La gauche allemande s’indigne des négociations engagées entre le gouvernement et les Hohenzollern, dont le soutien à Hitler est établi. La famille réclame aujourd’hui la restitution de biens confisqués en 1918.
C’est une famille qu’on croyait reléguée dans les livres d’histoire. A tort. Son nom a récemment resurgi dans les journaux allemands à l’occasion d’une bataille judiciaire qui remue de vieux comptes non soldés avec le passé.
Cette famille est celle des Hohenzollern, vieille dynastie prussienne qui a quitté le devant de la scène avec l’abdication de l’empereur Guillaume II, au moment de la défaite de 1918, et dont les descendants réclament à l’Etat allemand une partie des biens qui leur ont été confisqués, sous la forme de restitutions pures et simples ou d’indemnisations financières.
Le bras de fer n’a été révélé qu’en juillet par la presse allemande, mais il dure en réalité depuis 2014. Il porte sur quelque 5 000 objets et œuvres d’art aujourd’hui exposés ou entreposés dans des musées de Berlin et du Brandebourg, deux Länder dont les contours correspondent au territoire historique des Hohenzollern. Il concerne également quelques propriétés, dont le château de Cecilienhof, construit pendant la première guerre mondiale et resté dans l’histoire pour la conférence de Potsdam à laquelle participèrent Churchill, Staline et Truman à l’été 1945.
Sbires des nazis
Le gouvernement allemand, qui n’avait pas communiqué jusqu’à présent, a expliqué que les négociations avec les Hohenzollern étaient particulièrement ardues pour des raisons avant tout légales. Les biens de la famille ont en effet connu une destinée complexe : confisqués en 1918 au moment de la défaite allemande et de la chute de la monarchie, ils ont en partie été restitués sous la République de Weimar, en 1926, avant d’être à nouveau repris par les Soviétiques, en 1945, puis récupérés par la République démocratique allemande (RDA), le Brandebourg se situant sur le territoire de celle-ci à l’époque du rideau de fer et jusqu’à la réunification du pays, en 1990.
Sur la scène politique, la révélation des procédures engagées par les Hohenzollern a déclenché de vives protestations à gauche, chez les sociaux-démocrates mais surtout de la part du parti de gauche radicale, Die Linke. Sous le titre « Pas de cadeau aux Hohenzollern », ce dernier a lancé une pétition en ligne, le 10 août, afin de dénoncer une demande jugée « oublieuse de l’histoire ». Ce que Katja Kipping, la présidente de Die Linke, a résumé d’une formule : « Les sbires des nazis ne méritent pas d’indemnités. » En quinze jours, elle n’a rassemblé que 3 500 signatures.
La relation au nazisme : tout le problème est bien là. Comme l’a rappelé l’historien Norbert Frei dans la Süddeutsche Zeitung, le 21 août, les Hohenzollern ont clairement soutenu l’accession d’Hitler au pouvoir, en 1933. En particulier le Kronprinz, le prince héritier Guillaume (1882-1951), fils de l’empereur qui avait abdiqué en 1918. S’appuyant sur une étude de référence de Stephan Malinowski intitulée Vom König zum Führer – du roi au Führer (Fischer Taschenbuch Verlag, 2004, non traduit), il rappelle que la position des Hohenzollern fut à l’image de l’évolution politique de l’aristocratie allemande dans les années qui suivit son « déclin social » après la chute de la monarchie : « une radicalisation toujours plus loin vers la droite ».
Négociations incertaines
Dans cet article, l’historien rappelle certes qu’il y eut à la toute fin de la guerre des contacts entre le Kronprinz et les conjurés qui préparèrent l’attentat manqué du 20 juillet 1944 contre Hitler. Mais cela n’enlève rien à l’essentiel, selon lui. « En 1933, les choses étaient très claires : les Hohenzollern n’étaient pas du côté de la République. Ils comptaient parmi ceux qui ont rendu Hitler possible », écrit Norbert Frei.
L’issue des négociations entre l’Etat allemand et les Hohenzollern – dont la famille a aujourd’hui pour chef Georg Friedrich de Prusse, 43 ans, arrière-arrière-petit-fils de Guillaume II – est très incertaine. « Pour l’heure, les positions des deux parties sont très éloignées », a reconnu Monika Grütters, la déléguée du gouvernement fédéral chargée de la culture et des médias, début juillet. « Le niveau extrême des réclamations formulées par les Hohenzollern nous a tous surpris », a, quant à elle, déclaré Ulrike Gutheil, secrétaire d’Etat à la culture du Land de Brandebourg.
Au sein des institutions publiques qui gèrent aujourd’hui les biens réclamés par la famille, la résistance a déjà commencé à s’organiser. A propos du château de Cecilienhof, qui doit abriter en 2020 une grande exposition à l’occasion des 75 ans de la conférence de Potsdam, « les Hohenzollern n’emménageront jamais ici », a ainsi fait savoir Christoph Martin Vogtherr, directeur général de la Fondation des châteaux et jardins prussiens de Berlin-Brandebourg.