Bâti à partir de témoignages inédits de rares survivantes, ce roman de Heather Dune Macadam retrace l’histoire des 999 premières femmes déportées dans le plus grand camp d’extermination nazi.
En librairies le 9 janvier, la version française de 999 jette la lumière sur l’histoire, peu connue, du premier convoi officiel pour Auschwitz en 1942, constitué uniquement de femmes, et pointe du doigt la dimension sexiste du système qui régissait les camps de la mort. En attendant d’en voir l’adaptation cinématographique, actuellement en post-production, on vous donne trois raisons de lire ce roman aussi poignant que nécessaire.
Pour découvrir une page oubliée de l’histoire (des femmes)
C’est un fait qui avait un peu été éclipsé des annales de la Shoah. Le 25 mars 1942, près d’un millier de jeunes femmes juives, célibataires et encore adolescentes pour la plupart, embarquent dans un train à Poprad, en Slovaquie. Convoquées pour aller travailler quelques mois à l’étranger pour leur gouvernement, elles s’en vont le cœur plutôt léger, en adolescentes insouciantes, parfois même enthousiastes à l’idée de partir à l’aventure.
En réalité, elles vont endurer les horreurs d’Auschwitz et le plus souvent, y laisser leur vie. À la fin de la première année, deux tiers des femmes de ce premier convoi vers le camp polonais sont mortes d’épuisement et de mauvais traitements. Rapidement, des juives des quatre coins de l’Europe afflueront à leur tour dans l’enceinte féminine du camp.
Comme le souligne bien l’autrice de 999, réduire des jeunes femmes à l’état d’esclaves sur un chantier de construction -les premiers mois, elles sont chargées d’aménager le camp, à mains nues- n’a rien d’anodin. “Mais à quel moment a-t-on ciblé les jeunes femmes célibataires? Apparemment, il n’y a pas eu qu’un seul coupable, mais ce sont pourtant des hommes qui ont pris cette décision”. Dans ce “système machiste”, précise-t-elle, les conditions de vie du camp des femmes étaient “bien pires que dans le camp des hommes”, notamment en termes de surpopulation, et elles ont été bien plus nombreuses à avoir été envoyées dans les chambres à gaz…
Pour en savoir plus sur le quotidien des femmes à Auschwitz
Plus qu’un pan de la grande Histoire, 999 est avant tout une collection de récits individuels qui facilitent l’identification à ces jeunes femmes, dont on découvre le quotidien au début du roman. De quoi mettre un visage sur des chiffres si vertigineux qu’ils en perdent leur sens -environ un million de victimes à Auschwitz, femmes et hommes confondu·e·s-, et redonner une dignité aux détenues réduites à des numéros de matricule tatoués sur le bras.
Le roman dévoile les rouages d’un système cruel assignant les prisonnières à des postes spécifiques, de façon à les monter les unes contre les autres, à voler la pitance de l’une autre pour que l’autre survivre… “Auschwitz, c’était Hunger Games devenu réalité”, résume l’autrice. Une déshumanisation qui va de pair avec la destruction de leur féminité: dès leur arrivée au camp, les jeunes détenues sont déshabillées, désinfectées et entièrement rasées sous les regards lubriques des fonctionnaires, avant de subir des touchers vaginaux très violents. Tout au long de leur détention, on leur donnera du bromure pour “empêcher leurs cerveaux de fonctionner”, mais aussi endiguer tout désir sexuel et stopper leur règles. Plus tard, les survivantes connaîtront souvent des problèmes pendant leur grossesse, et certaines se découvriront stériles, à la suite notamment d’expérimentations médicales.
Pour suivre des destins de femmes exceptionnelles
Endurcies physiquement et moralement, les femmes du premier convoi ont conçu des stratégies pour rester en vie, par exemple en trouvant refuge dans les brigades de couture ou dans les bureaux du camp. Les plus “chanceuses” étaient affectées au “Canada”, nom donné à la section de tri des effets personnels des détenu·e·s qui donna lieu à un trafic d’objets au sein du camp, parfois échangés contre de la nourriture.
Mais à la survie individuelle, de nombreuses détenues préféreront la solidarité. Comme Edith et Elsa, chargées de la distribution des repas, qui refusèrent les portions supplémentaires que leur accordait leur statut, et veillèrent à ce que toutes les détenues reçoivent des parts équitables. Ou la doctoresse Manci Schwalbova, issue du second convoi de femmes slovaques, qui a sauvé de nombreuses prisonnières atteintes du typhus en les soignant en cachette pour leur éviter d’être envoyées dans les chambres à gaz pour “incapacité à travailler”.
“Les liens qui unissaient ces femmes étaient indestructibles. Elles se sont sauvées les unes les autres. C’était le summum de la sororité”, écrit Heather Dune Macadam. “Nous sommes les descendants de survivantes très spéciales, abonde l’un des témoins interrogés. Personne ne peut vivre aussi longtemps dans un endroit comme celui-ci.”
Sophie Kloetzli