Folle vie : autobiographie de Liliane Rovère, actrice et rescapée de la Shoah

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À 86 ans, la comédienne, rescapée de la Shoah, qui joue Arlette dans la série « Dix Pour Cent », raconte sa « Folle vie » dans une incroyable autobiographie qui paraît ce jeudi.


Des frisettes noires qui lui barrent le front, un regard souligné au crayon noir qui vous fixe avec une tendre curiosité, à 86 ans, Liliane Rovère – Arlette de la série « Dix Pour Cent » – attend les questions, amusée. On la rencontre près de chez elle, au bistrot Cacahuète, dans le IXe arrondissement, pour qu’elle nous parle de « La folle vie de Lili », son autobiographie qui paraît ce jeudi. Au fil des pages se dévoile une nature forte et insouciante d’une « peureuse qui n’écoute pas ses peurs ». « J’ai eu une vie mouvementée, je suis une multirescapée », sourit-elle d’emblée.

Une enfance sous l’Occupation

Elle est née en 1933, le jour même de la nomination d’Hitler comme Chancelier… Lili, juive, devra se cacher, passant dans plusieurs institutions catholiques, placée sous de faux noms et frôlant plusieurs fois l’arrestation. « Je n’ai sans doute pas eu autant peur que j’aurais pu, j’étais petite au début… Un jour, une gamine m’a chassée d’une ronde parce que j’étais juive, ça m’a fait plus d’effet que de passer la ligne de démarcation sous une bâche, je ne suis pas près de l’oublier celle-là… »

Quand le jazz est là

À 12 ans, elle découvre cette musique lors d’une « surprise-partie » de son frère. La voici descendant dans les caves de jazz de Saint-Germain-des-Prés, le Tabou, le Montana, l’Arlequin, de plus en plus tard le soir. « C’était difficile de m’empêcher de sortir, je ne sais pas si je maîtrisais bien la situation ». Elle y croise souvent Boris Vian – « délicieux et charmant, sans prétention » – avec qui elle se retrouve en pleine nuit chez Eddie et Nicole Barclay et échappe à une partie fine. Elle a 15 ans, Vian la ramènera chez elle.

Violée à 18 ans

Club Saint-Germain. Elle danse. Deux amis l’invitent dans un autre lieu, aux Champs-Élysées, elle monte dans la voiture qui file dans des bois. Ils la violent. « Je ne me suis pas débattue, je n’ai pas imploré, je suis restée muette […] c’était ce que je pouvais faire de mieux », écrit-elle, évoquant ce viol pour la première fois, près de 70 ans après. Rentrée, elle décide de ne pas en faire un traumatisme. « Pas que je n’ai pas eu peur ou que ça ne m’a pas fait mal, confie-t-elle. Mais je n’avais pas envie de me pourrir la vie avec ce truc-là, on m’a assez pourri la vie ce jour-là ».

New York, 1954

21 ans. Ses parents l’envoient à New York chez un oncle, dans l’espoir qu’elle y trouve une situation. Elle pense jazz et c’est au mythique club Birdland qu’elle passe sa première soirée. Count Basie et Miles Davis y jouent. Elle y va souvent, affronte aux échecs Dizzy Gillespie devant Charlie Parker. Que ce soit à Paris ou à New York, elle se sent bien au milieu des jazzmen. Encore aujourd’hui. « C’est le milieu dans lequel je me suis trouvé chez moi », explique-t-elle.

Chet Baker, mon amour

Elle est souvent au bar, seule. « C’était moins cher ». Un soir, Chet Baker l’aborde. « Le coup de foudre fut pour lui, moi je me laissais porter par le flot, passive et ravie à la fois. Il était beau garçon […] style ado, un peu voyou ». Marié aussi. Un soir, son épouse la braque avec un revolver. « J’ai dû sourire bêtement, me disant qu’elle n’allait pas tirer, je n’avais pas peur, et en même temps… ». Elle ne tire pas. Il divorcera. Partant en tournée, il l’enlève presque de chez son oncle. Sur les routes des Etats-Unis, puis d’Europe, deux ans d’une relation « économe en mots ». « On ne se connaissait guère », écrit-elle. « On faisait beaucoup l’amour, mais sans complicité ». Aujourd’hui, elle pense à lui « sans l’idéaliser, avec plaisir et affection, et un peu de tristesse aussi, il était excessif et il l’a été jusqu’au bout ». L’héroïne le consumera.

Tout essayer

Elle teste. Des joints, elle en a fumé tôt, du LSD, une fois – « ça secouait trop pour moi » – de la cocaïne, des amphétamines, de l’héroïne… « Curieuse, j’ai pioché, je n’avais pas peur, personne ne m’en avait jamais parlé ». Elle se raconte dans des toilettes à partager une seringue au contenu préparé avec l’eau de la cuvette. « J’ai eu de la chance », admet-elle. Seul le tabac l’a eue même si elle s’en est défaite vers 40 ans. « Inconsciemment, je ne voulais pas être esclave, je pense, dépendante de rien. Je veux bien m’amuser, goûter, me défoncer, mais pas tous les matins ».

Comédienne

À 25 ans, sa mère lui propose de lui payer des cours de théâtre. « Elle m’a sorti ça, sans prévenir ». Cette envie, elle n’en avait parlé à personne. « Elle a fait sauter un verrou, sans elle, je n’y serai jamais allée, je ne voulais pas être actrice, j’avais peur d’être mauvaise ». Théâtre, souvent avec Jorge Lavelli, fondateur de La Colline, cinéma – Elle est la femme de Depardieu dans « Buffet Froid » de Blier – télévision, elle mène une carrière au gré des rencontres et du plaisir. « Je n’ai jamais eu de plan de carrière, je ne me suis jamais dit : « il faut que je devienne une actrice connue, une star, je suis restée comme ce jour où, débutante, j’ai reçu un prix. Il a fallu m’appeler trois fois pour que je réalise ».

Sur la route de L’étrangleur

Au détour d’une phrase, elle raconte avoir un jour cédé aux avances d’un Yougoslave. « Je le rencontrais plusieurs fois à l’hôtel, je ne voulais pas qu’il entre chez moi, je n’avais pas confiance, puis j’arrêtais avec lui », écrit-elle. On est à la toute fin des années 1970. L’homme, Milivog Milosavlsevic, fera bientôt la Une des journaux, c’était l’étrangleur des parkings du Xe, convaincu du viol et du meurtre de deux femmes. « J’ai eu de la chance… Si j’avais refusé ses avances, il m’aurait peut-être tuée. Étranglée… Quand j’ai vu sa photo sur le journal… ».

L’effet « Dix pour cent »

« Le succès de la série a changé beaucoup de choses pour moi, je suis beaucoup plus exposée médiatiquement et j’ai beaucoup plus de propositions de travail ». On la découvrira en juin sur Netflix dans la série « Familly Business ». Elle a des projets de cinéma, un au théâtre l’année prochaine… « C’est très gratifiant, mais moi je n’ai pas bougé d’un cheveu ». Son credo, la liberté de faire ce qui lui plaît : « Je fais tout ce que je peux pour faire ce que je veux ».

« Liliane Rovère, La folle vie de Lili », 320 pages (Ed Robert Laffont), 20 euros.

Source leparisien