la mort de mon grand-père, alors elle s’est réfugiée dans la religion. J’ai commencé à fréquenter la synagogue et à apprendre les textes sacrés. Quand je cherchais une idée originale comme point de départ de mon premier long métrage, j’ai compris que je n’avais pas à regarder bien loin. J’avais à portée de main toute une mythologie quasiment inédite sur grand écran. Je me suis souvenu d’une discussion entre deux fidèles, l’un racontait à l’autre qu’un shomer avait brusquement quitté une veillée funèbre sans donner d’explication. Il s’agit d’un gardien chargé de réciter des prières pour protéger l’âme d’un défunt la nuit suivant le décès. Le plus souvent, un membre de la famille doit surveiller le corps, mais certains le font aussi pour de l’argent. Je me demandais ce qui avait pu se passer pour qu’il prenne la fuite. Cela avait suscité le scandale car un tel acte est considéré comme un manque de respect. Mon imagination a vagabondé…

Etes-vous superstitieux?

Pas du tout. Dans la religion juive orthodoxe, il n’y a pas d’enfer ni de diable. Par contre, on trouve le dibbouk, le démon qui s’attache à un individu pour le persécuter. Il se nourrit du désespoir, de la tristesse, de la faiblesse, de la vulnérabilité. J’ai rencontré un rabbin expert en la matière qui m’a conseillé. Il existe même des amulettes pour se protéger du mauvais œil. Je viens d’une famille de docteurs et de scientifiques. J’ai fait moi-même des recherches cliniques pendant dix ans à l’hôpital en pédiatrie avec les enfants asthmatiques, aux urgences et en gérontologie auprès des personnes âgées atteintes de démence. Je suis quelqu’un de rationnel. Cependant je crois au surnaturel car des choses étranges me sont arrivées si bien que je me suis posé pas mal de questions. Notamment si tout était dans ma tête. Dans The Vigil, l’esprit malin sert à évoquer par le biais de la métaphore le traumatisme de la Shoah (le camp de concentration de Buchenwald) et l’antisémitisme, qui empoisonne notre société. Il y a vingt ans, j’ai été témoin d’une scène de harcèlement dans la rue : un enfant juif qui se faisait bousculer par des types alcoolisés. Je n’ai rien fait, paralysé. Je pensais que si j’intervenais alors je devenais la cible. Depuis, je suis hanté par la culpabilité. Car ne pas agir était un choix.

Vous confrontez vos peurs à travers ce film?

Oui, tout est symbolique. J’en ai plusieurs : être observé pendant mon sommeil, appeler à l’aide un ami, m’apercevoir que j’ai composé un faux numéro et me demander qui est à l’autre bout du fil! Comme je savais que je bénéficierais d’un budget réduit (moins d’un million de dollars), j’ai passé beaucoup de temps sur le scénario et le storyboard pour déterminer la liste des plans, l’ambiance sonore et visuelle. J’ai souhaité une mise en scène minimaliste, la caméra bouge si le personnage se déplace dans le cadre car j’adopte son point de vue. Je trouve la simplicité idéale pour exprimer la terreur contenue. J’avais comme références Hideo Nakata, Kiyoshi Kurosawa, Dario Argento et Andrzej Zulawski, qui n’ont pas besoin de beaucoup d’effets pour obtenir un résultat saisissant. J’ai galéré avant d’arriver là où j’en suis. Au lycée, je rêvais de devenir réalisateur mais je n’avais aucune idée de comment y parvenir. Je me suis lancé dans l’écriture et j’ai été repéré par l’équipe de Guillermo del Toro. Après un court métrage, Arkane, en 2017, que j’ai conçu de A à Z (j’ai même fabriqué les décors), je tiens enfin ma chance.

The Vigil sera-t-il vu par la communauté juive orthodoxe?

Sans doute pas, ou alors par quelques personnes à la marge. Pourtant beaucoup ont participé au film. A part le rôle principal Dave Davis, tous mes acteurs sont issus de ce groupe. Notamment le formidable Menashe Lustig, qui a été rejeté par les siens après avoir joué la comédie en 2017 dans Brooklyn Yiddish, de Joshua Z. Weinstein. Les juifs orthodoxes interdisent la télévision, le cinéma, le téléphone portable ; ils parlent exclusivement le yiddish, enseignent eux-mêmes à leurs enfants si bien que quand certains veulent voler de leurs propres ailes ils doivent tout réapprendre! On dirait des Amish, dévolus à la prière, au travail et à la famille. J’ai discuté avec une fille de rabbin mariée contre son gré à 16 ans à un homme plus âgé, qui a pu obtenir miraculeusement le divorce auprès de son père et embrasser ensuite une carrière d’artiste peintre.

Quels sont vos projets?

The Vigil a été acheté au Festival de Toronto par Jason Blum, pour une distribution aux Etats-Unis. Une sacrée aubaine. Il m’a immédiatement confié l’adaptation d’un best-seller de Stephen KingCharlie, le portrait d’une enfant douée de pyrokinésie : elle met le feu par le pouvoir de la pensée. Il y a eu un premier film avec Drew Barrymore en 1984 réalisé par Mark L. Lester. Je suis content. Jason Blum recrute des auteurs et leur accorde sa confiance. Je fais partie de sa troupe désormais.

Propos recueillis par Stéphanie Belpeche

Source lejdd