La menace terroriste en France n’est pas seulement islamiste

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Terrorisme d’Etat, cyber, ultradroite, ultragauche, radicaux régionaux et même animalistes : pour les services de renseignement, d’autres menaces s’ajoutent à la principale, celle des jihadistes.

L’émergence d’une « tentation terroriste » de l’ultra-droite en France doit être prise au sérieux, malgré l’éparpillement de cette mouvance en une multitude d’associations et groupuscules, estime un rapport parlementaire rendu public jeudi. BFMTV a ainsi révélé qu’un groupe baptisé «L’oiseau noir » avait été récemment démantelé : il prévoyait des attentats contre les musulmans et le Conseil représentatif des institutions juifs de France (Crif).

La menace terroriste liée à « l’islamisme sunnite » reste « extrêmement élevée » en France, confiait récemment un haut responsable du renseignement tenu à l’anonymat. Mais, à l’écouter, elle n’est pas la seule. Terrorisme d’Etat, cyberterrorisme, ultradroite, ultragauche, régionaux et même animalistes… la liste est longue.

Un récent rapport parlementaire évoque ainsi l’émergence d’une « tentation terroriste » dans certains milieux d’extrême droite, qu’il faut « prendre au sérieux ». Si le rapport des députés Muriel Ressiguier (LFI) et Adrien Morenas (LREM) parle d’une mouvance de 2000 à 3000 radicaux, une source du renseignement estime à « 200 à 400 » le nombre de militants d’ultra-droite potentiellement dangereux. « On constate une certaine vigueur de l’ultra-droite, avec un panel extrêmement large de groupes en concurrence qui se détestent ». « Certains individus ou petits groupes ont des velléités de passage à l’acte » : la police a découvert des projets d’attaques contre le président Macron ou la communauté musulmane, par exemple au travers de l’empoisonnement de nourriture halal.

La France reste pour l’heure épargnée mais les nombreux exemples à l’étranger inquiètent les services spécialisés : l’attaque d’Anders Breivik en Norvège (77 morts en 2011), l’assassinat de la députée anglaise Joe Cox, travailliste proeuropéenne, pendant la campagne référendaire sur le Brexit, celui – début juin et pas encore éclairci – d’un préfet allemand à Kassel, ou l’attentat contre des mosquées de Christchurch en Nouvelle-Zélande (51 morts mi-mars), sans compter les nombreuses attaques de même nature aux Etats-Unis venant de l’alt-right. Le risque avait été pointé dès 2016 par Patrick Calvar, alors à la tête de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) quand il jugeait « inéluctable » la « confrontation entre l’extrême droite et le monde musulman » en cas de nouveaux attentats islamistes.

Avec l’ultra-droite, l’ultra-gauche partage « les intentions subversives par l’idéologie et les formes d’expression violentes, qui visent à mettre à l’épreuve la résilience de nos institutions et de notre société », avance un responsable du renseignement. Au risque d’une confusion entre les violences dans les manifestations – comme à Notre-Dame-des-Landes ou lors des « actes » des Gilets jaunes – et le terrorisme, les milieux spécialisés décrivent une « stratégie du coucou » au sein des mouvements de protestation écologiste ou sociale. Avec toujours « une violence tournée contre les forces de l’ordre ». Mais, là encore, pas de bascule vers des attaques terroristes comme on a pu l’observer récemment en Grèce et en Italie.

Les services français redoutent notamment les membres de l’ultragauche qui ont été formés militairement en allant combattre avec les Kurdes syriens de l’YPG ou en Colombie avec les Farc ou l’ELN. Plusieurs gendarmeries ont bien été incendiées en 2017, comme à Grenoble, mais la justice n’a pas ouvert d’enquêtes pour terrorisme. Une certaine prudence semble de mise depuis le fiasco judiciaire de l’affaire du « Groupe de Tarnac », qualifié de « terroriste » en 2008 avant d’être définitivement blanchi en 2018.

Les services français n’ont pas constaté de « convergence des luttes » entre l’ultradroite et l’ultragauche, comme certains le redoutaient lors du mouvement des Gilets jaunes. En revanche, on observe une « imitation des méthodes » et des « codes vestimentaires » par des « gens que nous ne connaissions pas auparavant », des Gilets jaunes – les « ultrajaunes ». Les forces de sécurité sont préoccupées par les prises à partie des élus locaux, jusqu’à leur domicile privé. Autre risque : « l’effet d’imitation », comme ce jeune homme s’improvisant preneur d’otages dans un bureau de tabac de Blagnac au nom des Gilets jaunes.

Les services de renseignement suivent également les menaces « écoterroristes », en provenance des milieux « animalistes » ou « antispécistes » extrémistes. Un récent rapport de la Fondation pour l’innovation politique (Fondapol) décrit cette « contestation animaliste radicale ». En mars dernier, une militante végane a été condamnée pour « apologie du terrorisme » après avoir trouvé « juste » l’assassinat d’un boucher par le terroriste du Super U de Trèbes…

Alors que le cyber est désormais l’un des leurs principaux champ d’action, les services français reconnaissent qu’« aucune cyberattaque terroriste n’a, à ce jour, été documentée » : « l’attribution » des attaques est très complexe, tant « il est possible de se faire passer pour un autre », mais « faire une attaque sans la revendiquer, ça ne sert à rien, car le terrorisme, c’est de la communication », explique notre interlocuteur. Qui se dit néanmoins conscient du fait que « cela nous arrivera ».

En France,« les terrorismes régionaux » basque ou corse sont « clairement en perte de vitesse », se réjouissent les milieux spécialisés. L’ETA basque s’est autodissoute en 2018, après une cinquantaine d’années de « lutte armée » et plus de 800 morts. A la mi-mai, un ancien dirigeant de l’organisation, en fuite depuis 2002, a été arrêté en Haute-Savoie : il est responsable d’un attentat en Espagne (11 morts dont 5 enfants en 1987). Les craintes des services portent sur « les jeunes qui comprennent moins le sens de la paix des braves et pourraient se mobiliser sur des questions environnementales ». Quant à la Corse, où « la confusion avec le banditisme était fréquente », le terrorisme y « marque le pas de manière certaine » depuis la « démilitarisation » du FLNC, en 2014 et 2016.

Enfin, les services spécialisés considèrent que « le terrorisme d’Etats [étrangers] n’a pas disparu ». En juin 2018, une tentative d’attentat, attribuée à l’Iran, contre les Moudjahidines du Peuple réunis à Villepinte (93), avait été déjouée. Et l’attaque à l’arme chimique, sur le sol anglais en 2018, contre l’ancien agent russe Sergueï Skripal a suscité une vraie inquiétude. « On fait très attention à tout ça », dit un proche du dossier.

Source lopinion