A Marseille les politiques ont marché pour eux-mêmes autant que pour Sarah

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Retour sur la marche organisée à Marseille par le CRIF en hommage à Sarah Halimi, lors de laquelle la plupart des candidats ont joué des coudes.

La banderole est large mais pas assez pour contenir tout le monde. Et derrière le slogan « Justice pour Sarah Halimi », ça joue des coudes et de l’écharpe tricolore pour s’arrimer au premier rang. Dimanche 5 janvier, à l’appel du CRIF, quelques milliers de Marseillais défilent vers le palais de justice de la ville. Marche grave et symbolique, écho de celle qui se tient au même moment dans la capitale, afin de réclamer un procès devant les assises pour le meurtrier de la sexagénaire, jugé le 19 décembre 2019 « pénalement irresponsable » de son crime par la cour d’appel de Paris. Mais, à soixante-dix jours du premier tour des élections municipales, la manifestation sonne aussi comme la rentrée des classes politique. Et, pour toute une partie des candidats, comme un événement incontournable de la campagne électorale, dans une ville où la communauté juive sait se faire entendre.

Le patron de la région, Renaud Muselier, ne joue rien personnellement en mars 2020, mais il s’accroche à son rôle d’influence dans les coulisses, histoire de ne pas laisser le maire sortant, Jean-Claude Gaudin, son ennemi ­viscéral, tirer toutes les ficelles. À sa gauche, son ami le sénateur Bruno Gilles, candidat qui a rompu avec Les Républicains (LR), ne laisse personne le déborder, bien emmitouflé dans une veste épaisse. Arrivé un peu en retard, Yvon Berland remonte entre les deux.

Enfin désigné par LRM, le sexagénaire, profil d’aigle et grande silhouette allongée encore par un pull à col roulé, semble mal à l’aise dans ce corps-à-corps. Au foot, dans sa jeunesse, le néphrologue jouait gardien de but. À Aix-Marseille Université, avant sa retraite, il était « Monsieur le président », entouré de toutes les attentions. « La baston électorale, ce n’est pas encore son truc, mais il apprend », sourit, compatissant, un de ses proches.

Martine et son vassal

Martine Vassal, elle, connaît bien ça. La candidate s’est bagarrée pour être investie par LR, son parti. Elle a gagné. Et ce dimanche, belle écharpe multicolore autour du cou, elle tient son rang au côté du président du CRIF. Ses adversaires dénoncent son trop grand appétit et guettent le moindre faux pas. « Je ne me suis arrêtée que trois jours. Je suis concentrée, déterminée et je dors bien », assure la présidente de la métropole Aix-Marseille et du département. Ses principaux soutiens, dont le général de gendarmerie à la retraite David Galtier, promis à la tête de liste dans les 13e et 14e arrondissements, l’entourent comme une garde prétorienne. Des élus papillonnent autour d’elle pour se faire remarquer.

Deux rangs plus loin, le sénateur Rassemblement national (RN) Stéphane Ravier, escorté, lui, de trois de ses colistiers, garde ses distances. « Je ne suis pas là pour être sur la photo avec ceux qui sont responsables de la situation actuelle et qui défilent hilares », siffle-­t-il. Dans la foule, certains saluent le candidat RN, mais, quelques minutes plus tard, il a droit à son message de malvenue. Alors que la manifestation se dissout, dans un discret aparté, il tend la main au président du CRIF marseillais, Bruno Benjamin, qui la lui serre – « parce que je ne laisse pas une main tendue ». Mais, yeux dans les yeux, ce dernier lui glisse : « Je vous combattrai toujours. » Piqué, le sénateur lâche un « Je vous souhaite une bonne année » sec, avant de tourner les talons.

« L’important, c’est que les élus et les candidats sont tous là pour nous soutenir. Après, si certains veulent faire de la récupération, ce n’est pas grave. Il y a une vie après les municipales », relativise Bruno Benjamin. Sur les marches du palais de justice transformées en tribune, le président du CRIF a toutefois sélectionné les « amis » politiques autorisés à le rejoindre. Martine, Renaud, Bruno, Yvon… mais aussi Christophe Madrolle, candidat aux municipales sous la bannière Écologistes !, bronzé comme en plein été, ou encore Henri Jibrayel, l’ancien député socialiste qui ne participe pas aux municipales, mais voudrait bien que Sébastien, son fils, y trouve sa place.

De grands absents

En fait, ce dimanche, tous les prétendants ne sont pas là. Parmi les absents, on note la sénatrice ex-socialiste Samia Ghali, ou encore Sébastien Barles, le leader EELV, dont on dit qu’il peine à trouver les 303 noms nécessaires pour constituer ses listes. Les principaux représentants du Printemps marseillais, union à gauche qui réunit citoyens et membres de partis politiques, ont, eux, une bonne raison de louper l’événement. Au même moment, ils préparent le coup de théâtre du 7 janvier : le retrait du socialiste Benoît Payan au profit de l’écologiste Michèle Rubirola

Manquent aussi à l’appel bon nombre de maires de secteurs Les Républicains, comme Yves Moraine, élu des 6et 8e arrondissements et président du groupe LR au conseil municipal, dont les portraits semblent avoir été collés là pour regarder passer la manifestation. Présence subliminale que tout le monde remarque. « Yves boude parce que Martine l’a fait reculer sur la liste », croit savoir un conseiller départemental LR. L’intéressé dément et prétend que sa place en deuxième position « en binôme avec Martine Vassal » est acquise. S’il était absent de la manifestation, c’est en raison de « l’écriture de son discours de vœux », prévu à la fin de la semaine.

Deux jours plus tôt, arpentant ces mêmes rues du centre-ville pour aller à la rencontre des commerçants, Martine Vassal semblait moins péremptoire. « J’ai proposé quelque chose à Yves, j’attends sa réponse », assurait la présidente du département qui ne nie pas une ambiance morose avec le protégé de Jean-Claude Gaudin. Toute à sa volonté de ne plus apparaître comme l’héritière du maire historique de Marseille, à qui elle doit pourtant l’essentiel de son parcours en politique, la concurrente Les Républicains promet un « fort renouvellement » des équipes municipales si elle est élue. Beaucoup de sortants en ont des sueurs froides. « Dans le 7e secteur, si vous trouvez deux anciens élus sur ma liste, ce sera le bout du monde », claironne le général Galtier. À l’affût, le dissident Bruno Gilles ­travaille déjà à récupérer les déçus.

Source lemonde