Jacques Strauss, caché à Montrevel pendant la guerre : «J’ai eu une enfance magnifique»

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Jacques Strauss est né dans une famille juive en 1937, à Reichshoffen, en Alsace. Caché à Montrevel de 1941 à 1944, sous l’Occupation, son histoire a inspiré le prochain spectacle de la ferme du Sougey: Les Sentiers de la liberté. Il raconte son itinéraire d’enfant caché.

L’avant-guerre

«Je suis né dans une famille juive de commerçants, à Reichshoffen, en Alsace, trois ans avant la déclaration de la guerre. Mon grand-père y avait construit une maison et un magasin en 1906 alors que l’Alsace était encore un territoire allemand. À cette époque là, la communauté juive n’était pas persécutée et bien intégrée dans le paysage […] Mon père est né Allemand en 1906, puis est devenu Français en 1918. Il a été très mobilisé pendant toute la période d’avant-guerre : 1937, 1938, 1939. L’enfant que j’étais ne l’a quasiment pas connu.»

«J’ai été élevé par ma mère, ma grand-mère, mes grands-tantes et mon grand-oncle Léopold. Quand l’armée allemande a occupé l’Alsace, en 1940, nous avons été emmenés par un voisin garagiste jusqu’à Plombières-les-Bains, dans les Vosges. Cette parenthèse a duré jusqu’à la création de la zone occupée et de la zone libre. Ma mère a décidé de ne pas rester en zone occupée, connaissant le sort des juifs en Allemagne. On est donc partis à Montrevel où la sœur de ma mère connaissait du monde.»

L’occupation

«On est arrivés à Montrevel en 1941, sans papiers. À cette époque-là, les Allemands venaient de remporter une victoire. Euphoriques, ils avaient laissé passer la ligne de démarcation au petit groupe de vieux que l’on constituait : une femme, un enfant et trois vieillards. Nous avons été logés chez Mme Geoffrey dont le père avait une petite usine sur la route de Bourg-en-Bresse. MmeGeoffrey avait une fille, Gaby. Elle avait un an de moins que moi. Très vite, on m’a procuré de faux papiers, avec une fausse identité : Clément. J’allais à la maternelle à l’autre bout du village. Ma tante m’amenait avec mes copains. J’étais un enfant heureux, choyé. J’ai eu une enfance magnifique. Tout était fait pour me rendre la vie normale

«Le meilleur exemple, c’est la mort de ma mère, en mars 1943. Elle était malade depuis longtemps. On m’a caché son décès dans le but de me protéger. De son côté, mon père, prisonnier à Nuremberg, est rentré en décembre 1943. Veuf, il avait été libéré selon une convention passée entre Pétain et Hitler. Début 1944, au plus fort des rafles, la Résistance a décidé de nous planquer à Saint-Étienne-sur-Reyssouze. Malgré tout cela, j’ai vécu la période de l’Occupation très sereinement, ce qui n’était certainement pas le cas de ma famille. Dans mon souvenir, personne n’a jamais fait le moindre commentaire à notre égard. Pourtant tout le monde savait. Montrevel est un petit village, les intrus étaient très vite repérés.»

La vie après la guerre

« À la Libération, mon père a travaillé à la préfecture de Bourg-en-Bresse. J’avais 6 ans. Après la Libération, je suis allé à l’école à Montrevel jusqu’à mai 1945. En août 1945, nous sommes rentrés en Alsace et nous avons repris notre vie d’avant. Plus tard, il y a eu les années lycée, l’école d’ingénieur et une vie active bien remplie, en France et dans de nombreux pays d’Afrique (Côte d’Ivoire, Madagascar, Sierra Leone, Haïti, Gabon, etc.). Dans ma vie, j’ai été amené à beaucoup voyager. Aujourd’hui, je suis à la retraite et je vis avec mon épouse à Paris. Nous avons eu deux enfants et la chance d’avoir un petit-fils. »

Son histoire a inspiré le nouveau spectacle du Sougey, les sentiers de la liberté

L’histoire, la petite par laquelle passe la grande, ne tient parfois qu’à un seul petit coup de fil. Celui passé par Jacques Strauss à la mairie de Montrevel en 2010 a donné une dimension nouvelle au passé de la commune : celui d’un village refuge pour une famille juive menacée de déportation. Cette histoire, passée sous silence pendant des décennies, les Amis de la Bresse et du Sougey ont décidé de la mettre en lumière dans le cadre du spectacle qu’elle organise tous les trois ans. La première représentation de ce spectacle intitulé Les Sentiers de la liberté sera donnée jeudi 11 juillet, en présence de Jacques Strauss et de son amie d’enfance, Gaby Geoffrey, dont les grands-parents avaient offert l’asile à la famille Strauss. Sur la scène de la ferme du Sougey, 160 acteurs et figurants, en costumes et uniformes d’époque, redonneront vie à ce pan de l’histoire locale trop longtemps tombé dans l’oubli.

Les Sentiers de la liberté , à la ferme du Sougey à Montrevel-en-Bresse du 11 au 28 juillet. Tarifs : de 15 à 19 euros. Informations et réservations sur www.bresse-sougey.net et auprès des offices de tourisme de Bourg-en-Bresse, Bâgé-le-Châtel, Châtillon-sur-Chalaronne, Pont-de-Vaux et Villars-les-Dombes.

Source leprogres