Le portrait sous plusieurs angles de Munich, troisième métropole d’Allemagne après Berlin et Hambourg, se poursuit. Aujourd’hui: l’inquiétante remontée de l’antisémitisme.
Il y a comme une nouvelle odeur de vieux soufre. Charlotte Knobloch, juive allemande née à Munich en 1932, décrit l’atmosphère qui règne dans son pays en ce moment en établissant un parallèle avec la fin des années 1920, quand la tempête brune menaçait.
Mme Knobloch est présidente de la Communauté juive de Munich et de la Haute-Bavière (Israelitischen Kultusgemeinde München und Oberbayern). Elle a été la première femme à diriger le Conseil central des juifs en Allemagne (2006-2010). La semaine dernière, elle recevait le Prix international Charlemagne (Karlpreis) récompensant son travail en faveur de l’unification européenne. Frau Knobloch est quelque chose comme une mémoire vivante.
Elle est née un an avant la prise du pouvoir par les nazis. Elle a survécu à la guerre, à la Shoah, cachée dans une famille paysanne de Franconie. « J’ai vécu quelques années seulement en dehors de Munich, quand des gens m’ont sauvée, et c’est là mon histoire », dit-elle laconiquement.
Un lieu fabuleux
La rencontre a lieu à la synagogue Ohel Jacob, en plein cœur du quartier historique. Le site comprend un centre culturel et cultuel, un musée, une école, une garderie, une librairie et même un restaurant baptisé Einstein. Le complexe est ceinturé de hauts lieux catholiques, dont le couvent des soeurs de Notre-Dame, bien visible de la magnifique terrasse verte.
Le complexe contemporain de quelque 85 millions de dollars, conçu par la firme de Rena Wandel-Hoefer et Wolfgang Lorch, est franchement exceptionnel. Il a reçu un prix allemand d’urbanisme. Le toit de la structure carrée de la synagogue reproduit une tente (Ohel) rappelant le séjour de Moïse dans le désert. Son immense portail reproduit les dix lettres qui symbolisent les dix commandements.
Ohel Jacob porte le nom d’une ancienne synagogue détruite, comme d’autres semblables, pendant la terrible Nuit de cristal de novembre 1938. La nouvelle « tente de Jacob » a été inaugurée le 9 novembre 2003, 68 ans jour pour jour après la destruction de l’ancienne. La police allemande a réussi à déjouer un projet d’attentat néonazi le jour de cette ouverture officielle en présence du président de la République. Cette persistance du soufre…
Il y avait encore environ 4000 juifs à Munich au début de la Deuxième Guerre mondiale. Ils ont tous été exterminés, ou presque. La communauté a maintenant presque doublé, notamment grâce à l’apport de juifs de l’ancien bloc de l’Est qui ont migré après la remontée du Rideau de fer. Ils forment maintenant environ 40 % du groupe.
« L’idée du centre est née dans la foulée de la chute de l’Union soviétique, avec l’arrivée des juifs de cette région, résume la présidente Knobloch. Ils étaient nombreux, parfois quatre générations d’une même famille. La communauté ne comptait que 3000 membres environ au début des années 1990 et n’était pas équipée pour faire face à ce problème. Nous avons donc demandé de l’aide aux autorités pour construire un nouveau lieu de service et nous l’avons obtenu après plusieurs années de travail. »
Mme Knobloch avoue que les rapports ne sont pas si simples entre les anciens et les nouveaux membres de sa communauté, ne serait-ce qu’en raison des différences culturelles entre russophones et germanophones. Elle compare la situation à l’arrivée de réfugiés à l’Ouest dans l’immédiate après-guerre, entre 1945 et 1948.
Le retour du refoulé
Ce sont les rapports avec certains membres de la société allemande qui inquiètent surtout la présidente. « Les dernières années ont vu se développer un antisémitisme, dit-elle. On savait qu’il était toujours là et que, jusqu’à un certain point, c’était tabou de l’exprimer en public. Les choses ont changé avec l’arrivée de ce nouveau parti de la droite, l’Afd [Alternativ für Deutschland], qui fonde ses politiques contre les minorités, et contre les juifs en particulier. Cela a contribué à la nouvelle réalité de l’antisémitisme. »
Elle ajoute que les autres migrants arrivés récemment en masse en Allemagne viennent de pays musulmans où les sentiments antijuifs sont pour ainsi dire structurels. La présence de juifs à Munich et ailleurs en Europe simulerait ces ressentiments. Elle dit par exemple qu’elle entend à nouveau le mot « Jude » comme une insulte, ce qu’elle ne pensait jamais revivre.
La présidente reconnaît les efforts faits par certains élus pour contrer cette remontée de l’antisémitisme. Elle souhaiterait tout de même davantage, que le centre dur de la société allemande se lève et condamne la nouvelle montée de l’antisémitisme ici et dans le pays.
Le New York Times l’a documenté à Berlin dans un article diffusé au début du mois. Plusieurs membres de la communauté y avouaient ne plus dire publiquement qu’ils sont juifs par crainte des représailles. Le Monde a fait le même exercice pour tout le pays en mai en notant le recul des inhibitions et l’importance des réseaux sociaux et du Web pour colporter les vieilles idées discriminatoires.
Mme Knobloch raconte l’histoire d’une élève qui a trouvé une note disant « Dehors les juifs » sur son pupitre en rentrant de récréation. « Je l’ai sortie de cette école publique pour l’inscrire à une école privée chrétienne juste à côté d’ici. Nous ne l’avons jamais racontée publiquement, cette histoire. Ça n’arrive pas seulement à Munich. C’est partout en Allemagne. »
L’an dernier, un sondage de CNN a aussi montré que les clichés sont tenaces sur tout le continent. Le quart des Européens disent que les juifs ont trop d’influence dans les guerres et la haute finance dans le monde. Le parti anti-immigration AfD (13 % des voix aux élections fédérales, troisième formation du pays) est accusé de tenir des propos qui semblent minimiser l’Holocauste.
« Nous avons des problèmes avec la montée de la droite, à l’évidence, avec la gauche, avec les immigrants musulmans, et nous avons des problèmes parce que le centre de la société devrait hausser la voix pour condamner la situation et ne le fait pas, conclut la présidente Charlotte Knobloch. Un parti comme l’AfD, élu certes, peut faire des déclarations comme celles qu’il fait sans que rien ne se produise. Alors, ce pays a un sérieux problème. »
Ce reportage a été financé grâce au soutien du Fonds de journalisme international Transat-Le Devoir.