Keir Starmer, le « monsieur Brexit » du Labour, se lance dans la course à la succession de Jeremy Corbyn, qui abandonnera la direction du parti le 4 avril prochain. Avec ses airs mi-populaire, mi-aristocrate, il pourrait bien devenir le nouvel homme fort de la gauche britannique.
Après sa débâcle aux dernières législatives, la pire défaite qu’ait connu le parti britannique depuis 1935, le Labour se cherche un nouveau meneur. Tenant de la ligne gauche élu à la surprise générale, Jeremy Corbyn abandonnera son poste le 4 avril prochain, plombé aussi par des accusations d’antisémitisme. La campagne pour lui succéder a démarré officiellement ce mardi, avec quatre femmes candidates pour cette formation toujours dirigé par des hommes et un favori incarnant une ligne plus au centre : Keir Starmer.
Un avocat spécialisé dans les Droits de l’homme élu sur le tard
Son premier dimanche de janvier, Keir Starmer l’a passé en banlieue, dans les rues pavées de Stevenage, à une heure au nord de Londres. Dans une localité qui a voté a 59 % pour le Brexit, au milieu des militants. Exercice habituel, et presque automatique pour un homme politique de gauche, mais auquel il n’a eu que peu d’occasions de se confronter.
Élu sur le tard, en 2016, Keir Starmer a passé la majeure partie de sa vie dans les prétoires, à construire une carrière d’avocat spécialisé dans les Droits de l’Homme, puis de procureur général, anobli par la Reine. Brillant, élégant, presque un peu trop lisse, disent ses détracteurs. Trop guindé, comme le personnage de Mark Darcy, dans Le Journal de Brigdet Jones, auquel il aurait servi de modèle.
Diplômé d’Oxford, il a rejoint l’équipe dirigeante du Parti travailliste grâce à ses connaissances juridiques. Pour tenir tête au gouvernement conservateur et négocier les modalités de sortie de l’Union européenne, il fallait quelqu’un qui soit capable de décortiquer la législation. Keir Starmer l’a fait avec brio, en déposant d’emblée 171 questions sur le sujet sur le bureau du ministre du Brexit, avant de convaincre Jeremy Corbyn de la nécessité d’un deuxième référendum.
« Le parti travailliste, dit-il aujourd’hui, aurait du prendre une position plus tranchée » sur le sujet. Sans préciser laquelle, mais en laissant entendre toute sa déception, face au résultat des élections législatives anticipées de décembre.
Reconquête raisonnée
Pour « reconstruire le parti », il propose de concentrer les efforts sur les anciens bastions délaissés de la gauche, sans oublier de parler aux électeurs de sa propre circonscription, à Saint Pancras, dans le centre de Londres. Et c’est toute sa force. Issu d’une famille modeste, avec un père ouvrier et une mère infirmière, Keir Starmer est un caméléon aussi à l’aise avec les « bobos » de la capitale, partisans d’une gauche modérée, qu’avec les supporters de foot. Avec un talent d’orateur rompu aux plaidoiries, et la gouaille des quartiers populaires.
Car contrairement à son patron, Keir Starmer n’a pas pour ambition de modifier les statuts des écoles privées, il ne propose pas de renationaliser la totalité des services publics. Et ses costumes bleus, son visage impeccablement rasé et sa mèche de cheveux figée avec du gel tranchent avec la cravate rouge vif et les joues broussailleuses de l’actuel patron de la gauche, qui – jusqu’à la fin de son mandat – aura entendu des moqueries, qualifié par ses adversaires de marxiste vénézuélien.
Starmer rassure, par ses discours concis, et brillants, son éloquence, son habitude des plaidoiries, et se présente comme un ardent défenseur des valeurs de gauche, touten donnant l’image d’un gestionnaire, séduisant pour les centristes.
L’héritage Corbyn
Pourtant, dans l’immédiat ce ne sont pas les électeurs qu’il faut convaincre. Ce sont les militants. Ces dernières années, des milliers de jeunes, et de syndicalistes ont adhéré au parti travailliste. Sans être tous des « Corbynistas », hurlant à chaque apparition du leader de la gauche, ils sont très majoritairement à gauche de la gauche.
Keir Starmer le sait. Même si le dernier sondage YouGov le donne gagnant avec 61 % des suffrages, il se méfie de Rebecca Long Bailey, héritière désignée du chef du parti, et qui va pouvoir compter sur la puissance de feu de Momentum. Le think tank qui a propulsé Jeremy Corbyn au pouvoir il y a quatre ans dispose d’une gigantesque base de données qui répertorie la majorité des adhérents, et compte suffisamment de bénévoles prêts à diffuser des messages ciblés par téléphone et sur les réseaux sociaux.
Dans sa première vidéo de campagne, publiée sur Twitter, Sir Keir s’emploie, en quatre minutes, à déconstruire son image de gentleman de la politique. Il se défend d’être centriste, ou – pire encore – blairiste. « J’étais opposé à la guerre en Irak », dit-il, avant de rappeler qu’il a fourni, en 1990, une aide juridique gratuite aux manifestants interpellés par la police après les émeutes fiscales déclenchées en réaction à la politique de Margaret Thatcher. Il précise aussi, qu’il a poursuivi en justice le dernier gouvernement travailliste qui refusait d’accorder des prestations aux demandeurs d’asile.
I’m standing to be leader of the Labour Party because I believe another future is possible. Join me: https://t.co/7LQiNItoDU pic.twitter.com/e0wFzBugbr
— Keir Starmer (@Keir_Starmer) January 6, 2020
Pas question donc de remettre en cause la totalité des idées de Jeremy Corbyn. Il répète à qui veut l’entendre que le programme était « trop fourni ». Un euphémisme respectueux, pour éviter de parler de la campagne brouillonne de la gauche. Pour plaider sa cause, l’ancien avocat diffuse une photo où il serre son patron dans ses bras. Et il oublie soigneusement de rappeler que, en 2016, il fait partie d’un complot destiné à faire tomber Corbyn.
En réaction, Ken Livingstone, l’ancien maire de Londres, se dit « incroyablement impressionné » par le lancement de campagne. Ses amis, eux, mettent l’accent sur sa passion du football, et sa présence – récurrente – dans les tribunes de l’Emirates Stadium de Londres, lors des matches d’Arsenal. Ils rappellent aussi opportunément que ses parents l’ont prénommé Keir en hommage à James Keir Hardie, fondateur et premier président du Parti travailliste.